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L'utilisation du cash fait de la résistance en Europe

Les paiements en cash ne baissent pas autant qu'attendu en Europe

Les paiements en cash ne baissent pas autant qu'attendu en Europe - Moerschy - Flickr - CC

[AVIS D'EXPERT] Alors que l'Italie veut remonter le plafond des transactions payables en espèces, l'utilisation du cash fait de la résistance partout en Europe. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Dans son projet de budget pour 2023, le gouvernement italien conduit par Giorgia Meloni a récemment proposé de relever le plafond des transactions pouvant être réglées en espèces de 1000 euros (comme en France) à 5000 euros, ainsi que d’autoriser les commerçants à refuser les paiements numériques de moins de 60 euros.

Ces propositions vont à l’encontre des dispositions prises par les précédents gouvernements italiens en faveur des paiements par carte et mobile. Des dispositions, imposées notamment par l’Union européenne en contrepartie de l’avance de 200 milliards d'euros accordée à l’Italie pour financer son plan de recouvrement national post-Covid, qui obligent les commerçants à accepter tous les paiements électroniques quel que soit leur montant, s’exposant autrement à des amendes de 30 euros plus 4% du montant de la transaction refusée.

Ces dispositions étaient assez nouvelles dans un pays où le cash reste dominant pour le règlement des petits achats (chaque Italien règle 85 transactions par carte bancaire par an, contre 156 en moyenne dans l’UE). Le plafonnement des paiements en espèces à 1000 euros n’a ainsi été fixé qu’au 1er janvier 2022. Mais, bien entendu, les propositions du gouvernement Meloni suscitent des polémiques. A travers son économiste en chef, la Banque d’Italie a ainsi souligné qu’encourageant le financement d’activités criminelles et l’évasion fiscale, de telles mesures vont directement à l’encontre de la modernisation de l’économie.

En réponse, Giorgia Meloni a indiqué que ces mesures éviteront aux commerçants de devoir verser des commissions aux banques mais a reconnu que la limite de 60 euros pouvait être débattue.

Un usage qui change lentement

En France, ces mesures ont suscité dans les médias des commentaires souvent quelque peu exagérés, prêtant par exemple à Giorgia Meloni la volonté de "tuer la carte de crédit", rien de moins! L’Italie se replie sur elle-même et dit non aux banques, a-t-on pu lire aussi bien. Et les vieux clichés faisant des Italiens les rois du contournement fiscal ont refleuri.

Pourtant, dans toute l’Europe aujourd’hui, aussi bien qu’au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, on s’inquiète de la fermeture des guichets et des automates bancaires. On interdit aux commerces de refuser les paiements en espèces.

L’usage du cash en effet ne se réduit pas à la hauteur de ce qui était attendu, compte tenu de l’essor des paiements électroniques. C’est d’abord qu’une illusion très courante consiste à croire que les usages de paiement peuvent rapidement changer. En fait, ils ne se modifient que lentement, souvent à l’échelle d’une génération et, dans l’attente, les nouveaux moyens de paiement s’ajoutent aux anciens bien plus qu’ils ne les remplacent. Mais c’est aussi que le cash à une utilité que l’on ne reconnait pas facilement.

Si l’on tente de limiter la fermeture des guichets bancaires, c’est officiellement pour protéger des populations isolées ou démunies qui n’accèderaient pas ou pas facilement aux moyens de paiement électroniques. C’est là sans doute une réalité. Cependant, considérons deux initiatives récentes.

Dans le cadre de l’Access to Cash Action Group, une initiative visant à préserver l’accès et l’usage du cash au Royaume-Uni, qui rallie les grandes banques britanniques en même temps que des associations de commerces et de consommateurs, des banques déploient un nouveau service de cashbacks sans achat. Il permet aux commerces disposant d’un terminal de paiement électronique d’offrir aux clients de n’importe quelle banque disposant d’une carte de débit Visa ou Mastercard de retirer en liquide jusqu’à 100 £ par jour, sans que ces clients aient à effectuer d’achat. En retour, les commerces reçoivent des frais de transaction de la part des banques. Vous avez bien lu! Il s’agit donc de fournir du liquide (et de remplacer des automates bancaires devenus trop difficiles à rentabiliser) à des clients équipés par ailleurs de moyens de paiement électroniques (cartes et mobiles).

En France, compte tenu du succès de son service “Paiement de proximité”, développé pour le compte de la Direction générale des finances publiques en partenariat avec la Confédération des buralistes, la Française des jeux va étendre cette solution en 2023 au paiement de factures privées sous la marque Nirio.

Sécurité et confidentialité

Fin 2021, le service Paiement de proximité ralliait 13.400 buralistes agréés et équipés de terminaux spéciaux dans 6700 communes permettant aux usagers de régler leurs amendes, factures de services publics locaux ou encore impôts inférieurs à 300 €, soit en espèces soit par carte bancaire. Depuis juillet 2020, ce service a enregistré plus de 2,5 millions d’opérations de paiement des factures publiques. Nirio permettra de régler de la même façon des factures d’eau, d’énergie, de téléphonie et le paiement des loyers sociaux. Une appli permettra également aux utilisateurs de centraliser leurs factures.

Autant dire que Nirio ne vise pas les attardés du numérique! Pour l’utiliser, il faudra disposer d’un smartphone sur lequel aura été téléchargée l’appli, pour scanner les factures et recevoir un QR code de paiement. Mais, si un smartphone est nécessaire, pourquoi ne pas l’utiliser pour le paiement? Les raisons invoquées sont la sécurité, la confidentialité et l’attrait pour la proximité.

Et le poids de l’économie informelle? On se garde bien de l’évoquer. On peut toutefois se demander si elle n’est pas et ne va pas devenir dans le contexte économique actuel de plus en plus vitale pour une partie croissante des populations. Avec la nécessité sociale de pas la tarir en limitant l’usage des espèces. Ce que les gouvernements s’efforceront de faire. Sans pouvoir le dire.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor