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La Pologne craint que ses immigrés ukrainiens passent à l'ouest

Les agriculteurs polonais, en mal de main d'oeuvre, font appel aux saisonniers ukrainiens.

Les agriculteurs polonais, en mal de main d'oeuvre, font appel aux saisonniers ukrainiens. - Janek Skarzynski -AFP

Berlin s'apprête à ouvrir son marché du travail aux citoyens des pays non-membres de l'UE. Les patrons polonais, confrontés à un manque de main d'œuvre, craignent que des centaines de milliers de leurs employés ukrainiens n'émigrent en Allemagne où les salaires peuvent être trois fois plus élevés.

Les entreprises polonaises sont inquiètes. "La panique touche surtout les employeurs d'Ukrainiens dans l'agriculture et le bâtiment", explique Krzysztof Inglot, patron de l'agence de recrutement Personnel Service travaillant avec l'Ukraine. "C'est là que les gens travaillent souvent au noir et ils vont partir travailler au noir en Allemagne. Pour ceux qui travaillent dans l'industrie polonaise légalement, compte tenu du coût de la vie plus élevé en Allemagne, l'incitation à changer de pays sera moins forte", ajoute Inglot, dont l'agence a embauché 9000 Ukrainiens pour le compte d'employeurs polonais. 

Plus inquiète, c'est une organisation patronale, l'Union des Entrepreneurs et des Employeurs (ZPP) qui avait été la première à sonner l'alarme en novembre, dès qu'elle a eu vent du projet de loi allemand destiné à ouvrir le marché du travail aux ressortissants des pays non-membres de l'UE.

La Pologne craint une perte de 1,6% du PIB

Ce projet, approuvé le 19 décembre par le gouvernement fédéral et destiné à être voté en 2019, pose quelques conditions: pour obtenir un visa de six mois afin de chercher un emploi, les étrangers devront financer leur séjour, parler allemand et disposer de qualifications recherchées en Allemagne.

Déjà durement touchés par des problèmes de main-d'œuvre et par l'émigration vers l'Ouest de plus de deux millions de leurs compatriotes, les patrons polonais y ont vu un "scénario noir". Ils ont même calculé la perte pour l'économie polonaise, estimée à 1,6% du PIB -si un demi-million d'Ukrainiens choisissent réellement de partir vers l'Ouest.

Le nombre de ces migrants économiques est difficile à estimer, des milliers de personnes faisant des va-et-vient fréquents, mais des calculs prudents le situent à plus d'un million d'Ukrainiens présents sur le territoire, contre, officiellement, 140.000 en Allemagne. Mais de nombreux Ukrainiens censés être installés en Pologne vont en réalité déjà travailler en Allemagne où l'on leur propose des salaires jusqu'à trois fois supérieurs, selon la profession.

1,2 million d'emplois à pourvoir en Allemagne

Inévitablement, Varsovie et Berlin se retrouvent en concurrence. La ZPP estime que la Pologne aura besoin de cinq millions de travailleurs immigrés d'ici 2050, tandis que l'Allemagne (81 millions d'habitants aujourd'hui) veut en accueillir durant la même période douze millions et affiche dès aujourd'hui 1,2 million d'emplois à pourvoir.

Les Ukrainiens, nombreux, souvent bien formés, désireux de s'intégrer et ne risquant pas de provoquer des comportements xénophobes ou racistes, sont une cible de choix. "La Pologne est notre première destination naturelle", explique à Igor, mécanicien dans un atelier de vélos, à Varsovie depuis quatre ans. "La langue est plus facile pour nous que l'allemand ou l'anglais, c'est plus près de chez nous, on trouve facilement des amis...".

Les patrons polonais mettent la pression

D'un autre côté, selon un sondage de la société d'intérim OTTO Work Force, cité par le quotidien Rzeczpospolita, 37% des Ukrainiens travaillant en Pologne reconnaissent envisager d'aller travailler en Europe de l'Ouest. Du coup, les patrons polonais mettent la pression sur le gouvernement. Pour la ZPP, il faudrait simplifier les procédures d'embauche des étrangers et leur offrir des perspectives sûres de permis de séjour permanent, voire, à terme, de naturalisation. En attendant, la période de travail légal en continu doit être portée prochainement à douze mois, contre six mois actuellement. Voire à dix-huit mois en 2020, "si tout va bien", indique Krzysztof Inglot.

Des mesures similaires sont en cours de préparation ou déjà adoptées en République Tchèque et en Slovaquie. Prague, qui fait face à un taux de chômage très bas (2,8% en novembre dernier), a porté au début de 2018 le quota de travailleurs ukrainiens de 10.000 à 20.000 et envisage maintenant de le doubler, à 40.000. Bratislava a fait entrer en vigueur le 1er janvier une version amendée de sa loi sur le séjour des étrangers, simplifiant la procédure de leur accueil et de leur embauche.

Avec ses 45 millions d'habitants, un niveau de vie nettement inférieur à celui de ses voisins occidentaux et un conflit armé larvé dans l'Est, l'Ukraine est un important réservoir de main-d'oeuvre. Son ministre de la Politique sociale, Andreï Reva, a déclaré en décembre que 3,2 millions de ses concitoyens ont des emplois permanents à l'étranger et entre sept et neuf millions y travaillent à titre intérimaire. Ils ont envoyé en 2018 plus de 10 milliards d'euros à leurs familles restées au pays, a calculé l'économiste ukrainien Serguiï Foursa, de la société d'investissement Dragon Capital. 

Coralie Cathelinais avec AFP