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Energie

TOUT COMPRENDRE - Où en sont les différents projets de fusion nucléaire dans le monde?

Un an après le gain net d'énergie exceptionnel réalisé par un laboratoire californien, un vaste projet expérimental nippo-européen de fusion nucléaire vient d'être inauguré. Les expériences qui y sont menées doivent apporter des enseignements au programme international Iter.

Enfin une avancée significative sur la fusion nucléaire en dehors des Etats-Unis. Un vaste projet expérimental nippo-européen de fusion nucléaire, "l'énergie des étoiles" suscitant beaucoup d'espoirs, a été inauguré vendredi dernier au Japon sur un site partenaire et complémentaire du programme Iter en France, lequel accumule les déboires et les retards. Installé dans l'Institut de fusion de Naka, à une centaine de kilomètres au nord-est de Tokyo, le JT-60SA est actuellement le plus grand "tokamak" (réacteur expérimental de fusion nucléaire) opérationnel au monde, en attendant l'achèvement de son grand frère Iter.

"Aujourd'hui est un grand jour pour l'histoire de la fusion (...). Avec ce tokamak, le Japon et l'Europe se positionnent comme leaders mondiaux de la recherche en fusion" par confinement magnétique, a salué la Commissaire européenne à l'Energie Kadri Simson lors d'une cérémonie à Naka diffusée en ligne.

Comme son nom le suggère, la fusion nucléaire consiste à faire fusionner deux noyaux atomiques légers d'hydrogène pour en créer un lourd, de l'hélium, afin de libérer de l'énergie lors du procédé. Elle s'oppose à la fission nucléaire, technique utilisée dans les centrales nucléaires, et qui correspond à la rupture des liaisons de noyaux atomiques lourds. La fusion nucléaire constitue une technologie qui pourrait drastiquement changer le rapport des hommes à l'énergie en le rendant plus durable et soutenable.

• En quoi les expériences du tokamak JT-60SA sont-elles importantes?

Fruit d'accords entre le Japon et l'Union européenne signés en 2007, la construction de ce tokamak de 15,5 mètres de haut et 13,5 mètres de diamètre a duré de 2013 à 2020. Et le 23 octobre dernier, il a réussi pour la première fois à produire du plasma, un gaz à très basse densité indispensable à la fusion nucléaire et ce, dans un volume record de 160 mètres cubes et à une température supérieure à 15 millions de degrés Celsius.

Cette machine "nous rapproche de l'énergie de fusion, en combinant des performances élevées et soutenues. C'est le résultat d'une collaboration entre plus de 500 scientifiques et ingénieurs et plus de 70 entreprises en Europe et au Japon", a souligné Sam Davis, le responsable adjoint du JT-60SA.

Comme l'a rappelé vendredi dernier le ministre japonais en charge des Sciences et de la Technologie Masahito Moriyama, ce tokamak "doit servir à mener des expériences variées avant l'achèvement d'Iter", un réacteur dont la taille sera environ deux fois plus grande et qui disposera d'un volume de plasma près de cinq fois supérieur. Une perspective qu'a confirmé Sam Davis, précisant que "le JT-60SA n'a pas vocation à produire de l'énergie mais à produire du plasma et à apprendre à le contrôler". L'un des chefs du projet a également ajouté que les connaissances accumulées serviraient aussi au développement du successeur d'Iter, Demo, qui produira de la vapeur puis de l'électricité à partir de la chaleur issue de la fusion nucléaire à l'horizon 2050.

• Comment expliquer le retard d'Iter?

Si le JT-60SA a récemment effectué une avancée majeure, cette dernière survient avec plusieurs années de retard. Et pour cause, la mise en service du tokamak était initialement prévue pour 2016. Cependant, le projet a été confronté à des problèmes de conception et d'approvisionnement en combustible et le séisme de 2011 à proximité du site n'a fait qu'accentuer ce retard. Dix ans plus tard, la sécurité de l'alimentation des bobines magnétiques supraconductrices (qui génèrent les puissants champs magnétiques nécessaires à la stabilisation et au confinement du plasma créé) a également dû être revue après des essais.

De son côté, le réacteur Iter est issu d'un projet de coopération internationale regroupant 35 pays dont le Japon, la Chine, la Corée du Sud ou encore les Etats-Unis auxquels s'ajoute l'Union européenne. Dans les tuyaux depuis bientôt 40 ans, le réacteur a commencé à être construit il y a maintenant 15 ans à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Alors que le chantier devait s'achever en 2019, Iter ne devrait finalement générer son premier plasma qu'au début des années 2030, loin des prévisions initiales fixant l'objectif de 2025. L'année dernière, trois grands segments du tokamak livrés par la Corée du Sud n'ont pu être soudés avec les autres en raison de déformation tandis que des fissures sont apparues sur une autre pièce, ce qui a contraint les équipes à démonter une partie du tokamak alors qu'une large majorité des pièces sont déjà fabriquées.

Comme dans tout projet d'envergure, ces retards se traduisent par une explosion de la facture: dans le cas d'Iter, celle-ci a été multipliée par trois et avoisine désormais les 60 milliards d'euros. Et cette facture n'a probablement pas fini d'augmenter puisque le programme va devoir réussir à produire une partie du combustible indispensable à la fusion nucléaire: le tritium. A la différence du deutérium, l'autre atome d'hydrogène utilisé dans le processus, le tritium est extrêmement coûteux présent en très faibles quantités sur Terre: les stocks (issues d'autres réacteurs nucléaires) s'élèvent actuellement à seulement 35 kilos quand un réacteur à fusion nucléaire en aurait besoin d'une centaine ... par an selon le docteur en physique expérimental Greg de Temmerman cité par La Tribune.

• Pourquoi les Américains semblent en avance?

Il y a un an presque jour pour jour, les scientifiques du Laboratoire national Lawrence Livermore (LLNL), situé en Californie, parvenaient à obtenir un "gain net d'énergie" d'un réacteur à fusion expérimentale. Pour cela, ils ont opté pour une autre méthode de fusion nucléaire que le confinement magnitique employé pour Iter ou le JET (Joint European Torus) près d'Oxford qui a produit des quantités records d'énergie en 2022.. Il s'agit du confinement inertiel dans le cadre duquel des lasers de très forte énergie sont envoyés à l'intérieur d'un cylindre de la taille d'un dé à coudre, contenant l'hydrogène.

En obtenant un "gain net d'énergie" inédit lors d'une fusion nucléaire, les scientifiques du Laboratoire national Lawrence Livermore ont pour la première fois produit davantage d'énergie que la quantité utilisée pour provoquer cette réaction. Pas moins de 3,15 mégajoules d'énergie ont été produits soit plus de 200% des 2,05 mégajoules utilisés par les 192 lasers pointés vers une cible aussi petite qu'un dé à coudre, où sont placés les atomes légers d'hydrogène à fusionner. Les Etats-Unis ont réédité cette prouesse l'été dernier en améliorant le rendement, de quoi pousser le gouvernement à espérer parvenir à démarrer l'exploitation commerciale de la fusion nucléaire dans les dix prochaines années.

Dans cette quête d'une future source d'énergie ne générant pas de gaz à effet de serre, produisant moins de déchets radioactifs que les centrales nucléaires actuelles et potentiellement sans danger, les Etats-Unis peuvent compter sur leur réseau de startups: sur les quelque 30 qui travaillent sur la fusion nucléaire à travers le monde, 21 sont américaines pour seulement trois en Europe continentale et autant au Royaume-Uni. Depuis leur création, ces startups ont levé près de 5 milliards de dollars, en grande partie auprès d'acteurs privés parmi lesquels des milliardaires de la tech comme Bill Gates et Jeff Bezoz ou encore des industriels comme Eni et Shell. Représentant à elle-seule un tiers de ces fonds levés, Commonwealth Fusion Systems prévoit de commercialiser la première centrale à fusion à l'horizon 2030.

Timothée Talbi avec AFP