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Electricité: comment la France a-t-elle échappé au pire cet hiver?

À quatre jours du début du printemps, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité a dressé un bilan de l'hiver 2022-2023. Il en ressort que plusieurs facteurs ont permis à la France d'échapper à l'activation d'alertes ecoWatt.

Il y aura vraisemblablement un avant et un après hiver 2022-2023 pour le système électrique français. C'est l'un des grands enseignements de la dernière conférence de presse hivernale du gestionnaire du réseau de transport d'électricité. "Nous savons aujourd'hui mieux contrôler notre consommation d'électricité dans tous les secteurs", se réjouit Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE, rappelant que la France avait connu des crises de production électrique sans précédent depuis 35 voire 45 ans pour le nucléaire ou l'hydraulique.

Mais qu'en aurait-il été si la France n'avait pas baissé sa consommation, de manière subie ou volontaire? Si l'Hexagone n'avait pas eu les mêmes capacités d'importations massives? D'après RTE, le pays a échappé à 12 signaux ecoWatt rouge cet hiver et a su montrer sa résilience en passant certains pics de consommation malgré la tension.

Les facteurs d'incertitude écartés un à un

Il faut dire que l'inquiétude était de taille au moment d'aborder la période hivernale en raison des nombreux facteurs d'incertitude sur les principaux déterminants de la sécurité d'approvisionnement, à commencer par la disponibilité du parc nucléaire. À cette dernière s'ajoutaient les risques de tension sur l'approvisionnement en gaz et sur les échanges européens d'électricité, mais aussi l'ampleur de la réponse des Français, des entreprises et des collectivités aux hausses des prix de l'électricité et aux appels à la sobriété, sans oublier la rigueur de l'hiver.

"Nous avions alerté sur la possibilité de traverser l’hiver avec entre 0 et 28 alertes Ecowatt", rappelle Xavier Piechaczyk.

Finalement, la disponibilité effective du parc nucléaire a été conforme à la prévision centrale de RTE, l'interconnexion des pays européens, aussi bien en électricité qu'en gaz, a fonctionné de manière fluide, sans restriction des échanges et malgré des prix du gaz particulièrement élevés. Par ailleurs, la consommation d'électricité a diminué de manière inédite durant la période tandis que l'hiver a été relativement doux malgré quelques périodes de froid marquées.

Un effet "crise énergétique" trois fois plus important que l'effet météo

Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité a donné des premiers éléments sur le rôle des facteurs météorologiques dans cette diminution de la consommation sur l'hiver 2022-2023 par rapport à la moyenne historique. Entre mi-octobre et mi-novembre puis de Noël à début janvier, les phases de températures élevées par rapport aux moyennes de saison ont davantage pesé que les phases de températures froides, sur la deuxième semaine de décembre et entre fin janvier et début février.

>> Retrouvez notre tableau de bord de la consommation d'énergie en France et l'évaluation des risques de coupures.

"Cet effet météo net a contribué à hauteur de 7 TWh à la baisse de la consommation", indique Thomas Veyrenc, directeur exécutif Stratégie, prospective et évaluation. Une contribution relativement maigre comparée à celle de l'effet de la crise énergétique qui est estimée à 20 TWh, soit trois plus que l'effet météo.

"L’industrie est très sensible aux augmentations des prix, il y a eu des effets économiques pour les acteurs résidentiels et tertiaires et aussi des effets de la chasse au gaspillage", explique Thomas Veyrenc.

RTE note que la diminution de la consommation concerne tous les types de consommation avec une intensité variable selon les périodes. En semaine chaude, l'effet de l'industrie a plutôt été stable au cours de l'automne et de l'hiver. Il n'est pas sensible aux variations météo et est plus marqué sur quelques grands sites de la grande industrie que sur la petite. L'effet sur le tertiaire et le résidentiel est plus marqué lors des périodes froides avec une consommation dans ces secteurs plus sensible à la météo et un chauffage qui représente le levier principal de réduction de consommation activé. Une réaction cohérente avec les mesures du plan sobriété.

Des signaux ecoWatt orange et rouge sans modification de la consommation et un certain niveau d'importation

Mais l'hiver n'a pas été un long fleuve tranquille pour le système électrique français. Jean-Paul Roubin, directeur exécutif Clients, marchés et exploitation, est ainsi revenu sur la journée du 12 décembre qui a été celle avec la consommation réalisée la plus élevée, mais n'a pas entraîné de signal ecoWatt orange ou rouge. Pour satisfaire la forte demande ce jour, la France a pu solliciter son levier nucléaire à hauteur de 40 GW produits, ce qui reste 10 GW en dessous de la moyenne historique à cette période. Jusqu'à 16 GW provenaient de la part hydraulique, fortement sollicitée tout au long de la journée pour limiter le recours aux importations dont l'apport est resté concentré sur la matinée à hauteur de 10 GW. Enfin, les 3,5 GW issus du solaire le jour suivis des 5 GW d'éolien en soirée ont permis de soulager les stocks hydrauliques. Enfin, les centrales fossiles, au gaz surtout, mais aussi un peu au fioul et au charbon, sont intervenues.

"Les importations provenaient de tous les pays mais le Royaume-Uni était aussi en tension le 12 décembre, donc la France a importé peu d'électricité d'outre-Manche."

Globalement, les baisses de consommation dues au signal prix et à la sobriété et la mobilisation lors des jours de tension indiqués par ecoWatt ont permis de réduire le risque de tension et de repousser le risque de délestage. Dans les faits, la baisse et le décalage de la consommation conjugués aux 15 GW importés ont permis de ne pas activer d'alerte. Mais la moindre modification d'un de ces deux facteurs aurait pu changer la donne. Ainsi, cinq signaux ecoWatt orange auraient été émis en cas d'importations réduites de moitié. Sans baisse ni décalage de la consommation, leur nombre aurait grimpé à 7 avec 2 signaux rouges en plus. Enfin, la combinaison des deux facteurs aurait abouti à 8 signaux orange et 12 rouges durant l'hiver.

Un épisode encourageant en vue des suivants

Pour le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, l'hiver 2022-2023 peut pousser à l'optimisme concernant les prochains hivers sur le plan électrique. "L’Europe de l’électricité est concrète: l’électricité va vers les pays qui en ont le plus besoin sur le moment, observe Xavier Piechaczyk [...] Il est indéniable que la disponibilité du nucléaire reste un facteur clé comme celui du développement des renouvelables." Le président du directoire de RTE estime que le secteur tertiaire représente un levier de taille pour chercher d'importantes économies de consommation. Il prévoit de poursuivre les études d'analyse de la consommation afin de déterminer la structure de la sobriété entre "ce qui relève du conjoncturel et ce qui peut devenir du structurel".

"Tous les pays européens ont baissé leur consommation d’électricité, la France un peu plus que les autres alors qu’il y avait des dispositifs d’aide, ce qui montre qu’il y a des effets entraînants en dehors du seul effet prix", ajoute Thomas Veyrenc.

En pleine vague d'inquiétude autour de nouvelles fissures importantes dans trois réacteurs nucléaires, le directeur exécutif Stratégie, prospective et évaluation a adopté un discours rassurant sur les potentielles retombées de ces découvertes: "Il faut avoir conscience que ces fissures ne sont pas une nouvelle de la même ampleur que lorsqu’on a découvert le phénomène de corrosion sous contrainte. À date, je pense que ça ne change pas fondamentalement la vision qu’on a de l’hiver 2023-2024."

Timothée Talbi