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Tour de France: la poule aux oeufs d'or d'ASO, organisateur de la Grande Boucle

Populaire et prestigieuse, la plus grande course cycliste au monde a fait son retour sur les routes ce week-end. Pour prendre part à l'aventure, sponsors et collectivités n'hésitent pas à débourser des millions d'euros chaque année. Au grand bonheur de l'organisateur, ASO, qui tire la majorité de ses revenus de la Grande Boucle selon un modèle économique bien rodé.

Terre de vélo, le Pays basque espagnol est à la fête. Après Copenhague en 2022, le Tour de France s'est élancé samedi de Bilbao, capitale de la communauté autonome traversée cette année par les trois premières étapes de l'épreuve reine du cyclisme mondial.

S'ils ne sont pas exceptionnels, les départs de la "Grande Boucle" depuis l'étranger sont de plus en plus fréquents et témoignent de la popularité de la compétition au-delà des seules frontières de l'Hexagone. Diffusée dans près de 190 pays, la course de trois semaines, considérée comme le troisième évènement sportif mondial après les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football, génère une audience (et les retombées publicitaires qui vont avec) considérable pour les chaînes de télévision. Même si le chiffre de 3,5 milliards de téléspectateurs tous pays confondus un temps avancé par l'organisateur est difficilement vérifiable.

Le Tour de France, "vache à lait" d'ASO

A la tête de cette grosse machine, un acteur privé: Amaury Sport Organisation (ASO), filiale du groupe de médias Amaury, propriétaire de L'Equipe. Créée en 1991, ASO est devenue l'un des organisateurs d'événements sportifs les plus réputés, avec dans son portefeuille d'autres épreuves prestigieuses bien connues des amateurs de cyclisme comme La Vuelta (Tour d'Espagne), Paris-Roubaix, La Flèche Wallonne ou encore le Critérium du Dauphiné. L'entreprise se distingue aussi dans d'autres disciplines comme les sports mécaniques (Paris-Dakar), la course à pied (Marathon de Paris), le golf ou encore la voile.

Mais le Tour de France demeure de loin le vaisseau amiral du groupe ASO. Si l'organisateur reste discret sur ses comptes, le chiffre d'affaires généré par l'épreuve est estimé entre 150 et 200 millions d'euros, pour une marge nette d'environ 20%. La "Grande Boucle" représenterait ainsi à elle seule près de la moitié des revenus d'ASO.

Le Tour, "c'est la vache à lait d'ASO", mais "c'est surtout un travail coûts-bénéfices", rappelle Lionel Maltese, maître de Conférences à l'université Aix-Marseille.

Pour cet expert en management du sport, la force de l'organisateur, au-delà de sa capacité à faire fructifier l'exposition de l'épreuve, est de bien contrôler ses coûts. Et en particulier ses coûts logistiques et techniques considérables sur une compétition qui se déplace tous les jours pendant trois semaines.

Des millions investis par les collectivités pour accueillir le Tour

Aujourd'hui, ASO emploie entre 250 et 300 personnes. Mais le groupe fait chaque année appel à une armée d'intérimaires pour faire tourner la machine Tour de France. Certains coûts sont par ailleurs laissés à la charge des collectivités qui accueillent une étape: installation du village départ, aménagement des routes et de la signalisation routière, sécurité… Des dépenses qui s'ajoutent au ticket d'entrée payé pour avoir le privilège de voir la "Grande Boucle" passer dans sa commune.

Là-encore, les montants précis sont gardés secrets par ASO, chaque ville candidate négociant la facture finale directement avec l'organisateur. Le "prix catalogue" est en revanche le même pour toutes: 80.000 euros pour être ville-départ d'une étape, 120.000 pour être ville d'arrivée, et encore davantage pour accueillir le Grand Départ. A titre d'exemple, le Pays basque espagnol qui accueille les trois premières étapes de l'édition 2023 a prévu un budget global de 12 millions d'euros.

Les chèques des collectivités ne pèsent toutefois que 10% des revenus d'ASO sur le Tour de France, la majorité de ses recettes (environ 60%) étant tirées des droits TV. En France, c'est France Télévisions qui couvre l'événement, en contrepartie d'un chèque estimé aux alentours de 25 millions d'euros par an.

Comme celui qui suit l'épreuve depuis le bord de la route, le spectateur qui la regarde devant la télé n'a rien à payer, la "Grande Boucle" étant retransmise gratuitement. Et cela ne devrait pas changer de sitôt, même en cas de changement de diffuseur, le Tour de France faisant partie de la liste des 21 événements d’importance majeure dont la retransmission doit être gratuite, selon la loi.

Les sponsors misent sur le Tour

Le reste des revenus du Tour de France provient des sponsors qui dépensent plus ou moins selon leur statut. On distingue les partenaires techniques (Norauto, XPO Logistics…), les supporters offciels (Haribo, XTRA Total), les fournisseurs officiels (Cochonou, Jules, Le Gaulois, FDJ, Lesieur), les partenaires officiels (Vittel, Orange, Century 21…) et enfin les partenaires majeurs (LCL, E.Leclerc, Skoda, Continental et Krys).

Car le Tour de France est aussi une vaste opération marketing. Pour chacune de ces marques présentes, l'objectif est d'être vue. Que ce soit via des banderoles tout au long du parcours ou via l'emblématique caravane publicitaire qui distribue sur chaque étape des cadeaux au public présent au bord la route avant le passage des coureurs. Mais devenir sponsor de la Grande Boucle a un coût: entre 150.000 et 200.000 euros pour les supporters officiels, entre 300.000 et 600.000 euros pour les fournisseurs, entre 1 et 2 millions d'euros pour les partenaires officiels et jusqu'à 10 millions d'euros pour les partenaires majeurs.

Les partenaires majeurs disposent naturellement de la plus grande visiblité, à travers la caravane bien sûr mais aussi grâce à des lieux d'hospitalité implantés dans les villes de départ et d'arrivée, à la fourniture d'équipements et au sponsoring des maillots distinctifs (Maillot jaune LCL, maillot à poids E.Leclerc, maillot blanc Krys, maillot vert Skoda). A titre d'exemple, Skoda débourserait environ 3,5 millions d'euros par an pour être partenaire majeur du Tour de France. Ce qui lui donne notamment le droit de fournir toutes les voitures officielles de la course, soit plus de 250 véhicules au total, à la fois pour les équipes d'organisation et les équipes cyclistes.

Quelles retombées pour les villes, les sponsors… et les coureurs?

Mais le jeu en vaut-il la chandelle? La longévité de certains sponsors présents sur le Tour depuis plusieurs années laisse peu de place au doute. Du côté des collectivités, la plupart assurent que l'investissement est rentable.

"En termes de visibilité, il n'y a pas photo (…) C'est compliqué de toucher autant de médias que lors du Tour de France", souligne Lionel Maltese.

Selon une étude du cabinet Protourisme, le Grand Départ de l'épreuve cycliste en Vendée en 2018 avait généré 38 millions d'euros de retombées économiques immédiates, notamment touristiques, pour le département. Un an plus tard, la ville d'Albi avait chiffré à 1,5 million d'euros les recettes liées au passage du Tour, pour un coût d'un peu plus de 500.000 euros. Un euro investi par la ville aurait ainsi représenté 3,08 euros de retombées économiques.

Les retombées pour les équipes et coureurs cyclistes font davantage débat alors que le Tour représente "un coût monumental pour les équipes au niveau technique", assure Lionel Maltese. Le budget des équipes participantes repose essentiellement sur le sponsoring et très peu sur les frais de participation versés par l'organisateur, ce que dénoncent certaines d'entre elles.

"Avec ce modèle, on ne fait que survivre aujourd'hui. (…) On n'a pas de tickets d'entrée, pas de buvettes, pas de recettes liées aux droits TV… Il faut rééquilibrer la chose. Il faut développer de nouvelles ressources. On a le sentiment que rien ne change alors qu'on est sur un fil car sans sponsor, tout peut s'arrêter d'un coup", témoigne dans Ouest-France Marc Madiot, manager de l'équipe Groupama-FDJ.

Dans le quotidien, les équipes déplorent aussi la faiblesse des primes accordées aux coureurs et équipes qui se distinguent sur le Tour de France: 500.000 euros pour le maillot jaune, 200.000 euros pour le deuxième du classement général (puis des primes dégressives jusqu'à 3800 euros pour le dixième), 11.000 euros pour un vainqueur d'étape, 25.000 euros pour le maillot vert et le maillot à poids…

Ce sont au total 2,282 millions d'euros qui sont versés aux acteurs de la course. ,"Il n'y a même pas la moitié de la marge qui est redistribuée aux athlètes", confirme Lionel Maltese, qui compare avec le tournoi de tennis de Roland-Garros dont le "prize money" était fixé cette année à 49,6 millions d'euros pour une marge brut d'autofinancement de plus de 100 millions d'euros.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco