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Fonctionnement, coûts... comment la France veut convertir ses centrales à charbon à la biomasse

Lors de son intervention télévisée dimanche soir, Emmanuel Macron a annoncé que la France sortirait du charbon d'ici à 2027 en convertissant notamment ses deux dernières centrales à la biomasse.

Emmanuel Macron a-t-il suivi la dernière conférence de RTE? C'est ce qu'on pourrait croire à entendre l'intervention télévisée du chef de l'Etat ce dimanche lors de laquelle il a déclaré que la France sortirait du charbon d'ici à 2027 en convertissant ses deux dernières centrales dans le cadre de la planification écologique. "D'ici à 2027, que va-t-on faire? On a encore deux centrales à charbon, Cordemais (ouest) et Saint-Avold (est), on va complètement les convertir à la biomasse", a-t-il dit, à propos de la "première mesure très concrète de cette planification".

Nicolas Doze : La centrale à charbon de Saint-Avold est rouverte - 29/11
Nicolas Doze : La centrale à charbon de Saint-Avold est rouverte - 29/11
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Quatre jours auparavant, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité présentait son bilan prévisionnel mis à jour sur la période 2023-2025 dans le cadre de l'objectif de neutralité carbone de la France. RTE avait notamment évoqué la nécessité de recourir aux centrales thermiques pour assurer la sécurité d'approvisionnement d'ici 2030 dans le cas où la disponibilité du parc nucléaire ne retrouverait pas ses standards de 2010, si la stratégie de sobriété n'atteignait pas un niveau suffisant ou encore si le développement des énergies renouvelables était trop limité.

"L'une des possibilités serait alors de garder ce type de centrales mais de les convertir à des combustibles décarbonées comme la biomasse", indiquait Thomas Veyrenc, directeur exécutif Stratégie, Prospective et Evaluation.

Le représentant de RTE avait alors ajouté qu'une faible quantité de biomasse serait nécessaire "dans la mesure où ces centrales à charbon fonctionneraient très peu", ce qui correspondrait à la révision à la baisse du potentiel de biomasse disponible pour décarboner l'économie confirmée par une récente présentation du secrétariat général à la planification écologique en juillet dernier. Dès lors, comment va se dérouler cette conversion des centrales à charbon à la biomasse dans les quatre années à venir?

De l'électricité et de la chaleur, un exemple de "cogénération"

Il y a plus de huit ans déjà, EDF avait publié une vidéo décrivant le fonctionnement d'une centrale biomasse. Pour faire simple, ce type d'infrastructure produit de l'électricité grâce à la chaleur dégagée par la combustion de matières organiques tels que les résidus végétaux, les déchets ménagers, le biogaz issu de la fermentation des déchets, c'est-à-dire des sources d'énergies renouvelables et disponibles en grandes quantités. Par la suite, le combustible est acheminé vers la chaudière et introduit dans la chambre de combustible où il dégage de la chaleur en brpulant. Cette chaleur est transmise à des tubes remplis d'eau qui tapissent la chaudière. L'eau des tubes ainsi chauffée est dirigée vers un ballon dans lequel elle se transforme en vapeur.

"Souvent installées près des lieux de production ou de stockage de la matière, les centrales biomasse peuvent être utilisées en continu pour répondre aux besoins en électricité quelque soit le jour de l'année, explique l'énergéticien. Elles produisent une énergie régulière et faiblement émetrice en CO2."

Cette vapeur fait tourner une turbine puis cette turbine fait à son tour tourner un alternateur. Dans ce dernier, l'interraction entre les électro-aimants du rotor, la partie mobile, et les bobines de fils de cuivre du stator, la partie fixe, produit un courant électrique. Un transformateur élève la tension de ce courant à 225.000 ou 400.000 V pour qu'il puisse être transporté plus facilement dans les lignes à très haute tension du réseau.

De son côté, la vapeur qui est sortie de la turbine passe dans un condenseur dans lequel circule de l'eau froide. Elle y est retransformée en eau pour être renvoyée dans la chaudière. Cette vapeur peut aussi être réutilisée soit pour des activités industrielles soit pour alimenter un réseau de chaleur urbain. Cette production simultanée d'électricité et de chaleur dans une même installation est appelée "cogénération". Enfin, les fumées issues de la combustion sont filtrées avant d'être évacuées par les cheminées.

Le projet Ecocombust 2 de la centrale de Cordemais

Coïncidence ou pas, il se trouve qu'un projet majeur de conversion de centrale à charbon à la biomasse entre dans une phase déterminante à partir de ce lundi. En effet, les habitants et habitantes de la commune de Cordemais peuvent participer dès aujourd'hui et jusqu'au 27 octobre prochain à l'enquête publique autour du projet baptisé "Ecocombust 2". Ce dernier prévoit la création d'une usine de pellets sur le site de la centrale: concrètement, les habitants peuvent donner leur avis sur la demande d'autorisation environnementale. La commission d'enquête pourra ensuite donner son feu vert à la publication d'un arrêté d'autorisation délivré par le préfet du département... ou alors décider d'un refus. Le calendrier fixé vise un démarrage des travaux de construction au premier semestre 2024 pour une mise en service dès 2026.

"On arrive avec ces pellets à avoir quelque chose qui est très proche du charbon en terme de comportement qui va pouvoir être utilisé dans des chaudières à vocation de production d'électricité ou dans des chaudières type chauffage urbain", expliquait Lionel Olivier, directeur de la centrale thermique, à l'AFP en mars 2019 pendant les phases de test.

Le projet de reconversion initié dès 2015 par les salariés de la centrale doit permettre d'assurer la poursuite de l'activité et de sauvegarder les quelques 600 emplois directs sur place. Il doit aussi permettre à la centrale qui fournit un quart des besoins des Pays de la Loire en électricité d'atteindre la neutralité carbone grâce aux 160.000 tonnes de granulés produites par an. Il avait déjà enregistré une victoire importante en janvier dernier lorsque le ministère de la Transition écologique avait donné son feu vert, dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt (AMI), quelques jours après le début d'un mouvement de grève des employés.

Un coût d'environ 200 millions d'euros

Ecocombust a connu des rebondissements avant de se décanter au cours des derniers mois. Dans sa forme initiale, le projet était porté conjointement par EDF et Suez mais avait été abandonné par le gouvernement en juillet 2021, notamment en raison du retrait du Suez et d'un coût jugé trop élevé. En 2015, EDF avait d'abord investi 10 millions d'euros dans ce projet de conversion dans la foulée de la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Lorsqu'il a été relancé dans le cadre de l'AMI "pour le développement d'usines de granulés de biomasse traités thermiquement, prioritairement issus de déchets de bois", la seconde version du projet a pu compter sur l'arrivée de Paprec comme seul pilote, EDF se contentant d'apporter le foncier et les brevets du procédé Ecocombust.

Alors que le lieu d'implantation de l'usine a été décalé, l'entreprise de recylage a également verdi le projet en choisissant d'alimenter la chaudière qui produira la vapeur avec des combustibles solides de récupération (CSR). Au final, l'investissement total s'élèverait à 220 millions d'euros, entre les apports des groupes Paprec et EDF et l'aide publique française et européenne qui contribue à un tiers de la note au travers du Fonds pour une transition juste.

"L’ambition industrielle pour la décarbonation progressive de Cordemais se déploie dès 2023 en proposant une production d’électricité moins carbonée grâce à l’utilisation de jusqu’à 20% de biomasse en substitution du charbon, nous indique l'énergéticien. Une conversion totale à la biomasse d’ici 2027 nécessite de définir les modalités de régulation d’un tel fonctionnement."

Des projets antérieurs critiqués

Ecocombust n'est pas le premier projet de conversion de centrale thermique à la biomasse. Outre-Manche, des précédents ont été la cible de critiques sur plusieurs points. Les détracteurs des centrales à la biomasse leur reprochent notamment d'importantes émissions de particules fines, de lourds investissements pour éviter le phénomène de corrosion et deux centrales ont dû fermer après des incendies il y a quelques années. Surtout, le problème d'approvisionnement est pointé du doigt puisque pour s'alimenter en pellets, certaines infrastructures ont recours à des importations depuis d'autres pays européens, voire même depuis l'Amérique du Nord, ce qui dégrade leur bilan carbone.

Des installations françaises ont été confrontées à cette problématique. C'est le cas de l'unité exploitée par l'allemand Uniper à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, qui avait fini par perdre son droit d'exploitation en 2017, faute de ressources locales suffisantes et de concurrence avec d'autres activités pour en bénéficier.

A La Réunion, la conversion en cours des centrales thermiques ne permet pas une décarbonation totale puisque les pellets sont importés, entre autres des Etats-Unis et du Canada, dans l'attente du développement d'une filière durable en Afrique du Sud. En ce qui concerne Ecocombust 2, Paprec prévoit d'acheminer les déchets de bois d'ameublement ou de construction par bateau depuis la Bretagne et la Loire-Atlantique.

Timothée Talbi