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Carlos Ghosn raconte les détails de son évasion du Japon et dénonce le "lâchage" de Bruno Le Maire

Interrogé par Le Parisien, l'ancien patron de l'alliance Renault-Nissan accusé de malversations financières dévoile les coulisses de son évasion du Japon en novembre 2019, expliquant avoir voulu fuir parce qu'il n'avait "aucune chance d'obtenir un traitement équitable". Il charge également le ministre de l'Economie qu'il accuse de l'avoir lâché.

"Lorsque vous avez perdu tout espoir, vous êtes prêt à embarquer sur des opérations très risquées". Dans un entretien fleuve accordé au Parisien ce dimanche, Carlos Ghosn dévoile les coulisses de sa fuite rocambolesque du Japon en novembre 2019. L'ancien patron de l'alliance Renault-Nissan qui était assigné à résidence pour des soupçons de "malversations financières" raconte avoir "pris la décision de s'échapper quelques semaines avant (son) départ, en arrivant à la conclusion qu'(il) n'avait aucune chance d'obtenir un traitement équitable".

Celui qui vit désormais au Liban dit avoir envisagé "plusieurs options" pour s'échapper. "D'abord, une sortie par la mer. Nous l'avons étudiée pendant quelque jours, mais nous l'avons écartée parce qu'elle prenait trop de temps. Entre le moment du départ et de l'arrivée, les autorités japonaises pouvaient intervenir", raconte-t-il.

"J'étais recroquevillé, dans l'obscurité"

Carlos Ghosn choisira finalement de fuir par les airs, à bord d'un jet privé depuis l'aéroport de Kansaï, à Osaka. Après avoir pensé à se "faire passer pour un membre de l'équipage, car les douaniers ne regardaient pas tout le temps aux contrôles", l'homme d'affaires retient finalement "l'option de la malle", dont il a lui-même "fixé les détails". "Tout est parti de l'observation faite dans cet aéroport que les caisses n'étaient pas systématiquement passées aux rayons X", se souvient-il.

A l'intérieur de la malle, "j'étais recroquevillé, dans l'obscurité", détaille l'ancien patron de Renault-Nissan. Et d'ajouter: "Mais à l'écoute, je savais à quelle phase du plan je me trouvais. Quand j'ai entendu le bruit du moteur de l'avion, je savais que j'étais déjà sur la piste. Quand la malle s'est inclinée, cela voulait dire que j'étais en train de monter dans le compartiment bagage".

Durant le voyage, caché dans la soute, Carlos Ghosn dit ne pas avoir "eu peur de manquer d'oxygène". "Il faisait froid, mais par rapport à ce que j'avais vécu, ce n'était ça qui allait m'inquiéter. J'étais tellement outré de la façon dont j'étais traité qu'il n'y avait pas de place pour la crainte", explique-t-il encore.

La charge de Carlos Ghosn contre Bruno Le Maire

Lors de son incarcération dans une prison de Tokyo en novembre 2018, Carlos Ghosn affirme avoir "reçu l'appui de Renault et de l'Etat français". "Ensuite, il y a eu abandon", déplore-t-il. Selon lui, "cela a été décidé début janvier 2019, lors d'une réunion au ministère des Finances. C'était le moment où les gilets jaunes effrayaient le pouvoir. Alors Carlos Ghosn, le grand patron, les salaires élevés... Vous pensez que des politiquement agissent indépendamment du contexte? Il faut être sérieux".

L'ancien PDG estime que "cela arrangeait tout le monde de (le) laisser tomber et de nommer quelqu'un de beaucoup plus malléable". Il s'en prend tout particulièrement à Bruno Le Maire qui a déclaré "faire confiance à la justice japonaise". "Et quelques semaines après, alors que j'étais à la prison de Kosuge, on est venu m'avertir qu'il y avait un contrôle fiscal. Après le lâchage, le temps était venu de monter un dossier contre moi", poursuit-il.

Carlos Ghosn n'est pas tendre avec le ministre de l'Economie à qui il reproche d'avoir "ordonné" ce contrôle fiscal. "C'est lui qui a donné une consigne claire à deux membres du conseil d'administration de Renault: 'On abandonne Carlos Ghosn, on ne peut plus le soutenir'", raconte l'ancien patron, ajoutant que Bruno Le Maire "est celui qui s'est manifesté de la manière la plus hostile, à ma grande surprise".

"Est-ce que Bruno Le Maire a pris la décision seul? Est-ce qu'il a reçu des ordres? Je n'en sais rien. Mais il est au centre de tout ça. Ce ne sont pas des accusations, ce sont des faits, avec des témoins. Les langues vont se délier avec le temps et nous saurons pourquoi la France m'a lâché", déclare encore Carlos Ghosn.

"Je n'ai pas fait une croix sur la France"

Aujourd'hui, Carlos Ghosn qui dit avoir "perdu une très grande partie de ce qu'(il) a économisé pendant (sa) vie" estime que sa chute "est liée à une affaire politique". Installé au Liban depuis son évasion, il n'exclut pas de revenir en France même si "pour l'instant, je ne peux pas revenir" à cause d'une "notice rouge d'Interpol (...) faite à la demande du Japon", souligne-t-il.

Mais "je suis Français, j'ait été éduqué en France, j'ai vécu en France, j'ai un attache profonde. La France est là, elle reste, les gouvernements, eux, passent. Bien sûr que le jour où je pourrai, j'irai en France. Je suis Français, je n'ai pas fait une croix sur la France", conclut-il.
https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco