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L'Iran dépasse l'Arabie saoudite et devient le premier fournisseur maritime de pétrole de la Chine

Selon les récentes données du cabinet d'analyses Kpler, l'Iran a procédé à un déstockage massif de pétrole brut dans ses réservoirs flottants pour atteindre une moyenne record de 1,8 million de barils exportés vers la Chine chaque jour.

C'est une statistique qui dénote avec la tendance des dernières semaines. "En octobre, l'Iran a dépassé l'Arabie saoudite en tant que premier fournisseur maritime de pétrole de la Chine (la Russie reste au premier rang si l'on tient compte des flux par oléoducs), grâce à un déstockage massif de brut dans les réservoirs flottants, indiquait vendredi sur X (ex-Twitter) Homayoun Falakshahi, analyste pour Kpler. Les arrivées de brut iranien se sont élevées en moyenne à plus de 1,8 million de barils par jour, ce qui constitue un nouveau record."

Depuis l'escalade des tensions israélo-palestiniennes, bon nombre d'analystes ont les yeux rivés sur Téhéran. "Une implication potentielle de l'Iran", important producteur et membre de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) "à Gaza entraînerait une grave perturbation de l'approvisionnement mondial en pétrole à moyen terme", rappellait Ipek Ozkardeskaya, analyste de Swissquote Bank, à peine dix jours après l'attaque du Hamas. Une attention confirmée plus récemment par Barbara Lambrecht, analyste chez Commerzbank:

"Le pays a augmenté sa production quotidienne de pétrole d'environ 500.000 barils au premier semestre [...] Ainsi, l'Iran représente à nouveau 10% de la production de l'Opep."

Des sanctions outrepassées

Cet afflux d'or noir s'est révélé déterminant pour contenir les prix dans un contexte d'offre tendue après les réductions de production et d'exportations de certains membres de l'Opep et leurs alliés. Les investisseurs redoutent ainsi un nouveau resserrement de l'offre en cas d'implication de Téhéran dans la guerre entre Israël et le Hamas. "Ce scénario affecterait presque certainement l'offre mondiale de pétrole et pourrait faire monter le prix du baril à des niveaux supérieurs à la barre des cent dollars" anticipait il y a une dizaine de jours Ricardo Evangelista, analyste d'ActivTrades.

Et pour cause, une telle intervention aboutirait à une application plus stricte des sanctions pétrolières américaines contre l'Iran, soutien de longue date du mouvement islamiste Hamas, ce qui se traduirait par une moindre offre sur le marché de la part de Téhéran. Après avoir vu sa production et ses exportations mises à mal par des années de sanctions internationales, l'Iran a toutefois augmenté sa production ces douze derniers mois et est soupçonné de faire sortir clandestinement des barils sur le marché. De quoi inciter Javies Blas de l'agence Bloomberg a interrogé l'application effective de ces sanctions au regard de la récente liquidation de l'énorme réserve flottante de pétrole iranien:

"Soit la Maison Blanche l'a permis, soit elle est incapable de l'arrêter, et dans tous les cas, le régime de sanctions s'est effondré."

Un blocage stratégique du détroit d'Ormuz

Selon Helge André Martinsen, analyste de DNB, "l'administration Biden a fermé les yeux" sur cette hausse de la production en raison de ses effets positifs sur le marché (voir plus haut). Même si Téhéran restait à l'écart du conflit, "l'Occident pourrait décider de renforcer les sanctions contre Téhéran ou simplement d'appliquer plus efficacement les sanctions existantes", affirme Edoardo Campanella. L'Iran pourrait répliquer en bloquant le détroit d'Ormuz, entre Oman et l'Iran, la plus importante zone de transit de pétrole au monde, avec un flux quotidien de plus de 17 millions de barils, selon Seb Research, soit 30% de l'ensemble du pétrole échangé par voie maritime. Selon l'analyste d'UniCredit, seuls l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis disposent d'oléoducs permettant d'expédier du pétrole brut en dehors du Golfe, en contournant le détroit d'Ormuz.

Le scénario du pire, peu probable mais pas impossible selon les analystes, serait qu'en cas de renforcement des sanctions, l'Iran riposte en attaquant les installations pétrolières saoudiennes, l'un des principaux producteurs et exportateurs du monde, comme le relève Edoardo Campanella. En septembre 2019, il avait suffit d'attaques contre des infrastructures pétrolières en Arabie saoudite ayant temporairement réduit de moitié la production du pays pour que le cours du Brent bondisse jusqu'à près de 20% en une journée. Elles avaient été revendiquées par les rebelles yéménites Houthis soutenus par Téhéran.

La violence qui menace de se propager au Moyen-Orient est aux antipodes de la politique d'apaisement régional prônée par l'Arabie saoudite, qui s'est rapprochée ces derniers mois de son principal rival, l'Iran. Ryad avait également engagé des discussions sur une possible normalisation avec Israël, mais les pourparlers ont été suspendus après le début de la guerre. Le royaume est à mi-chemin d'un ambitieux programme de réformes, intitulé Vision 2030, porté par son prince héritier Mohammed ben Salmane, pour réduire sa dépendance au pétrole.

"L'Arabie saoudite est entièrement tournée vers sa transformation interne, qui nécessite un voisinage stable", a souligné Kristin Diwan, de l'Institut des États arabes du Golfe à Washington.
Les Experts : Le pétrole cher est de retour - 20/09
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18:38

Le cours du pétrole sensible au "moindre développement" du conflit

Pour rappel, la frappe qui avait fait des centaines de morts dans un hôpital de Gaza il y a près de deux semaines avait déjà suscité des réactions virulentes du pouvoir iranien. Le président Ebrahim Raïssi avait décrété une journée de deuil national et prédit que la frappe contre l'hôpital allait se retourner contre Israël et son allié américain et qu'elle signait "la fin du régime sioniste". "Les ambassadeurs" d'Israël "doivent être expulsés et les ambassades fermées" dans ces pays, avait-il ajouté, alors que l'Iran n'entretient pas de relations diplomatiques avec Israël, dont il souhaite la disparition.

En déplacement en Arabie saoudite, le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollehian avait par ailleurs appelé les pays producteurs de pétrole à imposer un embargo sur les livraisons à Israël, une mesure qui n'a finalement pas été adoptée par les 57 membres de l'Organisation de la coopération islamique (OCI). Si elles n'ont pas été suivies d'effets concrets, ces sorties de dirigeants iraniens ont néanmoins fait bondir les cours du pétrole de 2 à 3%.

"Le moindre titre d'information, le moindre développement qui a le potentiel d'empirer la situation fait réagir le marché", explique John Kilduff d'Again Capital.

"Le pétrole reste le principal baromètre du risque géopolitique car les prix augmentent lorsque la prime de guerre monte", a commenté Edward Moya, analyste d'Oanda. Mais cet analyste a relativisé la hausse en notant que, jusqu'à présent, il y a "eu peu de perturbations dans l'approvisionnement en brut". "C'est pourquoi le pétrole se négocie toujours autour des niveaux observés après la première hausse des cours suite aux attaques surprises du Hamas contre Israël", le 7 octobre, a-t-il souligné.

Néanmoins, les prix du brut avaient fait un nouveau bond jeudi après que des frappes aériennes américaines avaient ciblé des cibles iraniennes en Syrie. "Les tensions au Moyen-Orient ne s'atténueront pas de sitôt et cela pourrait éventuellement entraîner des perturbations des exportations de brut de l'Iran", a ajouté Edward Moya. Jeudi, devant les Nations unies, Hossein Amir-Abdollahian, a déclaré que l'Iran ne souhaitait pas l'extension du conflit. "Mais je préviens que si le génocide à Gaza se poursuit, ils ne seront pas épargnés par ce feu", avait-il ajouté, s'adressant aux Etats-Unis.

Timothée Talbi avec AFP