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"On ne reviendra pas en arrière": ces entreprises qui ont adopté la semaine de 4 jours

Peu nombreuses en France, les entreprises qui ont instauré la semaine de quatre jours mettent en avant les effets bénéfiques qui en découlent, notamment en termes de productivité.

Travailler moins pour travailler mieux? Depuis la crise sanitaire, les expérimentations autour de la semaine de quatre jours se multiplient en Europe. En France, une poignée d'entreprises ont franchi le pas au cours des derniers mois, voire des dernières années. Pionnier en la matière, le spécialiste du recyclage des matériaux de construction Yprema a adopté ce mode d'organisation en 1997, encouragée par la loi Robien et ses exonérations de charges accordées aux entreprises en contrepartie d'une réduction du temps de travail de leurs salariés pour embaucher ou éviter un plan de licenciement.

25 ans plus tard, Yprema vit toujours au rythme de la semaine de quatre jours. Un modèle qui lui permet de gagner "un mois par an de productivité en plus", estime le groupe sur son site internet. Malgré ce retour d'expérience positif, les entreprises sont longtemps restées frileuses à l'idée d'imiter la société de BTP, jusqu'à ce que la pandémie de Covid-19 ne viennent ébranler quelques certitudes.

LDLC passe aux 32 heures par semaine

La crise sanitaire semble en effet avoir agi comme un déclic pour une bonne partie des entreprises françaises qui suivent aujourd'hui ce modèle d'organisation. Inspiré par l'exemple de Microsoft au Japon, LDLC s'est lancée en janvier 2021. A la différence d'Yprema qui concentre les 35 heures de travail hebdomadaires sur quatre jours, le vendeur d’équipement numérique et informatique en ligne est passé aux 32 heures par semaine, payées 35.

Les dirigeants du groupe lyonnais enchaînent depuis les interventions médiatiques pour témoigner des bienfaits de la semaine de quatre jours. Un an après son instauration, Laurent de la Clergerie, président de LDLC, les listait lui-même dans un texte publié sur Linkedin: "Bilan: 6% de croissance, 20% de gain de résultat et un solde entre embauche et départ négatif".

"Aucune perte d’efficacité… En fait c’est même pire que cela si on rentre dans le détail. Constatant dès le départ que les effets étaient hyper efficaces (...) et que cela ne coutait rien à l'entreprise voire même que ça nous rapportait de l'argent, nous avons réévalué les salaires aux NAO de 2021 en moyenne de 10% pour les bas salaires", expliquait-il.

Si Laurent de la Clergerie dit avoir conscience que ce modèle ne peut s'appliquer "partout", son succès au sein de LDLC "explique qu'au final, contrairement à ce que l'on entend constamment, on peut travailler moins longtemps... Et être bien plus productif, simplement parce qu'on est mentalement beaucoup moins fatigué". Sans compter les bénéfices en matière d'égalité hommes-femmes puisqu'il "il n'y a plus personne à 80% chez nous, plus de sentiment de mettre un peu sa carrière de côté pour ses enfants!", soulignait encore le dirigeant il y a trois mois.

Mercredi ou vendredi off chez Elmy

Plus que la crise sanitaire, c'est la crise énergétique qui a poussé le fournisseur d'électricité verte Elmy à instaurer en septembre dernier la semaine de 4 jours pour ses 80 salariés. La flambée des prix sur le marché de l'énergie "a créé pas mal de remous en interne. On avait envie d'envoyer un signal fort à nos équipes pour les fidéliser", raconte à BFM Business Camille Darde, directrice des ressources humaines chez Elmy. Mais l'idée ne lui est pas venue du jour au lendemain: "A titre personnel, la semaine de quatre jours me questionnait depuis longtemps. Cela fait un moment que je m'interroge sur le rythme de travail que l'on a. Je suivais les expérimentations".

Voilà donc trois mois que les équipes d'Elmy travaillent quatre jours par semaine à raison de 35 heures hebdomadaires pour les cadres (au lieu de 39) qui représentent 90% des effectifs et de 32 heures pour les non cadres (au lieu de 35). Le jour de repos supplémentaire a lui été fixé soit le mercredi, soit le vendredi: "Chaque équipe a défini ses contraintes et son planning et chaque collaborateur a ensuite exprimé son souhait d'avoir le mercredi ou le vendredi comme jour off. S'il n'y avait pas d'entente (permettant au service de continuer à fonctionner correctement le mercredi ou le vendredi), on procédait par tirage au sort. Mais généralement, cela s'est fait en bonne intelligence", se félicite Camille Darde.

Et le premier bilan est déjà satisfaisant: "On va pérenniser. On ne reviendra pas en arrière. Tout le monde voit les effets positifs. Il faut juste encore faire quelques ajustements", explique la DRH. Il faut dire que ce changement profond d'organisation peut bouleverser l'équilibre de certains services. Si la semaine de quatre jours "marche très bien au sein de certaines équipes qui avaient déjà un fonctionnement assez agile, c'est plus compliqué sur les activités aux enjeux commerciales ou de relations externes. Pour certains postes ce n'est pas toujours possible d'être absent le mercredi ou le vendredi. Il faut de la flexibilité. Mais on l'avait anticipé", reconnaît Camille Darde.

"Journées plus denses"

A moyen terme, elle ne doute pas que ce système fonctionnera pleinement dans tous les services. Avec l'effet productivité qui en découle: "Cla a déjà été prouvé. (...) En accordant cette confiance aux salariés" avec un jour de repos en plus "ils se sentent redevables", assure la directrice des ressources humaines d'Elmy.

Interrogés en amont sur la mise en place de ce nouveau modèle, les collaborateurs du fournisseur d'électricité y ont répondu favorablement à la quasi-unanimité. Même si "au démarrage, il y a eu du stress", certains craignant "de devoir faire plus de travail en quatre jours, au lieu de cinq. On a beaucoup rassuré en disant qu'on embaucherait s'il le fallait", poursuit Camille Darde. Cela n'aura finalement pas été nécessaire. Bien qu"'aujourd'hui, les journées soient un peu plus denses. Mais avoir un jour off supplémentaire est un tel confort, que cela permet de se reposer, de gagner en bien-être," ajoute-t-elle.

La semaine de quatre jours, un outil d'attractivité

Alors que les difficultés de recrutement n'ont jamais été aussi importantes en France, la mise en place de la semaine de quatre jours devient presque une nécessité dans les entreprises en perte d'attractivité. C'est le cas de la menuiserie Senave à Roncq (Nord) où les salariés travaillent désormais "le même temps sur quatre jours au lieu de cinq, sans perte de salaire également", raconte le gérant Morgan Tognarini.

"On avait énormément de mal à recruter dans notre domaine donc il fallait mettre les avantages de notre côté. (...) On a un métier qui est relativement physique donc avoir trois jours de repos sur la semaine c'est plus intéressant que deux", note encore le patron de cette PME qui n'a pas subi de recul de l'activité depuis le passage à la semaine de 4 jours.

Chiffres à l'appui, Camille Darde confirme cet "effet attractivité" avec un doublement du nombre de candidatures reçues "sur certains postes" depuis qu'Elmy a réduit le temps de travail de ses salariés.

La "semaine de quatre jours parentale" chez KPMG

Le constat est le même chez KPMG France où la semaine de quatre jours est à la fois une mesure de "rétention" des collaborateurs mais aussi "d'attractivité", indique l'entreprise à BFM Business. Même si les 10.000 salariés du groupe de services d'audit et de conseils ne peuvent pas en bénéficier, puisque le dispositif mis en place le 1er octobre est ici réservé aux jeunes parents.

Une mesure élaborée par le Next Gen Committee de KPMG France lancé en juin 2021 en lien avec le changement de statut du groupe devenu "entreprise à mission". Composé d'une dizaine de jeunes issus de tous les métiers de KPMG, le comité Next Gen a proposé la "semaine de quatre jours parentale" après avoir mené une enquête interne pour identifier les besoins des salariés.

Concrètement, les salariés qui viennent d'avoir un enfant ont la possibilité de demander un temps partiel à 80% payé à 100% (soit 4 jours sur 5) pendant une durée maximale de six mois. "Depuis le 1er octobre, 150 personnes ont demandé à bénéficier de cette mesure. C'est un franc succès et cela se passe bien en termes d'organisation", assure-t-on chez KPMG France.

S'il est "un peu tôt pour faire un bilan" complet, l'entreprise prévoit déjà de conserver le dispositif, reconnaissant que "dans cette période particulière de la parentalité, on peut avoir des salariés qui se posent des questions sur leur rythme de vie".

Des entreprises prêtes à la semaine de 4 jours... pour modérer les salaires

Encore marginale en France, la semaine de quatre jours ne risque pas de concurrencer à court terme la semaine de 35/39h répartis sur cinq jours. D'abord parce que ce mode d'organisation ne peut convenir à toutes les entreprises. Ensuite, parce qu'une majorité des dirigeants continuent de voir ce système d'un mauvais oeil.

Mais les lignes semblent bouger depuis quelques mois. Parfois pour des raisons qui risquent d'hérisser les salariés. Interrogés par le groupe de conseil Alixio dans le cadre d'une enquête menée en octobre et novembre 2022, plus d'un dirigeant d'entreprise sur dix (12%) dit envisager de mettre en place la semaine de quatre jours pour "permettre une modération salariale" dans un contexte d'inflation, tandis que près d'un sur cinq (19%) ne se prononce pas.

69% restent toutefois opposés à la semaine de quatre jours. Vice-président de l'Association nationale des DRH et DRH de L'Oréal, Benoît Serre se montre tout aussi sceptique: "Sur un plan individuel, n'importe qui va trouver que c'est une bonne idée à court terme. En revanche, à moyen terme, attention, parce que ceux qui en parlent n'envisagent pas forcément de baisser le temps hebdomadaire de travail", rappelle-t-il. Ce qui entraîne deux risques, selon lui: "Le premier, c'est que tous ces temps de management, d'échanges, ce lien social que constitue l'entreprise disparaîtraient, estime-t-il. D'autre part, vous risquez d'avoir une espèce de surpression (des salariés), de surinvestissement des gens sur une période courte qui pourrait conduire à des difficultés de santé au travail".

Des arguments contestés par Camille Darde. La DRH d'Elmy se dit "assez convaincue" que la semaine de quatre jours finira par se généraliser là où c'est possible, "dans un contexte où le rapport au travail a changé". "Il y a un principe de réalité qui fait que les entreprises s'adaptent aux attentes des salariés", soutient-elle.

De son côté, le gouvernement ne s'immisce pas dans le débat et laisse le choix. Interrogée en début d'année sur le sujet, Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, expliquait qu'il pouvait "y avoir des négociations dans les entreprises mais" que le semaine de quatre jours ne pouvait être "imposée à tous". "Je pense que c'est un choix des entreprises, cela peut se discuter. (...) Je ne le préconise pas du tout. Et ça ne peut pas être mesure qu'on décide d'en haut", avait-elle poursuivi.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco