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Défense

Comment la France compte s'engager dans une "économie de guerre"

La France entre dans une "économie de guerre" pour permettre à l'industrie de défense d'augmenter cadences et capacités de production. La DGA pourrait créer un "défense act" en s'inspirant du modèle américain.

Mobilisation générale dans l'industrie de l'armement. Lundi, sur le salon Eurosatory, Emmanuel Macron, chef de l'Etat et chef des Armées, a fait la déclaration qu'attendaient les militaires et l'industrie de défense en annonçant son intention de réévaluer la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 pour "ajuster les moyens aux menaces", sur fond de guerre en Ukraine.

Mais au-delà d'une révolution budgétaire, c'est avant tout une réorganisation industrielle d'ampleur qu'il faut mener pour mettre en place une véritable économie de guerre dans laquelle la France est "durablement" entrée avec le conflit en Ukraine, selon Emmanuel Macron. Et l'industrie de défense va devoir augmenter rapidement ses cadences, mais aussi ses capacités de production.

"On ne peut plus vivre avec la grammaire d'il y a un an", estime le chef de l'Etat en inaugurant le salon Eurosatory. La LPM déjà ambitieuse et parfaitement tenue par Florence Parly, ex-ministre des Armées, doit désormais être "ajustée" pour faire face aux aux "menaces".

Produire plus de munitions et plus vite

Après s'être serrée la ceinture durant des années et une remontée en puissance des crédits amorcée en 2017, la Défense va bénéficier de trois milliards d'euros supplémentaires pour chacune des trois prochaines années, afin de porter le budget à 50 milliards d'euros en 2025.

"Au-delà de la question de la quantité de moyens" pour les armées, il s'agit, selon le ministre des Armées Sébastien Lecornu, de dire "à quel endroit exactement on veut mettre les moyens".
"Aux industries de se préparer à tenir, peut-être tenir des programmes (d'armements) parfois plus courts dans la durée" et d'"être capables aussi parfois de massifier", de produire davantage, décrypte-t-il auprès de l'AFP. "Cette économie de guerre va également passer par une réflexion sur nos stocks stratégiques", ajoute-t-il.

Le conflit en Ukraine le montre: les consommations de munitions (obus, bombes et missiles) sont effarantes lors d'un conflit de haute intensité. De quoi consommer très rapidement les maigres stocks français. En mars dernier, Christian Cambon, président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense, révélait que qu'en cas de conflit de haute intensité, le stock de munitions des armées françaises ne permettrait de tenir que quelques jours.

Selon le sénateur LR, la France manque "d'épaisseur" en matière de munitions et ne pourrait donc pas "soutenir un conflit de longue durée". Selon lui, le stock permettrait de tenir au mieux "deux semaines".

Reconstituer des stocks stratégiques

Pour le général Charles Beaudouin, ancien patron de la section technique de l'armée de Terre et aujourd'hui directeur général de Coges Events, organisateur d'Eurosatory, "la première priorité est de combler les trous: il faut lancer rapidement des acquisitions de rechanges et de munitions". "On peut espérer en trois ans avoir des livraisons conséquentes et reconstituer des stocks stratégiques", dit-il.

Mais il met en garde contre un "effet d'éviction" sur certains programmes d'armements si les budgets n'augmentent pas, "alors qu'on est déjà dans une LPM de réparation" de capacités militaires affaiblies au cours du temps.

Le député (LR) Jean-Louis Thiériot, auteur en février d'un rapport sur la haute intensité, évalue "entre 3 et 6 milliards d'euros, en plus des 3 milliards déjà budgétés dans la LPM", les besoins pour reconstituer les stocks français de munitions. Il faut en effet compter quelques milliers d'euros par obus d'artillerie, près de 200.000 euros pour un missile antichar MMP/Akeron, 132.000 euros pour un missile anti-aérien Mistral, selon des estimations de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Toutefois, le problème est avant tout industriel. Du fait des délais d'approvisionnement pour certains composants et matières premières, il faut deux à trois ans pour fabriquer une munition dite "complexe", comme un missile.

Pour les entreprises du secteur, remonter en puissance requiert de la prévisibilité, donc des commandes, pour pouvoir mobiliser leur chaîne de fournisseurs. L'outil industriel s'adapte à ce que l'Etat lui demande. Avec l'étalement des commandes depuis plus de 20 ans pour des raisons budgétaires, "on a appris à travailler lentement, c'est plus difficile de remonter en cadence que de ralentir", explique un industriel sous couvert d'anonymat.

Et "produire des armes est interdit par la loi, donc on ne peut pas produire des armes en avance et les stocker, s'il y a pas un contrat en face", rappelait le PDG du fabricant de missiles MBDA, Eric Béranger, lors d'une récente audition au Sénat. "La seule chose qu'on peut stocker sont des composants, qui après devront être assemblés."

Réquisitionner des entreprises civiles

Pour pouvoir remonter en puissance rapidement en cas de besoin, la Direction générale de l'armement (DGA) travaille sur une version française du Defense Priorities and Allocations System Program (DPAS) mis en place par les Américains dès les années 50. Selon Le Monde qui dévoile ce programme, il va s'agir de réquisitionner dans certaines circonstances des matériaux ou des entreprises civiles pour les besoins militaires.

Avec ce dispositif, l'Etat pourrait imposer aux entreprises qui travaillent à la fois dans le civil et le militaire de privilégier l'activité défense en utilisant les lignes de production civiles. Plusieurs milliers d'entreprises seraient concernées avec en tête Thales, Dassault Aviation ou Aubert & Duval.

Celles qui ne travaillent que sur le militaire devront, selon Alexandre Lahousse, ingénieur général de l’armement (IGA), chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la DGA, "anticiper le transfert de certaines catégories d’employés très spécialisés d’une chaîne à une autre, en développant leur polyvalence".

Elles devront aussi se mettre en veille pour "identifier quelles sociétés ayant des compétences proches pourraient fournir une capacité supplémentaire". Ainsi, l'Etat pourrait réquisitionner une entreprise civile afin d'aider une entreprise de l'armement à produire plus et plus vite.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama avec AFP Journaliste BFM Éco