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Congés illimités pour les salariés: est-ce possible en France?

Le géant américain Goldman Sachs a annoncé début mai qu'il permettra à ses cadres supérieurs de prendre des congés illimités. Objectif: retenir des salariés parfois critiques envers leurs conditions de travail et tentés d'aller voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs.

L'annonce a de quoi faire rêver tout salarié. Selon le quotidien britannique The Telegraph, la banque Goldman Sachs propose depuis le 1er mai dernier à ses cadres supérieurs (associés et directeurs) de prendre des congés de manière illimitée et quand ils le souhaitent.

La banque d'affaires n'impose plus de plafond sur les congés payés, et les salariés concernés peuvent "prendre des congés en cas de besoin". De manière plus globale, le géant américain impose désormais au moins quinze jours de congés par an à partir de janvier prochain, avec au moins une semaine de jours de vacances consécutifs.

Goldman Sachs ne fait pas de la philanthropie. Comme beaucoup d'entreprises et de secteurs, la firme est confrontée au phénomène de Grande Démission aux Etats-Unis. Le marché du travail très dynamique et le plein emploi incite les travailleurs à changer d'employeur pour obtenir de meilleures conditions de travail. Le rapport de force s'est clairement inversé.

Eviter une hémorragie de talents

Notamment chez les plus jeunes, la quête d'un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est recherché. Les entreprises qui ne proposent pas de travail hybride avec une forte dose de télétravail ou qui rognent sur les congés sont ainsi clairement délaissées.

Et le phénomène est particulièrement fort dans les secteurs où la charge de travail est importante. Dans la restauration par exemple en bas de l'échelle (qui a énormément de mal à recruter) ou dans les banques d'affaires tout en haut.

Illustration, il y a deux mois, un groupe d'analystes de première année de Goldman Sachs s'est plaint d'être surchargé de travail et a menacé de démissionner dans les six mois à moins que ses conditions de travail ne s'améliorent.

La banque est d'ailleurs confrontée depuis l'an dernier à une fronde interne avec des salariés qui dénoncent des conditions de travail "inhumaines". Une enquête réalisée auprès de treize jeunes analystes financiers à l’issue de leur première année chez Goldman Sachs révèle le rythme exténuant auquel ils sont soumis depuis leur entrée au sein de la banque d’investissement.

Les résultats de ce sondage montrent en effet que les personnes interrogées ont travaillé 105 heures en moyenne la semaine précédant l’enquête.

Ils réclament un plafonnement des heures travaillées à 80 heures par semaine et le respect de la "politique du vendredi" selon laquelle ils ne devraient pas travailler le vendredi après 21 heures, pas plus que le samedi.

105 heures de travail par semaine

"Nous reconnaissons que nos employés sont très occupés, car les affaires sont solides et les volumes sont à des niveaux historiques. Après un an de Covid, ils sont assez tendus, de façon compréhensible. Pour cette raison nous écoutons leurs problèmes et prenons de multiples mesures pour y répondre", a réagi un porte-parole.

Un an après la publication de ce sondage, la banque prend donc cette mesure de congés illimités afin de calmer les esprits et d'éviter une hémorragie de talents.

Une telle possibilité est-elle réalisable en France où les congés payés sont très encadrés?

"Il serait tout à fait possible de prévoir, par décision unilatérale de l’employeur ou par voie d’accord collectif, un nombre de jours de congés supérieurs à celui prévue par loi, sous réserve toutefois de respecter les règles applicables aux congés payés (période prise des congés, ordre des départs, éventuellement fractionnement du congé principal etc.)" explique à BFM Business, Marion Kahn-Guerra, avocate spécialiée dans le droit du Travail pour le cabinet Desfilis.

"Certaines conventions collectives prévoient d’ailleurs des jours de congés supplémentaires, pour ancienneté par exemple. De même, on a vu récemment certaines entreprises mettre en place des congés réservés aux femmes qui ont leurs règles et qui peuvent à ce titre prendre de 1 à 5 jours par mois ajoute-t-elle.

Tout à fait possible en France

Par ailleurs, la spécialiste rappelle qu'en France, les cadres dirigeants, c’est-à-dire les cadres "auxquels sont confiés des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération se pratiquant dans leur entreprise" (selon l'article L3111-2 du Code du travail) "ne sont pas soumis à la législation sur la durée du travail".

"Ainsi, si les cadres dirigeants bénéficient de la législation sur les congés payés au même titre que les autres salariés, ils peuvent gérer leur temps de travail en toute indépendance et s’organiser comme ils le souhaitent, ce qui me parait rejoindre le système Goldman Sachs en pratique, puisqu’il est prévu que les salariés devront prendre au moins 15 jours de vacances par an, dont une semaine de congés consécutifs", souligne-t-elle.

Et de conclure: "En cela le système français reste supérieur puisque les salariés, cadres dirigeants compris, bénéficient de 30 jours de congés payés par an. En matière de congés payés, les pratiques américaines ne sont pas aussi favorables que la loi française. Cette décision de Goldman Sachs intervient dans un contexte totalement différent de celui dans lequel évolue des entreprises françaises".

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business