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La "Grande Démission" prend de l'ampleur dans le monde. Et en France?

Entre de nouvelles aspirations personnelles et un rapport de force clairement du côté des salariés, les envies d'ailleurs deviennent une tendance lourde dans les entreprises.

C'est une tendance qui a émergé du côté des Etats-Unis pendant et après le pic de l'épidémie de covid l'an passé: "The Big Quit" que l'on peut traduire en français par "la grande démission".

En clair, la volonté de plus en plus forte des salariés américains à changer de job, voire à se reconvertir, qui a entraîné une vague de démissions massives. En janvier dernier, pas moins de 4,3 millions d'américains ont ainsi changé de job, essentiellement de manière volontaire après des chiffres similaires observés en novembre 2021.

"La grande démission bat toujours son plein, même si les démissions se modèrent quelque peu", commente ainsi Daniel Zhao, économiste principal sur le site de carrière Glassdoor.

Cette volonté perdure et s'amplifie à mesure que la crise du covid perd en intensité. Ainsi, selon une vaste étude mondiale menée par Microsoft auprès de 31.000 personnes dans 31 pays, 43% des salariés interrogés se disent susceptibles de changer d’emploi cette année, soit deux points de plus qu’en 2021.

La génération Z est la plus susceptible de démissionner

Ce sont les employés de la génération Z (moins de 25 ans) qui aspirent le plus au changement (52%) alors que "seulement" 35% de la génération X (nés entre 1965 et 1979) songent à quitter leur entreprise cette année.

Cette vague s'appuie sur plusieurs phénomènes profonds: la volonté d'avoir un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle et la généralisation du télétravail.

Selon l'étude, 47% des personnes interrogées affirment qu’elles sont aujourd’hui plus enclines à faire passer leur famille et leur vie personnelle avant le travail qu’avant la pandémie.

Autre levier puissant: un marché de l'emploi très porteur aux Etats-Unis avec un chômage qui retrouve ses plus bas niveaux et des pénuries dans de nombreux secteurs, notamment dans les nouvelles technologies. De quoi créer un rapport de force très favorable aux salariés qui n'hésitent donc plus à quitter un emploi qui ne répondrait pas à ces nouvelles exigences. Notamment en terme de télétravail.

Moins massif, le phénomène touche également la France où le contexte est assez similaire: nouvelles aspirations des salariés notamment des plus jeunes, marché du travail dynamique (le taux d'emploi atteignait 67,8% fin 2021) et pénuries dans de nombreux secteurs.

Croissance forte des démissions en France

Dans ses dernières statistiques, la Dares (le service de statistiques du ministère du Travail) indique qu'en juillet dernier, le nombre de démissions de salariés en CDI avait progressé de 19,4% par rapoort au chiffre de 2019. Même chose pour les ruptures anticipées de CDD qui bondissaient de 25,8% en deux ans. Soit des croissances assez rarement observées en France.

"Au troisième trimestre 2021, quelle que soit la tranche de taille d’établissement, elles dépassent nettement leurs niveaux pré-crise, et ce dynamisme se poursuit en octobre", peut-on lire.

La hausse est toutefois un peu moins marquée pour les établissements de moins de 10 salariés, puisqu’elle atteint 10% en moyenne entre juillet-octobre 2021 comparativement à 2019, contre 17% pour les établissements de plus de 50 salariés et 21% pour ceux de 10 et 49 salariés.

Ce constat a été recoupé par une analyse d'enseignants-chercheurs à l’EM Normandie en gestion des ressources humaines et sociologie du travail.

Des cadres qui s'interrogent

"La France enregistre une croissance record des taux de démissions (+10% et +20% en juin et juillet 2021 par rapport à 2019) et des niveaux encore jamais enregistrés par la Dares: +620 000 démissions et ruptures conventionnelles au 3ème trimestre 2021", peut-on lire.

"On observe l’émergence d’un salariat liquide, à la fois consommateur des organisations et organisant sa carrière en fonction des opportunités perçues, mais prenant également conscience qu’il est consommé en retour par les organisations (89% des démissions seraient liées à un épuisement professionnel et un manque de soutien managérial d’après Cengage Group, Nov. 2021)", commentent les auteurs.

Quelles sont les catégories les plus concernées? Difficile à dire. Les secteurs connus pour leurs salaires bas et des conditions de travail difficiles comme l'hôtellerie-restauration connaissent d'importantes hémorragies.

Chez les cadres, l'envie d'aller voir ailleurs semble au contraire moins forte. Dans son dernier baromètre sur l'état d'esprit des cadres, Cadremploi a relevé que 86% des interrogés sont satisfaits de leur situation professionnelle.

Et ne veulent pas bouger: 3% seulement sont en recherche d'active d'un autre poste. En 2019, ce chiffre était situé à 9%.

Augmenter les salaires ne suffira pas

Reste que 90% des cadres souhaitent télétravailler, alors que la moitié seulement des entreprises ont mis en place une politique concernant ce travail à distance. Ce qui pourrait constituer un argument au départ.

Par ailleurs, quand 94% des cadres espèrent obtenir une augmentation de 4% en moyenne cette année compte tenu des efforts fournis, 60% des employeurs sont prêts à faire un geste, mais de seulement 1,5% en moyenne. Comment une entreprise peut-elle réagir face à cette grande démission?

"Les organisations ne peuvent pas se contenter d’augmenter les salaires ou de renforcer leur marque employeur. Cela ne ferait que renforcer le consumérisme des salariés. Le véritable défi est de repenser les modèles managériaux en donnant plus de temps et d’autonomie aux collaborateurs pour permettre des relations humaines plus authentiques au travail", analysent les chercheurs d'EM Normandie.

La question est désormais de savoir si la guerre en Ukraine et les incertitudes qu'elle engendre ne va pas poser un lourd couvercle sur ces aspirations au changement en France comme ailleurs.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business