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La difficile quête d'un emploi pour les Roms en France

Colette Lepage (à droite), 60 ans, fait visiter avec fierté son quartier, à Montreuil en Seine-Saint-Denis, où vivent plusieurs familles Roms qu'elle qualifie d'"exemplaires", dont celle de Melissa, en France depuis 10 ans. Elle détient un titre de séjour

Colette Lepage (à droite), 60 ans, fait visiter avec fierté son quartier, à Montreuil en Seine-Saint-Denis, où vivent plusieurs familles Roms qu'elle qualifie d'"exemplaires", dont celle de Melissa, en France depuis 10 ans. Elle détient un titre de séjour - -

par Chine Labbé PARIS (Reuters) - Débardeur noir, jupe longue à fleurs et cheveux relevés en chignon, Colette Lepage, 60 ans, fait visiter avec...

par Chine Labbé

PARIS (Reuters) - Débardeur noir, jupe longue à fleurs et cheveux relevés en chignon, Colette Lepage, 60 ans, fait visiter avec fierté son quartier, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), où vivent plusieurs familles Roms qu'elle qualifie d'"exemplaires".

Elles font pousser choux, tomates, oignons, haricots et aubergines sur un lopin de terre mis à leur disposition par la mairie. Après des incendies de squats ou des expulsions de campements illégaux, elles se sont sédentarisées dans de petites maisons où elles ont été temporairement relogées.

Dans sa maisonnette aux murs roses, Mélissa, la soixantaine, présente son titre de séjour.

"Je ne sais pas comment j'ai fait pour l'avoir", dit-elle en roumain, avec un rire qui découvre une rangée de dents en or.

En France depuis 10 ans, elle détient ce sésame depuis six mois, grâce au statut d'autoentrepreneur qu'elle a contracté pour être vendeuse sur les marchés. Jusque-là, elle faisait la manche. "Obligé", dit-elle.

Pour les 15.000 Roms de France, trouver un emploi déclaré est une mission impossible, ce qui les condamne souvent à errer entre mendicité et travail au noir, soulignent les associations.

A défaut d'une activité professionnelle ou de ressources "suffisantes", ils courent le risque d'une expulsion du territoire. En 2008, sur les 29.796 personnes reconduites à la frontière, près de 8.000 étaient roumaines.

"Ceux qui ont des papiers ont tous le statut d'autoentrepreneur", estime Colette Lepage, qui a créé une association de soutien aux familles Roms de son quartier. C'est le cas de Mélissa, ou encore de Lalu, 25 ans, qui vend des voitures tandis que sa femme et sa mère mendient, et que son père veille sur ses deux enfants, scolarisés.

RÉGIME TRANSITOIRE

Depuis l'entrée, en 2007, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne, les citoyens de ces deux pays - dont les Roms sont pour la plupart ressortissants - sont soumis à un régime transitoire.

Contrairement aux citoyens des autres pays européens, ils doivent obtenir un titre de séjour pour rester plus de trois mois en France, ainsi qu'une autorisation de travail dont la délivrance est soumise à la situation de l'emploi.

La France leur a ouvert en 2008 une liste de 150 métiers considérés en tension parmi lesquels maçon, couvreur et géomètre. Mais pour ces emplois aussi, Roumains et Bulgares doivent obtenir une autorisation de travail, et l'employeur doit payer à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) une taxe qui va de 72 euros à près de 1.800 euros selon le salaire et la durée du contrat.

Le chemin le plus simple vers la légalité reste donc pour eux le statut d'autoentrepreneur lancé par Nicolas Sarkozy pour créer une entreprise avec le minimum de bureaucratie.

Mais il reste réservé à quelques-uns, capables de gérer des tâches administratives et disposant d'une adresse.

Des associations demandent la levée des mesures transitoires, qui contribuent d'après elles à la marginalisation de ces populations, recommandation déjà émise par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité en 2009. Dans une lettre adressée au collectif Romeurope en mars dernier, François Hollande, alors candidat à l'élection présidentielle, déclarait que ces mesures transitoires feraient l'objet d'un "examen objectif".

Celles-ci arrivent à échéance fin 2013 dans la dizaine d'Etats européens où elles restent en vigueur. L'Espagne, le Portugal, la Grèce et le Danemark les ont levées en 2009, et l'Italie vient de faire de même.

"ÉPINE DANS LE PIED DE LA DÉMOCRATIE"

"On ne peut pas construire l'Europe en maintenant des discriminations vis-à-vis de citoyens européens", estime Aline Archimbaud, sénatrice écologiste de Seine-Saint-Denis.

Elle a déposé cet été une proposition de résolution qui doit être examinée au Sénat en octobre. "Seule l'obtention d'un emploi permet l'autonomie et une bonne insertion dans la société", dit ce texte.

Il s'agit d'obtenir le droit commun pour les citoyens roumains et bulgares, souligne Laurent El Ghozi, co-fondateur de Romeurope. "La problématique de l'accès au travail des Roumains et des Bulgares migrants pauvres, dont les Roms, est une épine dans le pied de la démocratie", dit-il.

Une situation d'autant plus incompréhensible pour les associations que l'Etat finance des dispositifs d'accompagnement des familles de Roms, en collaboration avec des collectivités locales à travers le pays.

"Il est difficilement compréhensible que l'État soit partenaire de la maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale et freine en même temps l'accès à l'emploi et la délivrance de titres de séjour", écrivait récemment une mission d'évaluation de ces dispositifs mise en place par le conseil municipal de Montreuil.

En 2007, l'Espagne et l'Italie ont reçu la proportion la plus importante de migrants roumains et bulgares, malgré le maintien de mesures transitoires, d'après un rapport de la Commission européenne publié en 2008. Un état de fait qui réfute, d'après plusieurs associations, l'argument de l'"appel d'air" fréquemment avancé pour légitimer leur maintien.

Pour Aline Archimbaud, pas de doute : "Le levier pour sortir les citoyens roumains et bulgares précaires de la marginalité douloureuse dans laquelle ils sont, c'est qu'ils aient les mêmes droits que les autres Européens dans l'accès au travail".

NOUVEAUX DÉMANTÈLEMENTS

Une analyse que ne semble pas partager Manuel Valls.

"Je ne suis pas sûr (...) que l'on règlerait uniquement le problème par la question de l'accès au travail, c'est un des éléments, je ne le néglige pas, mais ça n'est pas le seul", a déclaré mercredi le ministre de l'Intérieur devant la commission des Lois du Sénat.

Faute de ressources suffisantes, la plupart des Roms s'entassent dans des campements illégaux dont les conditions de vie sont extrêmement insalubres. Moins de 12% des Roms suivis par Médecins du monde (MDM) sont à jour de vaccination, et le taux de mortalité infantile est chez eux 5 fois supérieur à la moyenne nationale, d'après des chiffres de 2011.

Les opérations d'évacuation de ces camps renforcent leur précarisation, rendant notamment plus difficile leur suivi médical, soulignent plusieurs rapports.

"On est dans une situation d'impasse humanitaire", estime Jean-François Corty, de MDM. En 2010, Nicolas Sarkozy a ordonné le démantèlement de tous les camps illégaux de Roms.

Manuel Valls a prévenu mercredi que le gouvernement serait contraint de procéder à de nouveaux démantèlements. "Démanteler des camps insalubres où les gens vivent dans des conditions d'ultra-précarité, pourquoi pas, si ces démantèlements sont accompagnés de propositions de relogement immédiates", a réagi Jean-François Corty.

En mars dernier, François Hollande avait promis, s'il était élu, de proposer des solutions alternatives à tout démantèlement.

Edité par Yves Clarisse