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Vieillissement des effectifs, rentabilité… La Cour des Comptes pointe les failles du Cnes

La Cour des comptes vient de rendre public son rapport sur le Centre National d'Etudes Spatiales. Si les finances de l'institution publique sont jugées saines, le Cnes va devoir s'adapter plus rapidement aux enjeux du New Space.

Philippe Baptiste, le président du Cnes, peut pousser un "ouf" de soulagement: dans son dernier rapport sur l'agence, dévoilé jeudi, la Cour des Comptes relève "une situation financière stable et une gouvernance satisfaisante". Mais elle note aussi que le Centre national d'études spatiales n'est pas suffisamment préparé aux nouveaux enjeux du spatial et qu'un "changement de culture" est nécessaire.

Cette charge peut paraître surprenante alors que, ces dernières années, le Cnes a multiplié les ouvertures vers les start-ups: incubation, financement avec des fonds dédiés…

Une stratégie commerciale trop souple

Pour étayer ses critiques, la Cour s'attarde notamment sur le dispositif Connect by Cnes et le fonds Cosmicapital. Si le Cnes apporte des conseils techniques intensifs avec des accompagnateurs bénévoles, des industriels et des académiques, pour boucler des levées de fonds, cet accompagnement n'est pas facturé. Une "anomalie" selon la Cour, qui recommande la mise en place d'un vrai partage des coûts pour éviter des effets d'aubaine vis-a-vis des acteurs installés.

Autre grief: la diligence du Cnes vis à vis de ses fournisseurs avec l'absence quasi-systématique de pénalités de retard. Le Cnes est un établissement public industriel à caractère commercial rappelle la Cour, et doit donc agir comme tel. "Trois contrats ont fait l’objet de demandes d’exonération de pénalités (…), pour un montant total finalement exonéré de 25 747 762 euros: Orange Antilles Guyane, Cegelec et Airbus Defense & Space (CSO)", détaille le rapport.

"Plus généralement, le Cnes reconnaît explicitement adopter une attitude souple dans l’application des pénalités de retard, privilégiant la qualité des prestations à la rapidité du service fait."

Vieillissement des effectifs

Autre sujet qui semble inquiéter la Cour des Comptes, le Cnes est confronté à un véritable défi de maintien de ses ressources humaines et des compétences. La question du vieillissement est plus que jamais d'actualité: 33% des effectifs auront 62 ans en 2025 et les salariés de plus de 45 ans représentent environ 58% des effectifs.

Ce vieillissement s'accompagne logiquement d'un turn-over très faible, entre 3,5 et 4,5% pour les ingénieurs. Résultat, les jeunes ne restent pas. Le taux de départ des moins de 35 ans atteint désormais 24%. "Ce décrochage peut s’avérer défavorable au Cnes dans un contexte d’évolution sociologique du monde du travail", estime la Cour des Comptes.

"Les salariés sont plus qu’avant en demande de mobilité, et seront tentés, s’agissant du Cnes, de partir dans le secteur privé si l’établissement ne parvient pas à proposer des rémunérations compétitives."

Alerte sur la rentabilité de la base de Kourou

La Cour des Comptes s'alarme également de la baisse d'activité du centre spatial guyanais. La fin d'Ariane 5, les retards d'Ariane 6, le retrait du lanceur Soyouz et les échecs de Vega ont des répercussions sur les cadences de tir. Le Cnes est rémunéré par Arianespace depuis 2017, indique la Cour, "et doit assurer des coûts de sous traitance calculés sur une base forfaitaire". Il en résulte un manque à gagner qui s'élevait à 3,2 millions d'euros en 2022.

Or selon les Sages, l'arrivée d'Ariane 6 et les projets de micro et de mini lanceurs ne seront pas - à moyen terme - de nature à compenser ces pertes. La cour recommande donc d'élaborer de nouveaux contrats pour mieux partager les risques lies aux variations de charge industrielle.

Des investissements dans l'informatique et l'immobilier

Au rang des motifs d'inquiétude, la Cour des Comptes note aussi que plus de 50% du matériel informatique du Cnes encourt un risque "maximal" d'obsolescence. L'agence a investi 800.000 euros fin 2022 pour y remédier, ce qui devrait permettre d'obtenir un âge moyen du parc informatique entre 1 et 3 ans sur plus de 65% des machines. Mais cette "dette technique" a engendre mécaniquement des budgets de maintenance plus importants.

La Cour des Comptes calcule également que le Cnes va devoir trouver 60 millions d'euros supplémentaires d'ici 2025 pour entretenir et rénover son parc immobilier, qui comprend 388 bâtiments et infrastructures et plus 66.000 hectares. Il va s'agir de diminuer le recours aux énergies fossiles et développer le photovoltaïque et la biomasse afin de satisfaire les obligations de réduction de la consommation d'énergie.

Une nouvelle stratégie pour le Cnes?

Enfin, la Cour des Comptes s'interroge sur la nécessité pour le Cnes de maintenir un niveau d'expertise technique de pointe. Autrement dit, faut-il continuer à jouer dans la même cour que les grands industriels du secteur comme ArianeGroup sur les lanceurs ou Airbus Defense & Space et Thalès Alenia sur les satellites, qui sont désormais capables de maîtriser la quasi intégralité des compétences technologiques sous-jacentes.

L'atout principal du Cnes, indique la Cour, semble plutôt résider dans son positionnement très en amont de la chaîne de la valeur spatiale (climat, action dans l'espace, exploration…). La question est épineuse: il y a un peu plus d'un an, les salariés du Cnes s'étaient mis en grève à ce sujet, redoutant que les futurs contrats profitent davantage aux start-ups et aux industriels plutôt qu'au secteur public.

Jean-Baptiste Huet Journaliste BFM Business