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TOUT COMPRENDRE - Faut-il nationaliser les autoroutes?

Plusieurs candidats à l'élection présidentielle souhaitent en terminer avec les contrats de concessions aux sociétés autoroutières alors que les péages augmentent encore au 1er février. 

Des milliers de kilomètres et des milliards d'euros… Voici l'enjeu des autoroutes françaises, déjà au coeur de la campagne présidentielle. Certains candidats verraient bien dans la nationalisation des autoroutes une rente bienvenue pour les finances publiques alors que les péages ont de nouveau augmenté au 1er février. Mais la nationalisation des autoroutes peut-elle faire office de poule aux oeufs d'or?

• A qui appartiennent les autoroutes? 

En réalité, la "nationalisation" des autoroutes est un abus de langage. Les infrastructures routières font partie du domaine public mais l'Etat a concédé, pour la majeure partie des tronçons, l'exploitation et l'entretien à des entreprises publiques, devenues totalement privées en 2006. Parler de nationalisation revient donc à nationaliser les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA). 

Trois groupes se partagent donc les concessions: Vinci, Eiffage et Sanef. Ce sont aussi elles qui gèrent les péages.  

• Pourquoi ces sociétés ont-elles été privatisées? 

En 2006, le gouvernement Villepin finalise un mouvement déjà engagé par le gouvernement Jospin, qui avait ouvert le capital de ces sociétés au privé. L'idée était alors de dégager des recettes publiques pour financer le fonds de réserve des retraites (pour la gauche) et réduire la dette (pour la droite). La privatisation n'a pas fait l'unanimité, y compris au sein même du gouvernement de l'époque.  

Mais l'idée s'est finalement imposée: elle a rapporté 14,8 milliards d'euros à l'État "qui s'est trouvé également déchargé des 16,8 milliards d'euros de dette des SCA", résume un récent rapport du Sénat. Mais l'Etat a néanmoins posé une limite: elle a signé des contrats de concessions aux groupes qui allaient acquérir les sociétés d'autoroute avec des durées limitées. Charge à eux de gérer le réseau en échange des revenus des péages.

Actuellement, une vingtaine de sociétés concessionnaires (toutes filiales de Vinci, Eiffage et Sanef) sont titulaires de 24 contrats de concession. L'échéance de ces concessions autoroutières débutera en 2031 pour les premières et se terminera en 2036. 

• L'Etat a-t-il perdu au jeu en privatisant les SCA? 

C'est l'avis de nombreux candidats à la présidentielle comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Mais c'est aussi un des constats d'un récent rapport sénatorial.

"Notre commission d'enquête au Sénat a montré que l'Etat n'avait pas fait une très bonne opération et qu'elle aurait pu mieux vendre", résume sur BFMTV Vincent Delahaye, vice-président du Sénat et rapporteur (Union centriste) de cette commission.

La cession d'ASF (Autoroutes du Sud de la France) au groupe Vinci s'est par exemple faite sans mise en concurrence. Au total, le manque à gagner, évalué par le Sénat, se chiffrerait à 6,5 milliards d'euros pour l'État. 

A cela, il faut ajouter les dividendes importants à prévoir pour les groupes autoroutiers, qui ont déjà rentabilisé leurs investissements. "Au-delà de 2022, les dividendes versés atteindraient environ 40 milliards d'euros, dont 32 milliards pour Vinci et Eiffage à comparer avec les coûts d'acquisition des sociétés", insiste le rapport. 

• Les usagers sont-ils aussi perdants? 

C'est plus difficile à déterminer. Côté porte-monnaie, ils sont pris au piège par les contrats de concession qui imposent chaque année des hausses de tarifs en fonction de l'inflation ou des travaux entrepris.

Mais l'entretien des tronçons est forcément couteux. Jusqu'en 2012, le pays pouvait même se targuer d'afficher les meilleures infrastructures routières du monde selon le Forum économique mondial. Dix ans plus tard, la France est tombée à la 18ème place. L'Etat aurait-il fait mieux? "Il suffit de regarder l'état des hôpitaux", grince Vincent Delahaye. 

• L'Etat a-t-il intérêt à nationaliser les SCA? 

Pour ceux qui souhaitent reprendre en charge les autoroutes, l'idée est de dénoncer les contrats et renationaliser les concessions à bas prix: "5 milliards d'euros en prenant en considération l'endettement énorme de ces entreprises", assure-t-on chez Marine Le Pen.

En septembre dernier, le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari avait critiqué cette proposition "bien populiste et bien démagogique". Selon lui, une nationalisation coûterait "45 à 50 milliards d'euros" en plus des coûts d'entretien alors qu'il "suffirait" d'attendre la fin des concessions. Un avis partagé par Vincent Delahaye: même à simplement dénoncer les contrats actuels, "on va payer des tas d'avocats avec des contentieux d'enfer", explique-t-il. "Je préfère essayer de récupérer une partie des dividendes qui vont être versés d'ici à fin des contrats", ajoute le sénateur. 

Thomas Leroy Journaliste BFM Business