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Les banques vont-elles résister à la crise du pouvoir d'achat de leurs clients?

Quel impact peut avoir la réforme des retraites sur le pouvoir d'achat immobilier des séniors ?

Quel impact peut avoir la réforme des retraites sur le pouvoir d'achat immobilier des séniors ? - @Istock

[AVIS D'EXPERT] Face à des contraintes budgétaires de plus en plus fortes, les ménages puisent dans leurs réserves et s'adaptent. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

L’année dernière, la plupart des grandes banques françaises ont encore enregistré, dans l’ensemble, de bons résultats. Cela peut-il durer? Plusieurs publications récentes décrivant la situation financière des Français face à la dégradation de leur pouvoir d’achat lancent un certain nombre d’alertes.

Cette situation peut être résumée en deux mots: attentisme et stagnation. Dès lors que seulement 19% des ménages (11% des ménages modestes, soit les trois premiers déciles) ont pu bénéficier d’une augmentation de leur rémunération en 2023, l’heure est au report des dépenses ou au renoncement.

Selon l’enquête Cofidis sur le moral des Français, 54% d’entre eux n’ont pas de projet nécessitant un budget important en 2024. Tandis que 78% vont s’efforcer de réaliser davantage d’économies tout au long de l’année. Selon une étude du Credoc commanditée par la Banque de France, 58% des Français, dont 71% des ménages modestes ont repoussé certaines dépenses ou bien y ont renoncé. Pour la première année, note en ce sens le second baromètre digital & payments de l’Observatoire BPCE, le commerce en ligne stagne. En 2023, sa part de marché dans l’ensemble des dépenses de consommation des Français s’est stabilisée à 27%.

Le discount à la conquête des cadres

Bref, tout le monde puise dans ses réserves et économise. Côté commerces, le discount se porte très bien et, comme le souligne l’Observatoire BPCE, mêmes les cadres et professions intellectuelles supérieures des grandes métropoles s’y sont désormais convertis (+30% de dépenses en 2023).

En fait, si l’on regarde tous ces chiffres dans le détail, les signaux sont proprement alarmants. L’année dernière, 36% des ménages ont dû recourir à des arrangements bancaires ou de paiement. Le renoncement à des courses alimentaires a concerné 30% des ménages, dont 42% des ménages modestes – oui, vous avez bien lu, près de la moitié des ménages modestes! Par ailleurs, 22% des ménages ont renoncé à des soins de santé (30% des ménages modestes).

L’Observatoire BPCE relève qu’en dépit des contraintes, les dépenses de consommations hédonistes liées notamment à la convivialité, aux sorties, aux voyages ou à l’évasion virtuelle (divertissements numériques) ou encore à l’image de soi, se sont plutôt bien maintenues l’année dernière. Mais combien de ménages cela concerne-t-il? Pour autant, le besoin de socialisation semble bien réel: pour vivre, 15% des ménages (24% des ménages modestes) ont sollicités l’aide de proches. Difficile d’être seul en temps de crise. Est-ce pourquoi les dépenses sur les sites de rencontres en ligne ont été multipliées par 2,5 depuis 2019, selon l’Observatoire BPCE?

Paiement fractionné et découvert

De plus en plus de Français vivent d’expédients : appel aux aides sociales et d’urgence, non-paiement de factures (17% des ménages et 26% des ménages modestes). Et dans un tel contexte, qui ne peut guère être durable, l’un des derniers et seuls bastions intouchables concerne les animaux de compagnie, pour lesquels les dépenses ne cessent d’augmenter ces dernières années (+16% en 2023).

Faut-il ranger parmi les expédients le recours au paiement fractionné (23% des ménages), qui n’est pas sans risques mais qui a dépassé l’utilisation du découvert en 2023 (20% des ménages)?

Dans son rapport 2023, l’Observatoire de l’inclusion bancaire a relevé une relative stabilité des incidents bancaires, de paiement comme de crédit. Trouvant cela étonnant, compte tenu du contexte, la Banque de France a commandité l’enquête du Credoc pour comprendre comment les Français s’arrangent en temps de crise de leur pouvoir d’achat. Mais est-ce vraiment étonnant? Les Français savent que les incidents bancaires coûtent cher et ils les évitent particulièrement… tant qu’ils le peuvent.

Par rapport à plusieurs autres pays, les banques françaises ont pris un certain retard sur les outils de gestion de dépense et de budget mis à la disposition de leurs clients – des outils que beaucoup de consommateurs n’adoptent ni spontanément, ni facilement et qui ont donc connu différentes étapes de développement que l’on n’a pratiquement pas vues en France. Du coup, les banques françaises ont peu accompagné leurs clients (sauf les plus fragiles) face à la crise de leur pouvoir d’achat. De sorte que c’est à partir de TikTok, il y a deux ans, que beaucoup de ménages ont repris la vieille habitude de scinder leurs revenus en enveloppes par types de dépenses.

Et finalement, pour les banques de détail, le contexte actuel va inévitablement se traduire par des dépenses et des demandes de crédit en berne, ce qui signifie des marges en baisse et des risques en hausse. Les temps sont durs pour tout le monde.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor