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"C'est comme le Loto": salariés actionnaires de La Redoute, ils ont touché jusqu'à 100.000 euros

Neuf ans après, c'est le jackpot pour les quelque 1500 salariés de La Redoute qui avaient osé s'associer au redressement de leur entreprise. Après avoir misé quelques dizaines d'euros chacun en 2014, ils se partagent aujourd'hui une enveloppe de 100 millions d'euros.

À Noël dernier, Hélène* a pu sortir le champagne en famille. Et pour cause: employée de longue date de La Redoute, elle venait d'apprendre qu'elle allait recevoir environ 80.000 euros, à la suite du rachat total de l'entreprise par les Galeries Lafayette.

"Une très bonne nouvelle" pour cette femme de 48 ans, qui avait fait le pari d'investir 150 euros en 2014. À l'époque, la mythique marque de vente par correspondance basée à Roubaix (Nord) est pourtant au bord du gouffre. Kering cède alors l'entreprise pour 1 euro symbolique à deux de ses dirigeants, Eric Courteille et Nathalie Balla, qui proposent aux salariés d'entrer "symboliquement" au capital.

Neuf ans plus tard, le retour sur investissement est conséquent: les quelque 1500 salariés actionnaires se partagent une enveloppe de 100 millions d'euros, soit 100.000 euros chacun en moyenne.

"Un coup de poker à moindre risque"

Hélène, emballeuse sur le site logistique de Wattrelos (Nord), envisage déjà de réaliser le rêve de son mari, en l'emmenant au Japon l'année prochaine. Elle prévoit aussi d'investir dans l'immobilier, notamment dans un petit studio à mettre en location à Berck, sur la côte d'Opale. "C'est un bon apport, ça ouvre des portes", se réjouit cette mère de quatre enfants, qui a pu les gâter à Noël.

Il y a neuf ans, l'employée s'était lancée en pensant qu'"elle n'avait rien à perdre", que "c'était un coup de poker à moindre risque". Hélène affirme avoir réalisé "tard à quel point ça pouvait être intéressant".

"L'année dernière encore je me disais que 10.000 euros ce serait déjà génial", se souvient-elle. "On ne veut pas se faire de faux espoirs, espérer trop grand."

"En plus, je lisais mal le relevé d'investissement qu'on recevait tous les ans en fin d'année", raconte l'actionnaire en riant. "Je pensais qu'il n'évoluait pas car je regardais le mauvais montant." En réalité, la capitalisation a été multipliée par 5 depuis 2019, portée notamment par une nouvelle stratégie tournée vers le numérique, qui s'est révélée payante pendant la crise Covid, au cours de laquelle les commandes en ligne ont explosé.

"Pas des actions achetées à l'aveugle"

Sa collègue Marina* n'a toujours pas digéré la nouvelle. "Je ne pouvais pas y croire, je me suis pincée pendant une semaine", raconte cette rédactrice pour la communication de la marque de prêt-à-porter. Elle avait investi la somme maximale, à savoir 170 euros, et se retrouve aujourd'hui avec 130.000 bruts, dont elle va se servir pour "aider financièrement ses proches, notamment sa mère âgée".

"Cette somme, je ne l'ai jamais eue sur mon compte en banque, ça me donne le vertige", confie-t-elle. "C'est un mélange de peur, d'excitation et de bonheur."

"De nature joueuse" et "très attachée à l'entreprise" pour laquelle elle travaille depuis seize ans, Marina avait investi les yeux fermés en 2014.

"L'essentiel, à ce moment-là pour moi, c'était de préserver l'emploi et de sauver La Redoute", se remémore-t-elle.

"Mais j'étais persuadée qu'on valait bien plus que ça, parce que je savais bien le cœur et le travail qu'on y mettait tous", poursuit-elle. "Ce n'était pas des actions achetées à l'aveugle."

À l'époque, Philippe non plus n'avait "pas hésité une seconde" à mettre 160 euros. "Avec plus de 30 ans de boîte, je croyais dur comme fer en mon entreprise", explique cet agent logistique de 57 ans, qui a aujourd'hui plus de 100.000 euros nets en poche.

Des projets plein la tête

"Mais c'était loin d'être le cas de tout le monde! Je me souviens à quel point ça avait été dur de convaincre les collègues. On était passés par des moments difficiles donc beaucoup de salariés ne croyaient plus en leur boutique. Aujourd'hui, ceux que j'ai réussi à convaincre et à rassurer pendant toutes ces années ont su me dire: 'merci Philippe, t'avais raison'."

"Quand on a appris la nouvelle, certains pleuraient, d'autres avaient les larmes aux yeux", témoigne cet habitant du Nord. "Ce ne sont pas des gens qui ont des gros salaires donc forcément nos vies changent."

Lui compte placer sagement son argent. Même s'il envisage aussi d'aider son fils de 27 ans et de fêter ses 30 ans de mariage à Zanzibar (Tanzanie).

"C'est touchant", s'émeut-il en évoquant ses projets et ceux des autres salariés actionnaires "Des collègues m'ont confié qu'ils allaient enfin pouvoir réparer leur vieille voiture qui était devenue un danger public, d'autres m'ont dit qu'enfin ils allaient pouvoir faire leurs courses sans regarder."

Leurs collègues plus sceptiques s'en mordent les doigts aujourd'hui. "C'est dommage pour ceux qui n'ont pas osé franchir le pas", concède Philippe, qui regrette les tensions et les jalousies en interne depuis l'annonce de la nouvelle. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les salariés actionnaires préfèrent pour la plupart rester anonymes. "C'est malheureux mais c'est comme le Loto, il fallait y croire!"

* Le prénom a été modifié, à la demande des intéressées.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV