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Pourquoi l’Union européenne ne parvient pas à reprendre sa souveraineté dans les paiements

L'UE ne parvient pas pour le moment à ne plus dépendre des géants Visa et Mastercard

L'UE ne parvient pas pour le moment à ne plus dépendre des géants Visa et Mastercard - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

[AVIS D'EXPERT] L'Europe dépend aujourd'hui des systèmes de paiement américains Visa et Mastercard. Et elle ne parvient pas à mettre en place un système commun européen. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Il y a déjà longtemps que l’idée d’un système européen des paiements par cartes est apparue. Elle se heurte néanmoins à deux réalités assez incontournables, que constatait notamment le projet Monnet lancé en 2008 puis abandonné: chaque pays de l’UE a son ou ses propres systèmes de paiement qu’il serait complexe et coûteux de plier aux mêmes normes, pour une valeur ajoutée finale, au niveau des consommateurs, peu apparente.

Le problème reste que ces systèmes sont peu connectés les uns aux autres. Au sein de la zone euro, dix pays ont encore des réseaux de paiement – on parle de "schèmes" - qui n’acceptent pas les cartes émises par les autres pays. Force est donc d’avoir recours aux deux géants américains Visa et Mastercard, qui gèrent l’essentiel des paiements frontaliers par cartes en Europe.

Et c’est ainsi que l’idée d’un schème européen a incidemment été ravivée en 2018 par… Donald Trump. Avec le retrait américain des Accords de Vienne sur le nucléaire iranien, en effet, le président des Etats-Unis a menacé d’obliger Visa et Mastercard à couper l’accès à leurs réseaux aux pays qui continueraient à commercer avec l’Iran. La menace n’a pas été mise à exécution mais, en juillet 2020, 16 banques de 5 pays européens (dont les six plus grands groupes français) ont proposé de lancer, sur la base du système européen de paiements instantanés (SEPA Instant Credit Transfer), une European Payment Initiative (EPI), qui a immédiatement reçu l’appui des autorités monétaires européennes.

Une improbable unification

Le projet était ambitieux : créer un schème de paiements par carte européen ayant vocation à remplacer les schèmes nationaux existants, comme le Girocard allemand ou le Groupement Carte Bancaire français, voire même d’intégrer tous les paiements réalisés à l’échelle de l’UE. Un schème capable de se substituer à Visa et Mastercard. Mais un projet qui vient d’être abandonné le mois dernier, après le retrait de la plupart des 31 banques qu’il avait ralliées, qui ne sont plus que 13 aujourd’hui (dont toujours les principales françaises).

Echec ou sanction d’une erreur d’orientation que l’on peine à comprendre? Car, bien entendu, le projet s’est heurté aux mêmes incertitudes quant au remplacement des systèmes existants et quant à sa valeur économique finale. Mais surtout, pourquoi plutôt que connecter et harmoniser des systèmes nationaux, avoir voulu les remplacer? Dès lors que les besoins des consommateurs sont satisfaits, sur quelles bases économiques pensait-on pouvoir ainsi concurrencer Visa et Mastercard, au moment où les usages des paiements explosent et où les coûts, notamment de sécurité, des transactions par carte en ligne ne cessent d’augmenter? Pourquoi un impératif de souveraineté a-t-il conduit à viser une improbable unification, selon une logique quasiment de marque?

En retard d'une guerre

Désormais, l’EPI va se rabattre sur deux projets, dont celui d’un portefeuille électronique européen, dont, pour les mêmes raisons, on peine à saisir l’intérêt et même l’utilité. Il a été dit qu’il pourrait servir à diffuser le futur (et à ce stade éventuel) euro numérique. Pourquoi donc faudrait-il créer un portefeuille numérique spécifique à cet effet? Cela semble témoigner d’une vision toute centralisatrice, face à laquelle nous soulignions dans un précédent article l’approche bien plus pragmatique de la Fed et l’intérêt, dans ce contexte et pour le même but, des banques américaines pour les stable coins.

Aujourd’hui, à l’heure de "l’open banking", l’enjeu n’est pas de monter de pharaoniques réseaux centralisés mais d’assurer la compatibilité et l’interopérabilité des réseaux et systèmes existants. Il est difficile d’assurer sa souveraineté quand on est en retard d’une guerre.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor