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Union européenne

Débureaucratisation, marchés de capitaux: Le Maire expose ses piliers du modèle européen du XXIe siècle

A l'occasion de la conférence "Europe 2024" organisée à Berlin, le ministre de l'Economie et des Finances a appelé l'Allemagne à réinventer le modèle économique européen pour faire face au protectionnisme américain et à l'interventionnisme chinois.

"Les Etats-Unis ont un modèle économique: le protectionnisme. Les Chinois ont un modèle économique: l'interventionnisme. Où est le modèle économique européen et qui pourrait le définir?" Après avoir exposé les faiblesses macroéconomiques de l'Europe, de la perte de productivité au coût exorbitant de son énergie, c'est la question centrale qu'a posée Bruno Le Maire en préambule de son discours lors de la conférence "Europe 2024" à Berlin ce mardi. "Notre modèle économique européen du XXe siècle reposait sur des principes simples: libre-échange absolu, dépendance énergétique totale, ouverture aux autres marchés, consommation de masse plutôt que production de masse", a-t-il rappelé.

"Ce modèle est caduc. Les règles du jeu commercial ont changé. Plus personne ne les respecte, ni les Etats-Unis et la Chine. L'Europe est la dernière à respecter ces règles."

Selon le ministre de l'Economie et des Finances, l'Europe risque tout simplement de "perdre le jeu" si elle demeure le seul acteur à en respecter les règles. Il appelle donc Allemands et Français à "réinventer notre modèle économique européen du XXIème siècle" qu'il articule autour de "six mots d'ordre": le risque, l'argent, la débureaucratisation, l'indépendance, la confiance et la puissance.

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Un produit d'épargne européen commun

Bruno Le Maire souhaite tout d'abord que l'Europe cesse de mettre en avant "le principe de précaution" pour y préférer le risque. C'est dans cette optique qu'il propose la création d'une communauté européenne de l'intelligence artificielle ou encore de rassembler les différentes forces pour assurer la réussite d'Ariane 6. "Chaque année, la Chine construit deux réacteurs nucléaires nouveaux, ouvre 40 gigafactories de semi-conducteurs, réalise des milliers de km de voies ferrées, assemble 9 millions de véhicules électriques, constate-t-il. Prenons les mêmes risques et décidons vite, fort, ensemble et loin."

Le patron de Bercy a remis l'accent sur la question du financement de ce modèle économique européen du XXIème siècle afin de faire face aux subventions massives accordées par la Chine et les Etats-Unis. "Ces deux grandes nations vont pouvoir sortir les mêmes produits que nous à un prix 20 à 30% moins cher que le nôtre, alerte-t-il. Si nous ne résistons pas, nous sommes morts. Mettons l'argent." Il concède que l'argent public sera nécessaire mais insiste sur le fait qu'il ne pourra pas supporter tous les investissements alors que la France doit rétablir ses comptes publics.

"Mettons en place un produit d'épargne européen commun pour le mettre au service de notre croissance: 35.000 milliards d'euros d'épargne privé dorment sur des comptes en Europe, un tiers finance l'économie américaine."

Bruno Le Maire en a profité pour souligner l'urgence à agir sur l'union des marchés de capitaux qu'il encourage depuis plusieurs mois: "Je propose que nous réglions cette question de la supervision des marchés européens des capitaux. Sans supervision, il n'y a pas d'union des marchés des capitaux et sans celle-ci, nous verrons nos PME et start-ups naître à Berlin et Paris et se développer à Washington."

Une directive omnibus pour contrer la bureaucratisation

Alors que le gouvernement français veut entamer une opération de simplification administrative en France, le ministre de l'Economie et des Finances souhaite faire de même à l'échelle européenne et "rétablir un meilleur équilibre entre la production de biens et la production de normes." "Nous voulons engager sans délai la débureaucratisation de la construction européenne, martèle-t-il. Je propose que l'Allemagne et la France travaillent à une directive omnibus qui, après les élections européennes, révisera l'intégralité des normes européennes qui pèsent sur notre industrie et notre économie en vue de les simplifier, des les alléger et de supprimer qui sont inutiles ou obsolètes."

Au sujet de l'indépendance, Bruno Le Maire a mis l'accent sur le volet énergétique et demandé à son homologue allemand de respecter la décision souveraine de la France de relancer la filière nucléaire qu'il souhaite "pleinement intégrer dans la politique énergétique européenne." Enfin, le patron de Bercy a tenu à clarifier la nature des rapports de l'Europe avec les deux principales puissances économiques mondiales:

"Nous ne sommes ni une annexe de Washington, ni une cible de Pékin. Nous sommes des alliés des Etats-Unis et des partenaires commerciaux de la Chine."

Il a salué les récents succès européens dans la réalisation de nouvelles chaînes de valeur, la création d'une coopérative sur l'hydrogène ou encore la taxation des géants du numérique. "Allons au bout de notre stratégie et prenons en compte les réalités géopolitiques de demain, a-t-il lancé. L'Amérique est et restera protectionniste. Que Biden ou Trump l'emporte, cela ne changera rien. Les Chinois resteront interventionniste et nous savons déjà que les produits chinois arriveront sur le marché européen qui est le plus grand de la planète. Nous sommes le premier marché commercial de la planète : les Etats-Unis et la Chine ont besoin de nos consommateurs. Nous pouvons établir un rapport de force."

Timothée Talbi