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Carburant: pourquoi les marges des raffineurs augmentent depuis plusieurs mois

La récente annonce gouvernementale d'une autorisation de la vente "à perte" de carburant de la part des distributeurs intervient dans un contexte de fort rebond des marges perçues par les raffineurs depuis la fin du printemps.

Les automobilistes le constatent dépuis plusieurs mois en se rendant à la pompe: après une légère accalmie début 2023, les prix des carburants repartent à la hausse. D'après les dernières données publiées par le ministère de la Transition écologique ce lundi, le litre de gazole pointe désormais à 1,93 euro après une hausse hebdomadaire de presque cinq centimes, soit légèrement moins que le litre de sans-plomb SP95-E10 qui se situe à 1,94 euro. Et les perspectives ne sont pas réjouissantes alors que le baril de Brent flirte avec les 95 dollars en ce début de semaine.

Refusant de remettre en place des ristournes pour des raisons budgétaires, le gouvernement s'est tourné vers un autre levier pour orienter les prix à la baisse dans les stations-essence. Comme annoncé le week-end dernier par la Première ministre Elisabeth Borne, il souhaite ainsi autoriser les distributeurs à pratiquer de la vente "à perte" à partir de début décembre et ce pour une durée de six mois comme l'espère le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. Mais un autre composant du prix des carburants fait l'objet d'une attention particulière de la part de l'exécutif et pourrait éventuellement faire l'objet de mesures supplémentaires: les marges des raffineurs. Et pour cause, ces marges ont enregistré un rebond conséquent au cours des derniers mois.

Déjà une croissance conséquente en 2022

En mars dernier, l'Union française des industries pétrolières (Ufip Energies et Mobilités) indiquait déjà que la marge brute -c'est-à-dire la différence le prix d'achat du pétrole brut et le prix de vente du produit fini- avait atteint 101 euros par tonne sur l'année 2022... contre 14 euros en 2021.

Même en retirant les coûts d'achat de gaz, d'électricité, de quotas de CO2, la marge nette a grimpé à 75 euros durant la crise énergétique qui s'est accentuée avec l'invasion de l'Ukraine pour se stabiliser autour de 40 euros un an plus tard, là où elle oscillait entre 25 et 30 euros auparavant.

Outre un effet de rattrapage des pertes enregistrées pendant la pandémie, les pétroliers ont répercuté le renchérissement des importations de brut non russe sous l'effet de la mise en place de l'embargo. Ils ont aussi profité du pessimisme des marchés qui anticipaient des manques de gazole, la Russie étant un important fournisseur historique pour la France (30%) et plus globalement pour l'Europe (environ la moitié). Bien que ces manques n'aient finalement pas été constatés, les anticipations des marchés ont poussé les prix des carburant à la hausse, si bien que les marges de distribution ont fini par varier entre 6 et 7 centimes par litre de carburant et ce, après les remises à la pompe de l'Etat.

Une demande forte et des problèmes d'offre à travers le monde

Au début de l'année 2023, les marges brutes ont chuté pour revenir à un niveau "quasi-normal" au mois d'avril, autour de 25 euros par tonne. Mais elles ont fini par repartir de plus belles pour renouer avec leur niveau observé à la fin de l'année 2022, légèrement supérieur à 120 euros. Cette flambée a plusieurs explications.

D'une part, la demande mondiale est orientée à la hausse et doit renouer avec son niveau d'avant-Covid en 2023 en dépassant le seuil symbolique des 100 millions de barils consommés par jour.

Auprès des Echos, le président exécutif de l'Ufip EM Olivier Gantois mentionne également un problème du côté de l'offre avec "des indisponibilités imprévues dans plusieurs raffineries de la région d'Anvers et de Rotterdam" où Shell a dû arrêter l'une de ses unités début juin en raison d'une fuite sur son installation. Ce problème d'offre et de stocks disponibles s'observe à l'échelle internationale. On peut aussi citer la plus grande raffinerie d'Afrique, celle de Dangote au Nigéria, qui tarde à démarrer ou encore les craintes vis-à-vis de la saison des ouragans qui pourrait perturber les capacités de raffinage des installations texanes.

Des répercussions supérieures à 10 centimes par litre

De leur côté, les acteurs du secteur se défendent d'enregistrer des marges excessives. Interrogé par TF1 en mai dernier, Totalénergies indiquait que ses marges étaient "globalement tout le temps de 1 centimes par litre" tandis que le patron de Système U Dominique Schelcher assurait que sa politique de prix n'avait "pas changé" et que ses marges étaient "faibles".

Plus récemment, sur notre antenne, le président national des distributeurs de carburants et d'énergies nouvelles au syndicat Mobilians Francis Pousse a rappelé que les marges des stations-service indépendantes, qui représentent la moitié des quelque 10.000 sites de l'Hexagone, oscillaient entre 1 et 2 centimes.

"Quand vous passez de 50 à 100 euros par tonne, le prix au litre à la pompe augmente de plus de 10 centimes", déplorait Français Carlier, délégué général de la CLCV, dans les colonnes du Parisien la semaine dernière.

Mais ces hausses de marges peuvent également profiter à l'Etat si l'on se fie à l'exemple de Totalénergies. Le géant pétrolier a généré un bénéfice d'environ 350 millions d'euros l'année dernière en France, bénéfices hexagonaux qui n'existaient pas lors des trois derniers exercices et sur lesquels il paiera donc des impôts pour 2022. Par ailleurs, selon des spécialistes de l'industrie, l'ensemble des facteurs expliquant les hausses des marges de raffinage sont de nature conjoncturelle, ce qui permet d'espérer un ralentissement voire un nouveau retournement à la baisse dans les prochains mois.

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La menace d'une reconduction de la taxe exceptionnelle

Il s'agit en tout cas de l'argument qu'avancent les géants pétroliers face à une menace que continue de laisser planer l'Etat: la reconduction de la taxe exceptionnelle sur les raffineurs et producteurs de pétrole brut qui avait été instaurée l'année dernière. Nommée "contribution temporaire de solidarité", cette disposition traduisait un réglement européen qui mettait en place la taxation exceptionnelle des activités de production et de raffinage en s'appliquant aux superprofits de 2022... et éventuellement de 2023. Ce dispositif fiscal doit rapporter quelque 200 millions d'euros.

Jeudi dernier, Bruno Le Maire avait assuré que toutes les décisions nécessaires seraient prises "pour éviter qu'il y ait des profits excessifs". "Notre travail est d’analyser les choses, a ajouté dans la foulée Bercy, sollicité par Le Parisien. On va regarder les marges et la possibilité de le faire si elles sont excessives [...] On a la possibilité de le faire juridiquement, mais ce n’est pas la piste privilégiée."

Pour justifier cette modération, le ministère de l'Economie et des Finances met notamment en avant le fait que le seul raffineur français, Totalénergies, a conservé des sites sur le territoire hexagonal. Il y a quelques jours, le géant pétrolier français a également annoncé la prolongation de son plafonnement des prix des carburants à 1,99 euro dans ses stations.

Timothée Talbi