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Manifestations spontanées, non déclarées... Comment l'opposition à la réforme des retraites évolue

Manifestation contre la réforme des retraites au Mans, le 21 mars 2023

Manifestation contre la réforme des retraites au Mans, le 21 mars 2023 - JEAN-FRANCOIS MONIER © 2019 AFP

Depuis l'utilisation du 49.3 jeudi, une nouvelle forme de mobilisation contre la réforme des retraites a émergé, avec des rassemblements plus spontanés, mobiles et autonomes.

"Ce n'est pas à nous de lâcher, c'est au gouvernement de retirer son texte", assure Claire auprès de BFMTV.com. Elle manifeste depuis les premiers rassemblements contre la réforme des retraites, mais a redoublé d'ardeur depuis jeudi dernier et l'utilisation du 49.3 par Élisabeth Borne pour faire adopter le texte sans vote des députés.

"On a manifesté pendant plusieurs mois de manière pacifique et c'était très bien, mais en face de nous, on a quelqu'un qui méprise cette mobilisation", dénonce-t-elle.

Depuis jeudi, tous les soirs, elle participe à des rassemblements à Paris pour montrer son mécontentement. Après huit journées de manifestations plutôt classiques contre la réforme des retraites, organisées par les syndicats, le mouvement de contestation de la réforme des retraites semble avoir changé. Ou plutôt, une nouvelle forme de mobilisation s'est ajoutée à celle revendiquée par l'intersyndicale.

Des "petits groupes très mobiles"

Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, l'a décrite ce mardi sur BFMTV. Elle se constitue de "petits groupes très mobiles", "très éclatés" et "n'excédant pas les 200, 300 personnes". Selon Laurent Nuñez, ces groupes "se constituent très vite" et "commettent beaucoup d'exactions", le chef de la sécurité intérieure parisienne citant des barricades de poubelles incendiées.

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, donnait mardi le chiffre de 1200 manifestations non déclarées à travers la France depuis jeudi dernier. Elles se sont déroulées à Paris, mais aussi à Rennes, à Lille, à Nantes...

"Ce sont des actions coup de poing pour faire monter la mobilisation. On ne veut pas du chaos, mais on veut être entendus", expliquait mardi sur BFMTV Frédéric Souillot, secrétaire général du syndicat Force Ouvrière.

Une action de la police compliquée

Cette forme de mobilisation rend plus difficile l'intervention des forces de l'ordre, selon David Leveau, secrétaire régional Bretagne du syndicat Unité SGP Police FO, qui décrivait lundi à BFMTV des manifestants "ultramobiles".

"On court un peu partout, et on commence aussi à s’essouffler du côté police. En plus des manifestations officielles et de la casse à côté, on a aussi des mouvements sporadiques", qui sont "décrétés au dernier moment", expliquait-il.

"On se retrouve à jouer au chat et à la souris dans des petites ruelles de Paris. Là, on bascule plus dans de la violence urbaine et c'est un peu plus compliqué pour nous parce qu'on se retrouve parfois en sous-effectif", affirmait mardi à BFMTV Reda Belhaj, porte-parole de la branche Île-de-France du même syndicat.

S'il disait "comprendre la colère" des personnes qui manifestent contre la réforme des retraites, il jugeait que la "problématique" était "la violence".

Les forces de l'ordre dispersent

Lundi, un manifestant parisien expliquait à l'AFP avoir adopté la méthode "be water", rendue populaire par les manifestations de 2019 à Hong Kong. Référence à Bruce Lee, le concept du "be water" consiste à se déplacer de manière fluide pour ne pas être rattrapé par les forces de l'ordre.

Mais pour Claire, cette forme de mobilisation ne répond pas à une stratégie pensée: "il y a des tentatives de faire des grands cortèges, comme le premier soir entre Saint-Lazare et Opéra", note-t-elle. La manifestante explique que "la dispersion vient de la police": "nous, on demande à manifester, mais c'est la police qui essaie d'éclater les groupements. Et malgré la répression, les gens restent, c'est assez émouvant je trouve".

Un mouvement autonome

La police intervient notamment parce que ces manifestations ne sont pas déclarées au préalable, a défendu Gérald Darmanin au micro de BFMTV mardi. Mais pour les déclarer, "il faudrait une association, un parti, alors que les manifestants viennent de manière spontanée", observe Claire.

Le chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) Guy Groux constate aussi auprès de BFMTV.com une "autonomie de ce mouvement contestataire":

"On ne peut pas dire qu'il relève des syndicats parce qu'il se passe en dehors d'eux, avec des jeunes qui sont hors organisations syndicales et une mobilisation rendue possible grâce aux réseaux sociaux".

Mais elle ne se déroule pas non plus contre les syndicats, selon le sociologue spécialiste du militantisme, qui anticipe que les cortèges annoncés pour jeudi par l'intersyndicale vont réunir beaucoup de monde. Des syndicats comme la CGT ou Solidaires ont d'ailleurs affiché leur soutien à certaines actions ces derniers jours.

De son côté, le politologue spécialiste des organisations syndicales Dominique Andolfatto voit dans cette nouvelle mobilisation une "convergence entre une aile radicale de certains syndicats et une autre forme de militantisme, avec des jeunes, des mouvements plus ou moins insaisissables et plus radicaux".

Des revendications qui ont évolué

Dans les rassemblements, les slogans anti-Macron se mêlent de plus en plus aux slogans contre la réforme des retraites en elle-même. Guy Groux souligne "un basculement du social au politique", avec "un mouvement anti-Macron, anti-personnalisation du pouvoir".

"Avec le 49.3, pour beaucoup, ce n'est plus seulement une revendication sociale, c'est passé sur le terrain politique de la démocratie. Donc cela s'adresse nécessairement à Emmanuel Macron en tant que chef de l'État", développe-t-il.

Le gouvernement semble déterminé à faire passer coûte que coûte sa réforme des retraites, qui doit encore obtenir le feu vert du Conseil constitutionnel. Mercredi encore, Emmanuel Macron a affirmé son souhait de la voir entrer en vigueur "d'ici la fin de l'année".

Quelle suite possible?

Le sociologue Guy Groux émet trois hypothèses pour la suite de la contestation: "des manifestants qui se fatiguent (mais c'est peu probable), de plus en plus de monde dans ces manifestations avec des lieux publics occupés, ou que le gouvernement suspende momentanément sa réforme".

Le politologue de l'université de Bourgogne Dominique Andolfatto fait une autre lecture: "si le mouvement social actuel évolue vers des formes d'actions qui prennent des traits d'émeutes, il ne durera pas longtemps car l'opinion publique va le condamner et ne plus aller dans les manifestations syndicales".

Emmanuel Macron a en tout cas fait passer un message clair à ces manifestants, affirmant ce mercredi ne pouvoir accepter "ni les factieux ni les factions" et ne tolérer "aucun débordement".

Sophie Cazaux