Entreprises: le pilotage technique des bâtiments, solution miracle pour économiser l'énergie?

À l'origine de près d'un tiers de l'électricité consommée en hiver, le secteur tertiaire pourrait, selon RTE, faire "20% d'économies sans d'énormes efforts" avec "un peu de prise de conscience et de la gestion technique".

Un hiver sous moindre tension mais des économies d'énergie toujours nécessaires. C'est le constat et le rappel que font régulièrement membres du gouvernement et acteurs du secteur énergétique depuis plusieurs semaines. Les particuliers sont encouragés à renouveler les éco-gestes qui ont participé à réduire les consommations de gaz et d'électricité de 12% entre le 1er août 2022 et le 31 juillet dernier par rapport à la même période de 2018-2019 d'après les chiffres qu'avance la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.

Mais outre le résidentiel, c'est surtout le secteur tertiaire qui est de plus en plus sollicité pour prendre part aux efforts de sobriété énergétique. Il faut dire qu'il représente 30% de la consommation électrique en hiver et pourrait selon le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE faire "20% d'économies sans d'énormes efforts" avec "un peu de prise de conscience et de la gestion technique".

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"Le secteur tertiaire est ciblé car il est compliqué et très coûteux de changer les procédés techniques du secteur industriel et au niveau résidentiel, il est difficile d'obliger les particuliers à agir", explique Alric Marc, président et fondateur d'Eficia, un spécialiste de la gestion technique des bâtiments. Depuis dix ans, cette société propose à ses dizaines d'entreprises clientes des solutions de pilotage énergétique de leurs bâtiments afin d'en réduire la consommation et donc leur facture.

Un levier automatique avec l'IA et un levier "humain"

C'est lorsqu'il travaillait dans le secteur des installations photovoltaïques auprès d'entreprises qu'Alric Marc s'est rendu compte que celles-ci n'avaient aucune idée de leur niveau de consommation d'énergie et que lui est venue l'idée de créer Eficia. La société installe dans les bâtiments de ses clients des capteurs et actionneurs reliés à un système centralisé qui permet de connaître en temps direct les températures de chauffage, le système de climatisation ou encore l'éclairage des sites.

Grâce à l'intelligence artificielle, des "ordres" automatiques sous forme d'algorithmes peuvent être transmis aux différents équipements. "Mais il est aussi possible d'intervenir à distance, notamment en cas de dysfonctionnements, insiste Alric Marc. Il y a vraiment ces deux leviers, automatique et 'humain'."

"On connecte notre système aux équipements et on peut conseiller des changements en fonction du niveau de consommation observé."

La solution proposée par Eficia permet d'enregistrer une réduction de la consommation énergétique de 10 à 40% sur un parc immobilier en fonction du niveau de performance des bâtiments, un ordre de grandeur non-négligeable quand on le rapporte aux factures qui ont particulièrement grimpé depuis deux ans. "La COP21 et le Covid ont déclenché des prises de conscience au niveau des départements RSE qui ont mis en place des solutions, indique le patron. Mais la crise énergétique a mis un vrai coup de boost qui a fait monter la problématique aux directions financières, voire générales des boîtes."

Invité de l'émission 90 minutes Business mercredi, le directeur général Julien Bellynck souligne l'instabilité et la volatilité des prix de l'énergie: "Aujourd'hui, les acheteurs d'énergie ont beaucoup de mal à prédire et à anticiper le prix de demain. Le premier facteur est de limiter sa consommation pour se 'dé-risquer' sur la facture énergétique."

Baisse de 20% de la consommation… et de la facture

Aujourd'hui, Eficia pilote quelque 3.000 bâtiments, la grande majorité appartenant à de grands groupes, qui sont "les plus susceptibles d'avoir des coûts énergétiques importants", et qui opèrent dans les secteurs du retail ou encore de la logistique. Parmi ces entreprises, figure Cultura qui a équipé ses 105 magasins ainsi que son entrepôt et son siège social après 2017 afin de répondre à un triple enjeu: l'environnement, la consommation d'énergie et le confort des clients. "C'est difficile de tout gérer manuellement, d'autant plus avec les nombreuses contraintes réglementaires", estime Michael Gerbaud, directeur du service travaux, aménagements, maintenance et énergie.

"On a d'abord réalisé une expérimentation sur quatre bâtiments qui a nous a permis de constater une baisse de 20% de notre consommation par rapport à une année courante."

Ce recours à Eficia s'est inscrit dans une stratégie globale de réduction de la consommation d'énergie qui incluait également le passage de l'éclairage au 100% LED. "La gestion technique des bâtiments permet aussi de prioriser les investissements et de voir la pertinence des changements d'équipements, relève Michael Gerbaud. À l'heure des arbitrages budgétaires, on peut connaître précisément les gains potentiels."

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Même logique du côté du groupe Kingfisher dont la cheffe de groupe RSE Sandrine Lefebvre Rorive était également sur le plateau de 90 minutes Business mercredi. L'immobilière des enseignes Castorama et Brico Dépôt a ainsi supprimé ses chaudières à gaz, assure son alimentation par énergie hydraulique depuis 2020 et garde un oeil sur les techniques innovantes comme le rafraichissement naturel (nocturne) ou encore les peintures réflectives sur les toits.

"Toutes ces initiatives permettent d'atteindre les objectifs du groupe qui sont de réduire de 38% nos émissions carbone d'ici 2025 pour notre parc immobilier, précise Sandrine Lefebvre Rorive. À date, on a réduit notre empreinte carbone de 29% par rapport à 2016."

Maîtriser l'appel de charge sur le réseau électrique à terme

Le pilotage technique des bâtiments est amené à s'étendre de manière exponentielle dans les prochains mois. Après le décret tertiaire issu de la loi ELAN qui impose aux entreprises de réduire la consommation énergétique de leurs bâtiments de 40% d'ici 2030 par rapport à une année de référence sur la période 2010-2019, le décret BACS récemment mis à jour oblige les bâtiments dont la superficie est supérieure à 300 mètres carrés à mettre en place un système de pilotage intelligent pour leurs équipements de chauffage, de ventilation et de climatisation à horizon 2025 pour le parc existant, la loi étant déjà en vigueur depuis 2021 pour les nouveaux sites.

Eficia compte faire évoluer sa solution de pilotage technique des bâtiments en y intégrant la gestion de l'eau ou encore des déchets. L'entreprise souhaite également améliorer la maîtrise de l'appel de charge des bâtiments tertiaires sur le réseau électrique. "Sur le réseau électrique, RTE a quelques difficultés à équilibrer la production et la demande, note Julien Bellynck. La demande des bâtiments tertiaires est pile au moment où c'est le plus compliqué pour RTE, en particulier en hiver le matin, à l'heure du déjeuner et entre 17 et 20h."

"Le sujet de demain est donc de maîtriser cet appel de charge des bâtiments tertiaires en utilisant l'inertie thermique des bâtiments, c'est-à-dire le surchauffer aux heures où le réseau électrique est détendu pour arrêter les systèmes de chauffage une heure ou deux [quand il est sous tension]."

À cet égard, le second levier majeur réside dans le stockage de l'énergie au sein du bâtiment afin de "pouvoir quasiment le déconnecter du réseau pendant quelques heures pour éviter de sursolliciter le réseau, typiquement entre 17 et 19 heures l'été ou entre 8h et midi le reste de l'année." "On charge les batteries la nuit et on déconnecte le bâtiment aux heures les plus tendues, résume le directeur général d'Eficia. C'est le bâtiment connecté et piloté de demain et il faut des solutions de stockage en local."

Timothée Talbi