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Aéronautique

Nouvel or "vert", les carburants dits durables peuvent-ils empêcher l'aviation de disparaître?

Sans carburant durable, l'avenir du transport aéronautique pourrait être compromis. Constructeurs d'avions, de moteurs, groupes d'énergie, startups et compagnies aériennes mettent les bouchées doubles pour décarboner l'aérien dans les meilleurs délais.

L'aviation du futur sera "verte" ou ne sera pas. Mais comment "vert"? Avec les Sustainable Aviation Fuels, dits Saf (en français, "carburants d'aviation durable") présentés comme la solution pour décarboner le secteur de l'aéronautique et dont le nom était sur toutes les lèvres au salon aéronautique du Bourget.

Ces carburants sont produits de différentes manières. La principale est pétrochimique par le retraitement d'huiles de friture. D'autres reposent sur la thermochimie, la biochimie ou, dans le cas des e-carburants, la captation de CO2 pour créer des hydrocarbures.

Les Saf permettraient de réduire jusqu'à 80% les émissions de CO2 sur l'ensemble du cycle d'utilisation par rapport au kérosène d'aviation conventionnel, selon l'Association du transport aérien international (Iata). Depuis plusieurs années, les constructeurs d'avions de ligne comme Airbus, Boeing et même Dassault sur ses jets d'affaires Falcon, s'adaptent à cette transition avec des appareils compatibles Saf .

Le Falcon 10X dévoilé au Bourget
Le Falcon 10X dévoilé au Bourget © PS

Dans le cadre du projet Volcan mené par Safran, un A319Neo équipé de moteurs Leap a ainsi volé avec des réservoirs remplis à 100% de SAF. Même l'armée s'est mise au Saf. Et il y a un an, un Airbus A400M a réalisé avec succès un vol d’essai avec un de ses moteurs TP400 alimenté par 29% de Saf.

La décarbonation, un sujet existentiel

Au Bourget, ces carburants durables étaient au centre de toutes les conversations et des stratégies de toutes les entreprises du secteur aérien. Et pour cause, l'ensemble de cette industrie est menacé si elle ne réduit pas sa production de CO2. Face à l'hydrogène, les Saf sont en position de force. Ils peuvent être utilisés avec tous types de moteurs d'avions. D'ailleurs, l’Europe a mis en place le plan RefuelEU pour augmenter son utilisation. Actuellement de 0,1%, elle doit atteindre 2% en 2025, 6% en 2030 et 70% d’ici à 2050.

L'aérien représente 6% du réchauffement climatique, et une infime minorité de la population mondiale en est à l’origine. La décarbonation du domaine est un sujet existentiel. Aujourd'hui, il n'est plus question de faire des promesses. Il faut agir, et vite", explique à BFM Business Marc Delcourt, CEO de Global Bioenergies.

Cette entreprise a mis au point un procédé original basé sur des micro-organismes reprogrammés pour transformer des sucres en molécules pétrochimiques. Sa biotechnologie, jusque-là utilisée dans les cosmétiques, notamment pour L'Oréal, vient de recevoir la certification ASTM International pour être incorporé jusqu’à 50% dans les avions de ligne en service, dans un mélange avec du kérosène fossile.

Une raffinerie SAF dans les Bouches du Rhône

Face à cette PME française, les plus grosses entreprises du secteur sont déjà dans la course avec l'objectif de peser sur le transport aérien du futur. TotalEnergies a ainsi décidé d'utiliser sa raffinerie de biodiesel pour produire du SAF. Ce site basé à La Mède, dans les Bouches-du-Rhône, a une capacité de production annuelle de 500.000 tonnes.

D'ici à quelques mois, le néerlandais Neste, premier producteur mondial de SAF, sortira de Rotterdam 500.000 tonnes par an de carburant d'aviation fabriqué à partir d'huiles de cuisson usagées et de graisses animales.

De son côté, le motoriste Safran avance ces pions dans ces nouveaux carburants. En 2021, avec Engie, il a investi dans Ineratec, une startup allemande spécialisée dans la production de carburants synthétiques neutres en carbone. Le groupe mène également des travaux pour s'assurer que les nouveaux carburants réduisent les émissions de CO2 sans pénaliser la performance des avions et sans altérer les moteurs.

"Ce n'est pas une modification fondamentale des moteurs, mais certaines pièces au niveau du pompage ou de certains joints devront être adaptés", explique à BFM Business Nicolas Jeuland, expert émérite carburant durable chez Safran.

Jusqu'ici, ces carburants sont mélangés à 50/50 avec du kérosène, mais progressivement ce taux va progresser pour passer à 35% de kérosène en 2025. Mais en passant à 100% de Saf, les moteurs devront être modifiés.

Le prix des billets multiplié de 3 à 5

Par contre, ce spécialiste estime que les Saf seront bénéfiques aux moteurs et réduiront les interventions de maintenance.

"On va faire moins de dépôt dans le moteur, il y aura moins de corrosion des parties chaudes ce qui permettra aux avions de fonctionner plus longtemps en maintenant des performances optimales", précise Nicolas Jeuland.

Grâce au Saf, les avions seront donc plus durables et moins polluants en consommant moins et en réduisant jusqu'à 80% les émissions de CO2. Bonne nouvelle pour la planète, moins bonne pour le portefeuille des voyageurs. Le Saf coûte en effet entre 3 et 5 fois plus cher que le kérosène. Ce surcoût va finalement se répercuter sur le prix des billets. Les hausses ont même déjà commencé.

En 2022, Air France-KLM, précurseur dans le Saf, a annoncé une augmentation des prix des billets de 1 à 12 euros pour compenser une partie du surcoût de l'utilisation de carburant d'aviation "durable". Début 2023, la compagnie a encore annoncé des ajustements. Le montant des billets "variera entre 1 et 8 euros en classe économique" et entre 1,50 et 24 €uros en classe affaires, selon la distance, indique la compagnie en expliquant que cela contribuera à accélérer l'adoption du Saf.

"Depuis le début de 2022, la réglementation française nous oblige à incorporer en moyenne 1 % de carburant d'aviation durable sur les vols au départ de la France. En 2025, il passera à 2 %, puis à 5 % en 2030, pour tous les vols au départ de l'Europe", indiquait récemment Vincent Etchebehere, vice-président du développement durable et des nouvelles mobilités de la compagnie aérienne.

Le salut de l'aviation passera donc par une plus grande responsabilité environnementale, mais également par une acceptation par le grand public de tarifs de plus en plus élevés.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco