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Immense succès à l'étranger, L'Occitane est-elle encore une entreprise provençale?

La plus grande success story française dans le monde avec près de 95% de ses ventes à l'international, L'Occitane en Provence s'apprête à être rachetée par le fonds américain Blackstone.

L'Occitane en Provence est un petit concentré de mondialisation. L'entreprise de produits de soins qui "vend" la Provence aux quatre coins du monde réalise 93% de ses ventes à l'étranger, ses sièges sociaux sont situés au Luxembourg et à Genève, elle a été rachetée en 1996 par un Autrichien (Reinold Geiger) qui l'a introduite en Bourse à Hong Kong et qui s'apprête désormais à la vendre au fonds américain Blackstone, selon Bloomberg.

Impossible de rater ses devantures en bois jaunes dans les aéroports, les gares et les centres-villes des grande mégalopoles comme New York, Tokyo, Pékin ou São Paulo. Le groupe qui a réalisé près de 2,2 milliards d'euros de ventes en 2023 est présent dans 90 pays via 3.000 points de vente.

Un groupe qui s'est aussi forgé à coup de rachats comme le spécialiste de soins bio Melvita en 2008, la ligne franco-coréenne Erborian en 2016, et a même fait une entrée dans le luxe en déboursant près de 800 millions d'euros en 2019 pour s'offrir le britannique Elemis. À l'heure où son rival britannique The Body Shop est menacé de disparition, L'Occitane en Provence a bien résisté dans un marché très difficile avec une croissance de 13,4% et un bénéfice opérationnel de 240 millions d'euros l'année dernière.

Paradoxalement c'est peut-être en France que la marque n'a pas sa plus grande notoriété. Davantage associée à une enseigne touristique, elle ne réalise sur son territoire historique qu'à peine plus de 5% de son chiffre d'affaires global. Avec une capitalisation boursière de près de six milliards de dollars à Hong Kong (5,3 milliards d'euros), le groupe L'Occitane est pourtant comparable à des géants industriels comme Alstom.

"En Provence" depuis 1996

L'Occitane, qui a habilement ajouté "en Provence" à son patronyme en 1996 lors de son rachat par l'homme d'affaires autrichien Reinold Geiger, n'a pas tout à fait rompu les amarres avec sa région d'origine. Elle y fabrique l'essentiel de ses produits sous sa marque dans ses usines de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) et de Lagorce (Ardèche). Seuls les produits "L'Occitane au Brésil" sont fabriqués sur un site près de São Paulo.

Mais c'est aussi son histoire singulière qui la rattache à la Provence. Celle d'Olivier Baussan, un jeune diplômé de la fac de lettres d'Aix-en-Provence, qui en 1976 se lance dans la fabrication de savons et de cosmétiques naturels seul dans sa cave. "Dès le départ mon but était de faire venir du monde en Provence. Giono m'a terriblement influencé, j'ai fait des études de lettres", confiait-il en février à BFM Dici.

"Je suis passé de la fac de lettres à l'achat d'un vieux alambic pour distiller la lavande avec en toile de fond tous les romans de Giono qui parlait d'une Provence merveilleuse. Pas forcément une réalité mais ça donne la profondeur de notre territoire."

Il a l'intuition que la Provence de "carte postale" avec ses champs de lavande, ses paysages de guarrigue ou encore ses vieilles bâtisses avec ses tomettes rouge au sol ont un fort potentiel commercial.

Si l'histoire lui donnera raison, le développement dans les premières années n'est pas celui d'une start-up mais plutôt celui d'une petite PME prospère. Après une première boutique inaugurée en 1978 à Volx dans les Alpes-de-Haute-Provence, il n'ouvrira la dixième que deux décennies plus tard. Rien à voir à le rythme effréné des 150 ouvertures en moyenne par an depuis le début des années 2000.

Un investissement multiplié par 600

Si Olivier Baussan est l'inventeur du concept, c'est l'homme d'affaires Reinold Geiger qui va réellement en faire un immense succès à l'international. Cet Autrichien qui a fait fortune dans le packaging des produits de luxe dans les années 1980 entre au capital de L'Occitane en 1994 en prenant un tiers des parts pour trois millions de dollars à l'époque (un investissement qui en vaut 600 fois plus aujourd'hui!).

D'abord simple actionnaire, l'homme d'affaires prend les rennes quelques années plus tard et se lance dans une internationalisation à marche forcée. En 1996, il ouvre coup sur coup des boutiques L'Occitane en Provence à New York et à Hong Kong. Quand la plupart des entreprises du commerce tentent au mieux de s'aventurer dans un pays limitrophe, Reinold Geiger voit loin et a immédiatement des ambitions mondiales.

"Nous voulions savoir ce qui marcherait ou pas, et nous nous attendions à devoir changer beaucoup de choses. Mais nos clients ne voulaient rien changer, confiait-il aux Echos en 2011. Avec ces deux magasins, nous avons compris que la Provence les faisait rêver, qu'ils l'associaient à des paysages colorés, à des villages ensoleillés… et que le succès de nos produits ne reposait pas seulement sur un effet de mode."

Si le luxe est à Paris, L'Occitane vend un art de vivre à des clients et touristes étrangers. Lavande, savon, miel, huile d'olive le tout proposé dans des boutiques avec ses devantures en bois jaunes immédiatement reconnaissables. Si le succès est immédiat aux États-Unis qui sont depuis quelques années dejà le premier marché du groupe, la réussite mettra plus de temps à se dessiner en Asie.

C'est d'ailleurs pour s'implanter durablement sur ces marchés que le groupe décide de s'introduire en Bourse à Hong Kong plutôt qu'à Paris ou New York. Un pari gagant puisque la Chine devient dans la décennie qui suit son premier marché avant que le Covid ne vienne rabattre les cartes.

Près de 50 ans après sa création, L'Occitane s'apprête donc à vivre une troisième aventure au sein de Blackstone.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco