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Union européenne

La dette de l'Italie attaquée par les fonds spéculatifs

A un mois des élections législatives en Italie, de plus en plus de "hedge funds" vendent à découvert sa dette publique. Avec des effets sur la campagne de la droite nationaliste.

Un article du média de la City de Londres, le Financial Times, abondamment relayé ces dernières 24 heures en Italie, vient confirmer les intuitions de beaucoup de commentateurs italiens: les fonds de gestion alternative ont entrepris de mettre à l’épreuve la troisième économie de la zone euro, afin, cela va de soi, d'en tirer parti.

Leurs paris à la baisse sur la dette italienne ne se sont jamais révélés aussi élevés depuis la grande crise financière de 2008. D’après les données de S&P Global, la valeur totale des obligations italiennes empruntées par ces investisseurs, à cet effet, dépasse à présent les 39 milliards d’euros.

Les justifications avancées ne relèvent pas des analyses les plus sophistiquées sur le nouveau paysage électoral qui se dessine pour les élections législatives du 25 septembre. Dans le quotidien économique britannique, un "gros" investisseur dans les hedge funds, qui n’est pas nommé, juge que "l’Italie semble le pays le plus vulnérable", ce qui expliquerait qu’il soit désormais "répandu" de jouer la divergence entre les taux d’intérêt allemands et italiens.

Vente à découvert

Mark Dowdey, dirigeant à Londres de Blue Bay Asset Management, filiale de la banque canadienne RBC, énonce, lui, ouvertement son raisonnement: nous sommes face au pays le plus exposé à la poussée des cours du gaz et, puis "la politique y est difficile". Manière, là aussi, de tirer les conclusions d’une tourmente institutionnelle à Rome avant qu'elle se produise. Alors, l'investisseur déclare vendre à découvert des titres à dix ans, en ayant recours à des contrats à terme.

En rapportant l'article annonçant de tels nuages financiers, la chaîne d’information publique italienne RAI News ne peut qu’établir le constat d’un creusement de l’écart avec le taux de référence allemand, et l’inquiétude à cet égard des épargnants italiens, parmi lesquels se trouvent forcément bon nombre de ces électeurs qui comptent renverser la table politique dans un mois.

Par son titre, le quotidien milanais Corriere della Sera, traditionnellement proche des milieux industriels, ne conçoit pas davantage d’illusions : "La plus grande campagne spéculative contre la dette du pays est en cours". Un intermédiaire de marché italien, Pietro Cali (Copernico SIM) y considère que "le spectre de 2008 est bien présent dans la tête des investisseurs" et que la démission du Premier ministre Mario Draghi, le mois dernier, a mis au jour "un fort attrait pour des stratégies courtes" sur l’Italie, dès lors que "les hedge funds sont toujours prêts à exploiter les craintes des investisseurs."

Bras de fer avec la BCE

Le décrochage de la dette italienne devient-il alors inéluctable, puisque la droite anti-UE accèderait au pouvoir? La thèse d'un écroulement à l’annonce des résultats du scrutin du 25 septembre, tout le monde n’y croit pas encore. Toujours dans le Financial Times, Decio Nascimento, le directeur des investissements du fonds alternatif américain Norbury Partners, met en garde les téméraires qui croient pouvoir remporter un "bras de fer" contre la Banque centrale européenne (BCE), qui a installé en juillet un nouvel outil d'intervention destiné, potentiellement, à empêcher une fragmentation des taux d’emprunt dans la zone euro.

Et c’est exactement ce que pense Augusto Minzolini, qui dirige Il Giornale, journal favorable à un bloc de droite nettement en tête dans les sondages. "Nous ne sommes pas comme en 2008", parce que "cette fois", assure-t-il confiant, "il y a le bouclier de la BCE", sauf que manifestement cet argument de la menace en provenance de Francfort ne convainc pas encore les hedge funds.

Héritage Thatcher

Frères d’Italie (FdI), la formation dite "post-fasciste", saisit, au demeurant, tout le risque que porte cette défiance de marché et, en conséquence, s'est lancée dans une tentative de normalisation auprès de ces mêmes arbitragistes internationaux. La cheffe de FdI, Giorgia Meloni, reste, et de loin, la mieux placée dans les intentions de vote pour succéder au président Draghi. Elle s’est adressé, hier, à ces marchés dubitatifs via l’agence britannique Reuters : "Nous ne voulons pas détruire l’Europe. Nous ne voulons pas faire de choses folles". Cette députée, qui s'est forgé l'image d'unique figure de l'opposition nationale, réaffirme que son gouvernement "ne mettrait pas en péril les finances publiques".

Récemment dans un entretien au magazine conservateur londonien The Spectator, dans cet exercice de campagne, Giorgia Meloni s’est même revendiquée de l’héritage de Margaret Thatcher, la figure la plus marquante du libéralisme contemporain. De ce point de vue, il lui reste bien du chemin pour emporter l’adhésion, y compris au sein de sa propre alliance politique. Il Foglio, un quotidien conservateur milanais soutien de toujours de l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi, écrit ainsi que malgré "l’image que Giorgia Meloni tente de projeter à l’étranger, la réalité est que son programme a une forte empreinte protectionniste, étatiste et hostile au marché. Beaucoup plus lepénien que thatchérien". L'aggiornamento n'a pas encore abouti.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international