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Qu'est-ce que la loi sur la discrimination capillaire va changer dans les entreprises?

L'Assemblée nationale a adopté jeudi 28 mars, en première lecture, une proposition de loi sur la discrimination capillaire. Le texte n'est pas révolutionnaire, dans la mesure où la discrimination liée à l'apparence physique figurait déjà dans le Code du travail, mais il pourrait entraîner des évolutions.

Pas de quoi défriser les employeurs? Une proposition de loi, visant à inscrire la discrimination capillaire dans le Code du travail a été adoptée jeudi 28 mars. Portée par le député LIOT de la Guadeloupe, Olivier Serva, elle doit permettre de contrecarrer les entreprises imposant un style de coiffure à leurs salariés ou rejetant certaines coupes de cheveux.

Elle vise notamment à empêcher de contraindre les salariés ou candidats à une offre d'emploi à cacher leurs tresses ou dreadlocks, ou à lisser leurs cheveux pour dissimuler une coupe afro.

Toutefois, l'apparence physique, au même titre que l'origine, le sexe, les mœurs, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l'âge ou encore les convictions religieuses, est déjà mentionnée dans le Code du travail et ne doit donc pas faire l'objet de discrimination en entreprise.

L'apparence physique déjà un motif discriminatoire utilisé par les juges

"C'est une loi qui ne va pas révolutionner le paysage juridique parce qu'on a un article qui existe déjà dans le Code du travail et qui liste tous les motifs discriminatoires. Il y en a une vingtaine. Parmi ces motifs-là, nous en avons un assez général qui comprend la coiffure, qui est l'apparence physique, tout simplement", rappelle sur BFM Business Lorry Mongilardi, avocate chez CMS Francis Lefebvre.

"Nous avons régulièrement des décisions de juges qui se basent sur ce motif discriminatoire pour interdire des inégalités de traitement basées sur la coiffure", ajoute-t-elle.

Mettre l'accent sur les discriminations liées à la coiffure

Toutefois, la proposition de loi va permettre de mettre l'accent sur les discriminations capillaires. Elle prévoit de préciser, après l'expression "apparence physique", dans l'article L. 1132-1 du Code du travail: "notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux".

Avec ce texte, "on va peut-être dire au juge de faire plus attention à ce point-là", estime Lorry Mongilardi. La proposition de loi pourrait ainsi avoir une vertu pédagogique, selon elle.

Deux tiers des femmes afro‑descendantes changent de coiffure avant un entretien d’embauche, selon une étude menée conjointement par Dove et Linkedin aux Etats-Unis, que le député Olivier Serva a rappelée dans l'exposé des motifs de la proposition de loi. En outre, les cheveux de ces femmes sont 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels, assure cette même étude.

Les discriminations capillaires peuvent prendre diverses formes, sans cibler toujours une communauté en particulier, et affecter aussi bien les hommes aux cheveux longs que les blondes. "En Grande‑Bretagne, une étude réalisée en 2009 montrait par exemple qu’une femme blonde sur trois se colorait les cheveux en brun afin d’augmenter ses chances professionnelles et d’"avoir l’air plus intelligente" en milieu professionnel", précise Olivier Serva.

Restrictions en lien avec la sécurité, l'hygiène et l'image de l'entreprise

La proposition de loi, dont l'avenir au Sénat est plus incertain qu'à l'Assemblée nationale, pourrait entraîner d'autres évolutions dans l'approche de la Justice. Aujourd'hui, des limitations existent en matière de coiffure, dès lors qu'elles sont justifiées pour des raisons d'hygiène ou de sécurité.

"C'est là que la loi va peut-être faire changer les choses, mais pas forcément dans un bon sens. Aujourd'hui, on a effectivement des limitations, notamment en termes de sécurité et de santé pour les métiers à risque. Et on a aussi une deuxième limitation dans un objectif de respect de la clientèle. Quand on a affaire à une certaine clientèle, certaines coiffures ne sont pas forcément tolérées", précise Lorry Mongilardi.

"On a eu des arrêts de salariés qui avaient une coiffure à l'iroquoise ou avec une crête jaune fluo, qui travaillaient dans des banques au contact de la clientèle au quotidien", illustre l'avocate.

Certaines coupes volumineuses peuvent par ailleurs être jugées dangereuses chez les sapeurs-pompiers et le personnel militaire. Il peut ainsi être imposé aux femmes d'attacher leurs cheveux par mesure de sécurité. Pour des raisons d'hygiène, les cheveux des salariés doivent aussi pouvoir être maintenus sous une charlotte de protection lorsqu'ils sont au contact de denrées alimentaires ou travaillent dans le secteur médical.

"Un principe immuable, voire intouchable?"

Mais demain, qu'en sera-t-il? La discrimination capillaire sera-t-elle érigée en principe supérieur à l'image de l'entreprise ou aux règles de sécurité? "Avec cette loi, est-ce qu'on n'en fait pas un principe immuable voire intouchable?", interroge Lorry Mongilardi. Il faudra guetter la façon dont les tribunaux interprètent le texte, s'il est définitivement adopté, pour répondre à cette question.

"Il faut aussi savoir s'adapter aux codes de l'entreprise", estime de son côté Marie Hombrouck, chercheuse de tête et fondatrice d'Atoruse Executive, toujours sur BFM Business. "Quand vous êtes dans une société, où l'image de l'entreprise requiert un certain formalisme, c'est très compliqué d'arriver en bermuda", poursuit-elle.

En matière vestimentaire comme de coupe de cheveux, Marie Hombrouck invite donc à "regarder quelles sont les habitudes de l'entreprise" et à se mettre "en conformité" pour renforcer ses chances d'être embauché.

Thomas Chenel