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EPR de Flamanville: comment le nucléaire nouvelle génération a viré au gouffre financier

EDF a annoncé ce mercredi de nouveaux retards et surcoûts pour le réacteur EPR de Flamanville. Un cas loin d'être isolé qui relance le débat sur l'avenir du nucléaire en France.

"Il n’y a pas ou peu de risque de dépassement budgétaire car tous les grands contrats ont déjà été finalisés". Cette citation prononcée en 2007 par l’ancien directeur de la division ingénierie nucléaire d’EDF, Bernard Salha, à propos du chantier de l’EPR de Flamanville peut aujourd’hui prêter à sourire. Car dans les faits, force est de constater que le coût et la durée estimés du chantier n’ont cessé de croître ces dernières années.

Ce mercredi encore, EDF a annoncé de nouveaux retards et surcoûts pour le réacteur EPR en raison de problèmes de soudures rencontrés sur le chantier. "Le chargement du combustible est désormais prévu au quatrième trimestre 2019", alors qu'il était jusqu'alors officiellement attendu fin 2018, "et l'objectif de coût de construction est porté de 10,5 à 10,9 milliards d'euros", indique l'électricien dans un communiqué.

Multiples incidents

Lancé en 2007, le coût du projet avait initialement été estimé à 3,3 milliards d’euros. En 2008, de premières anomalies sur des armatures en fer et la structure en béton ont obligé EDF à porter le coût du chantier à 4 milliards d’euros. Deux ans plus tard, le budget alloué passait la barre des 5 milliards d’euros, puis des 6 milliards d’euros en 2011 à cause du retard causé par des accidents sur le chantier, des procédures de sécurité et des intempéries.

Et les péripéties ont continué à s’accumuler jusqu’à faire grimper la facture à 8,5 milliards d’euros en 2012. Deux ans plus tard, des problèmes liés à la livraison d’équipements ont encore ralenti le projet, dont le coût était alors estimé à 9 milliards d’euros. Enfin, des dysfonctionnements à la forge du Creusot qui produit des composants pour Flamanville ont fait passer le budget de l’EPR à 10,5 milliards d’euros en 2015.

Réévalué à 10,9 milliards d’euros depuis ce mercredi, le coût de construction de l’EPR de Flamanville aura flambé de plus de 230% depuis le lancement du projet. La durée estimée du chantier est quant à elle passée de cinq à douze ans.

"Effet de série"

Plusieurs raisons expliquent le retard du projet. Pour Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), l’EPR de Flamanville est "une tête de série" destinée à préparer l’avenir. "Quand vous faites des choses pour la première fois, vous faites face à plein d’imprévus. […] On voit cela sur tous les grands chantiers", explique-t-elle, ajoutant que "la bonne nouvelle, c’est qu’il y a des gains d’expérience".

À cet égard, le réacteur de Taishan (Chine), mis en service par EDF en juin et dont la construction (2009) a démarré après celle de l’EPR de Flamanville, a bénéficié "des retours d’expérience" du chantier normand, assure Valérie Faudon. "C’est l’effet de série", argue-t-elle.

L’explication est néanmoins incomplète, selon Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt: "Il y a certainement un ‘effet premier projet’ mais globalement, c’est surtout l’accumulation d’un manque de maîtrise industrielle d’EDF. […] Ce surcoût et ce délai supplémentaire, c’est l’illustration d’une forme de dérive dans laquelle s’enfonce EDF", constate-t-il.

Perte d'expérience

Pointant la "complexité du projet" et "le coût financier du retard" provoqué par un "effet d’entrainement", Yves Marignac estime que les déboires du chantier de l’EPR sont "multifacteurs". Et de poursuivre: "Ce serait réducteur de dire que la seule explication est la tête de série. […] Il y a eu une perte de compétences en termes de maitrise de la qualité chez EDF".

Si Valérie Faudon reconnaît une "perte d’expérience" causée par l’arrêt des constructions du secteur pendant quinze ans en France avant le démarrage du chantier de Flamanville, elle observe que "ces surcoûts sont aussi un investissement pour l’avenir. Il y a un côté formation, remise à niveau". Ce qui, affirme-t-elle "serait idéal serait de poursuivre les chantiers".

Des cas similaires à l'étranger

L’explosion du budget et des délais de l’EPR de Flamanville ne semble toutefois pas être un cas isolé. "C’est générique à l’industrie nucléaire qui sous-évalue les projets pour les faire accepter", note Yves Marignac. Selon lui, "le coût financier d’autres réacteurs aux États-Unis est du même ordre". "L’ordre de 10 milliards d’euros par EPR est un ordre de grandeur que l’on retrouve ailleurs dans le monde. Ce n’est pas une singularité de Flamanville", remarque-t-il.

Peu d’informations ont circulé sur le coût de l’EPR de Taishan. Si le chiffre de 8 milliards d’euros circule, il est possible que celui-ci ait été revu à la hausse compte tenu du retard de quatre ans que le chantier chinois a également accumulé. Outre-manche, EDF a prévu d’investir 22 milliards d’euros dans le projet de construction de la centrale nucléaire Hinkley Point. Mais là encore, les députés britanniques s’inquiètent d’un possible dérapage du budget. La commission aux comptes publics de la chambre des communes souligne d'ailleurs que les autres projets similaires utilisant le réacteur EPR (France, Finlande, Chine) ont tous subi des surcoûts et des délais supplémentaires.

L’alternative des énergies renouvelables

Dans ces conditions, est-il plus avantageux financièrement d’investir dans les énergies renouvelables? On estime que le prix de l’électricité produite par les réacteurs nouvelle génération est compris entre 90 et 110 euros le mégawatteur (MWh), quand les énergies renouvelables affichent des prix parfois compris entre 50 et 70 euros le MWh. Néanmoins, "on ne peut pas comparer les énergies renouvelables et le nucléaire parce que les énergies renouvelables ne produisent pas 24h/24h", rappelle Valérie Faudon.

Par ailleurs, beaucoup pointent le coût des infrastructures induit par l’adoption d’un système "tout renouvelables". Mais "le coût complet (construction, fonctionnement, démantèlement) ne fait que baisser pour les énergies renouvelables contrairement au nucléaire et l'écart ne fera que progresser. Et il y a largement moyen d’optimiser les coûts d’infrastructures, de réseau et de stockage", assure Yves Marignac. D’après lui, "dans la vision ‘tout renouvelables’, on a de plus en plus l’assurance que leur gain de productivité couvre à terme largement le coût des infrastructures".

L'électricité plus chère en Allemagne

Reste que l’Allemagne a davantage investi que la France dans les énergies renouvelables. Or, pour le consommateur, l’électricité a fortement augmenté outre-Rhin. Elle coûte désormais deux fois plus chère que dans l’Hexagone. "Cette augmentation repose sur deux facteurs: la hausse du soutien aux énergies renouvelables et l’augmentation des investissements dans les réseaux électriques", écrit la SFEN.

Pour Valérie Faudon, "il y a eu une mauvaise allocation des ressources en Allemagne", alors que le pays a favorisé le développement de filières électriques sans pour autant réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

À l’inverse, Yves Marignac assure que le choix allemand du renouvelable finira par porter ses fruits. "Les consommateurs allemands ont consenti à payer l’investissement dans les renouvelables. Le gain de compétitivité étant désormais réalisé, le besoin de subvention va se résorber", assure-t-il. Et de conclure: "Ils ont un parc déjà largement renouvelé. Le pays va de plus en plus profiter du renouvelable installé avec un coût marginal de plus en plus faible".

Paul Louis