BFM Business
Emploi

Concurrence déloyale étrangère: le désarroi d'un "petit patron"

Claude Lejeune est sur le point de faire faillite, à cause de travailleurs moins chers venus de l'Est.

Claude Lejeune est sur le point de faire faillite, à cause de travailleurs moins chers venus de l'Est. - -

Claude Lejeune, à la tête d'une entreprise de transport, à Limoges, n'a pas résisté à la concurrence de travailleurs venus des pays de l'Est, et il craint que la loi votée mardi pour restreindre le recours aux "travailleurs détachés" n'y change rien.

Cheveux poivre et sel, lunettes fumées sur le nez, Claude Lejeune accuse la brutalité de ces derniers mois sur son visage. A la tête d'une entreprise florissante à Limoges, spécialisée dans le transport en urgence de marchandises pour les usines, ce patron de PME a vu son business s'effondrer avec l'essor de la concurrence polonaise. "Nous faisions entre 30.000 et 45.000 euros de chiffre d'affaires mensuel. Maintenant, on atteint à peine 10.000 euros. On vit sur les économies de l'entreprise", explique-t-il à BFMTV.com.

Une situation intenable qui l'a conduit à prendre des décisions difficiles pour ses employés. "On a dû se mettre en chômage partiel de janvier à juillet dernier, mais ça ne nous a pas permis de sortir la tête hors de l'eau. J'ai dû licencier six employés. Je croyais à un miracle qui n'est jamais arrivé", lâche-t-il, une tristesse profonde dans la voix. 

Aujourd'hui, avec les quatre employés restants, il s'est focalisé dans le transport médical de personnes, mais les rentrées d'argent ne suivent pas.

Une distorsion de la concurrence

Quand il a fondé son entreprise de taxis et de transport urgent, Claude Lejeune était pourtant un patron épanoui. Il se souvient. "Lorsque les usines avaient des marchandises de dernière minute à envoyer, elles faisaient appel à nous, en urgence. Le matin, nos gars partaient amener des palettes pour Turin, Madrid, Paris, parfois même en pleine nuit. Et puis, il y a un peu plus d'un an, les Polonais sont arrivés…"

Les conditions de travail de ces travailleurs détachés sont actuellement encadrées par une législation européenne très peu restrictive datant de 1996, puis de 2006. Résultat, ils sont employés aux normes de leur pays d'origine, qui tiennent beaucoup moins compte de la pénibilité du travail et de l'aspect social, et le constat est sans appel.

"Nous, avec toutes les charges sociales que l'on doit payer, on coûte à nos clients 35 euros/heure en moyenne. Eux sont très éloignés de ce montant, avec une amplitude horaire plus grande, malgré l'épuisement certain de leurs chauffeurs", explique Claude Lejeune. "A partir de là, nous avons commencé à perdre nos marchés".

Une loi peut-elle changer la situation?

Saisi par la députée socialiste de Corrèze à ce sujet, le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, avait pourtant adressé une réponse très claire en juillet dernier: "Dès lors que le lieu de travail habituel est la France, c’est-à-dire que les transports s'effectuent habituellement au départ ou à destination de ce pays […] les entreprises doivent avoir un établissement inscrit au registre du commerce", et donc appliquer les lois françaises en matière de travail. Ce n'est évidemment pas le cas sur le terrain.

Le ministre du travail, Michel Sapin, reconnaît lui aussi les dégâts de cette concurrence travaillant en France. Pendant plusieurs semaines, il a fait campagne pour convaincre ses homologues européens de limiter le recours à ces travailleurs. En décembre dernier, il a obtenu un accord, mais la directive ne rentrera pas en vigueur avant 2016.

Sensibles à ce problème, les députés français ont pris les devants, et ont voté une proposition de loi ce mardi pour encadrer plus fermement le détachement de ces travailleurs. Les entreprises dont les sous-traitants font appel à des travailleurs venus d'ailleurs en Europe seront désormais responsables si une infraction au code du travail est constatée. Mais pour les routiers, dont le lieu de travail évolue sans cesse, la situation est plus complexe. Alors Claude Lejeune a pris une décision: il va abandonner son entreprise, la mort dans l'âme. Il veut désormais se lancer dans les métiers du funéraire.

Alexandra Gonzalez