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La fin d’Orange Bank, symbole de la fin des banques en ligne?

[AVIS D'EXPERT] BNP Paribas est entré en négociations exclusives avec Orange Bank pour récupérer ses clients. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Clap de fin! Après la décision prise par le conseil d’administration d’Orange le 28 juin 2023, on s’achemine visiblement vers un arrêt des activités d’Orange Bank, une partie de ses 2,6 millions de clients étant invités à rejoindre Hello Bank de BNP Paribas. Nous n'en sommes toutefois encore qu'au stade des négociations exclusives entre les deux groupes.

De nombreux osbervateurs estiment que c'est l’échec d’Orange Bank, ce qui est pourtant discutable. Car lancer une banque en France aujourd’hui coûte très cher et prend toujours plus de temps que ce qui était planifié. Orange Bank a enregistré, depuis son démarrage, un milliard de pertes. Mais si l’on y voit un investissement, une telle somme n’a rien d’extravagant par rapport à la plupart des autres banques en ligne, pas davantage rentables quoique nettement plus anciennes souvent qu’Orange Bank.

On peut donc considérer que, pour cette dernière, d’autres scénarios d’évolution étaient envisageables et moins onéreux. Toutefois, la décision d’Orange marque la reconnaissance par la nouvelle équipe dirigeante que la banque représente un marché difficile et n’est pas du tout son métier. L’équipe précédente voyait les choses autrement et cette nouvelle position représente en fait un changement considérable.

20 ans plus tard

En effet, si l’on se réfère aux tout débuts de la banque en ligne dans les années 2000, il aura fallu quand même vingt ans pour que l’on se rende à l’évidence et que l’on cesse d’admettre communément que les banques sont nulles, incapables d’évoluer, tandis que le public serait impatient de changer de fournisseurs financiers. Vingt ans plus tard, le constat est sévère: les banques en lignes rognent leurs tarifs au maximum et recrutent leurs clients à coup d’offres de bienvenue et de parrainages onéreux. Or, malgré cela, au bout de vingt ans, moins d’un tiers (28%) des Français sont clients d’une banque en ligne et seulement 5% ne sont clients que d’une banque en ligne. En en prenant acte, Orange se retire ainsi d’un marché qui, de fait, n’a pas décollé à la hauteur de ses ambitions.

Mais il faut aller plus loin et dire que la notion même de banque en ligne n’a plus de sens. Pourquoi parlait-on de "banques en ligne" en effet ? Parce qu’on y voyait une alternative aux banques classiques, tant en termes de canaux de distribution (elles étaient entièrement numériques) que de tarifs (sacrifiés). Aujourd’hui, elles demeurent souvent les moins chères (et elles sont donc peu rentables) mais l’on peut ou l’on pourra très bientôt fonctionner de manière entièrement numérique avec les banques classiques. Dès lors, à quoi servent encore la plupart des banques en ligne?

Le paysage est très contrasté. Parmi une quinzaine d’établissements, il y a en a un qui est structurellement rentable et qui représente la vraie réussite de la banque en ligne en France: Fortuneo. Il conquiert une clientèle complémentaire par rapport à celle de son actionnaire (le Crédit Mutuel Arkea), dont la moitié domicilie ses revenus principaux sur son compte. Mais Fortuneo compte moins d’un million de clients, sur un marché où Boursorama rafle la mise (près de 5 millions de clients, depuis la reprise de ceux d’ING Direct), tandis que pointent à grands pas deux néobanques étrangères: N26 et Revolut (plus de deux millions de clients chacune).

Phénomène de fragmentation

Ce tiercé gagnant a plus d’un point commun. Les trois établissements – nous l’avons plusieurs fois souligné dans ces colonnes pour Revolut – s’efforcent de coller aux modes de vie de leurs clients cibles. Ils proposent une offre de plus en plus affinitaire. Ils se distinguent sur un marché bancaire désormais fragmenté. Car, encore aujourd’hui, la banque en ligne séduit une clientèle bien spécifique: plutôt masculine, active et aisée. La même clientèle qui est la plus réceptive aux offres à dimension ESG d’ailleurs mais avec, dans ce dernier cas, des clivages géographiques encore mal appréhendés.

Ce sont là autant d’éléments assez nouveaux. Marché de masse par excellence, offrant les mêmes produits, tarifs et services à tous pour l’essentiel, la banque voit aujourd’hui les comportements de paiement et d’achat, de crédit et d’épargne, devenir de plus en plus différenciés selon les classes d’âges et les groupes sociaux. Le dernier baromètre BPCE Digital & Payments, observant les effets du choc inflationniste sur les dépenses des Français, le souligne particulièrement pour les plus jeunes.

Comme semble l’annoncer le succès d’un Boursorama ou d’un Revolut, ce phénomène de fragmentation se traduit par une multibancarisation chez un quart de la population. Ce comportement va sans doute s’étendre au sein du public mais à travers différentes offres plus affinitaires qu’aujourd’hui. Cette tendance forte n’a pas encore d’étiquette générique précise mais celle de "banque en ligne" ne lui convient certainement plus.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor