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Subventions américaines et crise de l'énergie: ces entreprises européennes qui se tournent vers l'étranger

Certains grands groupes industriels ont dû suspendre voire annuler leurs projets de nouveaux sites en Europe en raison de coûts énergétiques exorbitants. D'autres ont même cédé aux chants des sirènes des Etats-Unis où les prix de l'énergie flambent moins et l'Inflation Reduction Act promet des subventions colossales.

Nul ne doute que le sujet sera sur la table lors des échanges entre Joe Biden et Emmanuel Macron, actuellement en visite officielle à Washington DC. Voilà plusieurs semaines que l'Inflation Reduction Act (IRA) américain suscite l'inquiétude du gouvernement français et plus globalement des décideurs européens. En cause, une enveloppe colossale de 370 milliards de dollars qui s'apparente à une vaste politique incitative. Son objectif est d'encourager l'implantation de sites de production liés aux technologies de demain sur le sol américain via d'importantes subventions. Parmi les volets emblématiques du texte, un crédit d'impôt plafonné à 7500 dollars dans le cadre de l'achat d'un véhicule électrique produit dans une usine nord-américaine avec une batterie également fabriquée localement.

Voté en août dernier, le texte n'a pas tardé à voir ses effets se concrétiser. Au premier rang des victimes, les tissus économiques européens dont le déficit d'attractivité apparaît aux yeux de certaines grandes entreprises nourrissant des projets de nouveaux sites. De quoi motiver plusieurs membres de l'exécutif à monter au créneau, notamment Bruno Le Maire qui citait un exemple particulièrement criant sur le plateau de BFMTV il y a quelques semaines. Celui d'une entreprise étrangère motivée pour investir en France, y créer 5000 emplois et à laquelle le ministre de l'Economie est prêt à proposer un milliard d'euros.

"Mais il se trouve que les Etats-Unis, eux, pour attirer la même entreprise, sont prêts à mettre quatre fois cette somme, 4 milliards d'euros, et à financer la totalité de cet investissement, complétait le patron de Bercy. Et si je prends bout à bout tous les investissements qui sont concernés, ce sont 10.000 emplois industriels qui sont en jeu pour un montant de 10 milliards d’euros."

Un litige porté devant l'OMC et des mesures de rétorsion?

En tant que commissaire européen en charge du marché intérieur, Thierry Breton est également monté en créneau, dénonçant des subventions américaines qui n'ont rien à voir avec ce qui peut être proposé en Europe et "qui créent donc un véritable élément de distorsion de concurrence". "J'ai des cas d’entreprises qui peuvent bénéficier de subventions américaines 50 à 70% supérieures à celles que propose l’Europe", indique-t-il. A l'instar des décideurs français, le représentant de l'UE n'hésite plus à brandir la menace d'une saisie de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de régler ce litige, voire même des mesures de rétorsion en réponse alors qu'un groupe de travail a été mis sur pied entre la Maison Blanche et la Commission européenne à ce sujet.

Il faut dire que les exemples de grands groupes succombant aux tentations extra-européennes se multiplient. Northvolt, le fabricant suédois de batteries pour véhicules électriques, n'installera pas sa nouvelle usine en Allemagne mais outre-Atlantique. Sous l'impulsion du "plan Biden", Siemens Energy va construire 30 gigawatts de parcs éoliens offshore aux Etats-Unis d'ici 2030. Volkswagen va investir 7 milliards de dollars dans la production de SUV dans l'Etat du Tennessee tandis que l'enveloppe s'élèvera à 1,7 milliard de dollars pour BMW à destination de son usine de Spartanburg en Caroline du Sud.

"Il y a des aides aux Etats-Unis et il faudrait qu’il y ait une symétrie avec ces aides américaines qui favorisent l’industrie américaine par rapport à la nôtre", plaidait Patrick Koller, directeur général de Forvia, sur le plateau de BFM Business.

Le coût de l'énergie: la double peine

La situation est d'autant plus critique que l'IRA n'est pas le seul facteur permettant aux Etats-Unis de jouir d'un avantage comparatif de taille sur l'Europe. Dans un contexte de crise accrue depuis bientôt dix mois, le coût de l'énergie est aussi devenu un sujet majeur qui, cumulé aux subventions exorbitantes, "fait courir le risque d'un choc industriel majeur sur l'industrie française et européenne" selon les mots de Bruno Le Maire. "L’écart sur le coût de l’énergie est entre 3 et 4 fois entre nous les Européens et les Américains et les Chinois", résumait Patrick Koller. Car la Chine constitue aussi une destination prisée sur le plan énergétique. Le géant allemand de la chimie BASF souhaite par exemple, réaliser un milliard d'euros d'économie sur ses coûts en Europe et s'apprête dans le même temps à investir dix fois cette somme pour construire un grand complexe sur le sol chinois.

A défaut de franchir le pas en délocalisant leurs sites de production, certains industriels ont au moins dû se résoudre à suspendre leurs nouveaux projets en France. C'est le cas de Safran qui devait ouvrir une nouvelle usine dans la banlieue lyonnaise à l'horizon 2024 et doit finalement repousser ce projet à 250 millions d'euros. "L’énergie représente 40% du coût de fabrication de nos freins carbone, soulignait le directeur général du groupe Olivier Andriès. Quand je regarde l’évolution du prix de l’énergie entre 2019 et 2023, il reste à peu près stable entre 2019 et 2023 aux Etats-Unis et en Chine. En France, ce prix sera multiplié par 5, il l'a déjà été par deux entre 2019 et 2022 et il le sera par 2,5 entre 2022 et 2023."

"Ce facteur 5 fait que je suis aujourd’hui amené à suspendre pendant deux ans la décision de créer cette quatrième entreprise en France, le temps de voir comment le prix de l’énergie va évoluer en France et en Europe et dans l’intervalle, j’augmente les capacités dans mes sites à l’international", expliquait le dirigeant, Safran possédant notamment des entités... aux Etats-Unis.

Timothée Talbi