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Alertes collisions avec le sol ou un obstacle: les pilotes de ligne confrontés à de faux signaux GPS

Autrefois limitées au brouillage des systèmes de navigation, les perturbations prennent maintenant la forme de fausses coordonnées qui peuvent donner lieu à des alarmes intempestives.

Une alerte collision avec le sol retentit dans le cockpit, bien que l'avion vole à haute altitude. Devenus fréquents à proximité de zones de conflit, les faux signaux GPS trompent les systèmes de bord et compliquent le travail des pilotes de ligne.

Plusieurs régions sont affectées par ce phénomène a priori d'origine militaire, notamment les régions voisines de l'Ukraine depuis l'invasion russe il y a deux ans, la Méditerranée orientale ainsi que le couloir aérien traversant l'Irak, selon des pilotes et responsables interrogés par l'AFP.

Autrefois limitées à du brouillage empêchant d'accéder aux signaux des satellites de géolocalisation, les perturbations prennent aussi désormais une forme plus dangereuse et difficile à contrer.

L'avion reçoit ainsi de fausses coordonnées, horaires et altitudes et, en comparant ces données aux cartes géographiques en mémoire, ses systèmes peuvent conclure à un danger imminent, raconte à l'AFP Thierry Oriol, pilote de Boeing 777 et membre du bureau exécutif du SNPL, le syndicat majoritaire chez les pilotes français.

"Des alarmes intempestives"

"Il y a eu des alarmes intempestives ordonnant de tirer au maximum sur le manche et de mettre la puissance à fond pour éviter un obstacle, alors que l'avion était en croisière (...) et que de toute façon aucune montagne ne monte si haut", détaille-t-il.

Il évoque aussi un incident "au départ de Beyrouth où l'avion pensait être au niveau des Alpes, à 10.000 pieds" (trois kilomètres d'altitude).

Le problème, explique un responsable au sein d'une compagnie aérienne européenne sous couvert d'anonymat, c'est que ces informations frelatées entrent dans le système de navigation et peuvent provoquer de fausses alertes des heures plus tard, lors de l'approche de l'appareil vers la destination.

"A priori, les équipages voient rapidement que c'est une fausse alarme. Mais comme c'est une alarme prévenant d'un danger immédiat, on demande aux équipages d'effectuer tout de même la manoeuvre d'urgence, de faire un retour et une analyse", explique-t-il.

"Si le problème se présente une seconde fois et que l'analyse n'a révélé aucun danger, alors le seul moyen c'est de couper cette alarme, sachant que d'autres systèmes restent actifs pour détecter un éventuel risque", ajoute-t-il.

Des perturbations dès le début du conflit

Couramment utilisé, le sigle GPS ne recouvre en fait que le système de navigation globale par satellite (GNSS en anglais) géré par l'armée américaine. Deux autres existent, l'européen Galileo et le russe GLONASS.

A bord des avions de ligne, les GNSS sont les principaux outils sur lesquels les pilotes peuvent compter pour déterminer leur position, mais pas les seuls. Sans en revenir aux sextants de jadis, les appareils sont équipés de centrales inertielles captant les mouvements pour en déduire la trajectoire. Mais la précision de ces machines se dégrade tout au long du vol.

Dès le début de la guerre en Ukraine, l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA) avait prévenu que les perturbations de signaux GNSS s'étaient intensifiées, touchant, au-delà de la zone de conflit, des régions relativement éloignées comme la Finlande et la Méditerranée.

Cela avait pu "dans certains cas, mener à des modifications de trajectoire ou même à un changement de destination car il était impossible d'effectuer un atterrissage en sécurité".

3,7 vols sur 1.000 touchés

La Commission santé, sécurité et conditions de travail du CSE des pilotes Air France a notifié le mois dernier un "avis de danger grave et imminent" en raison de l'usurpation GPS, mentionnant la statistique de 3,7 vols sur 1.000 touchés par ce phénomène, selon une source proche du dossier.

Fin janvier, l'AESA a érigé en "priorité" la lutte contre ces perturbations, en annonçant un partenariat avec la principale association mondiale de compagnies aériennes, l'Iata.

"Les systèmes GNSS offrent des bénéfices formidables à l'aviation, en améliorant la sécurité des opérations dans des zones aériennes très encombrées. Mais nous avons assisté à une augmentation brutale des attaques contre ces systèmes, ce qui pose un risque pour la sécurité" des vols, a affirmé le directeur exécutif par intérim de l'AESA, Luc Tytgat, cité dans un communiqué.

Pour le directeur général de l'Iata, Willie Walsh, "il faut collecter les données liées à la sécurité des GNSS, des instructions harmonisées des fabricants d'avions, et un engagement des Etats à conserver des systèmes de navigation traditionnels, en filet de sécurité", comme des balises au sol, pourtant souvent en cours d'abandon.

NLC avec AFP