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"Je commençais à peine à souffler": ces préretraités craignent de devoir retravailler à cause de la réforme

Certains se croyaient déjà presque à la retraite... et pourtant. De nombreux salariés nés après 1961 qui étaient en préretraite grâce aux congés cotisés, se retrouvent finalement concernés par la réforme. À l'usine Orano (Drôme), des employés ont déjà été rappelés. Mais dans d'autres sociétés, les salariés ne savent pas encore ce qu'il va advenir de leur sort.

Dans les mois à venir, Bernard Alexandre se voyait déjà profiter de sa retraite à Cuba avec son épouse. Cela fait déjà un an que cet homme de 62 ans profite des congés CET (Compte épargne-temps) qu'il avait mis de côté pour sa préretraite. Cet homme pensait qu'il ne remettrait plus jamais un pied à l'usine de l'entreprise Orano, où il a travaillé pendant 39 ans. Pourtant, il se pourrait bien que la réforme des retraites - notamment le report de l'âge légal de 62 à 64 ans - contraigne le sexagénaire à faire un trimestre de plus.

La semaine passée, Bernard Alexandre et 15 de ses collègues ont reçu une lettre recommandée de leur employeur, leur proposant trois possibilités: revenir travailler, accepter une baisse de salaire ou prendre des congés sans solde. Ils ont jusqu'au 30 avril pour rendre leur réponse.

Voyages, petits-enfants... Des projets en suspens

Une façon de faire que ne comprennent pas les syndicats. "C'est surprenant, d'autant que la direction n'en a même pas informé les organisations syndicales", déplore Alain Pécherand, délégué CGT Orano Tricastin à Pierrelatte (Drôme). Pour lui, c'est "un manque de respect envers ces salariés qui, pour la plupart, ont travaillé de longues années dans le groupe". La direction du groupe, elle, affirme simplement vouloir "dialoguer avec ses collaborateurs en amont" afin de "trouver des solutions" au cas par cas.

"Ça fait vraiment suer! Je commençais à peine à souffler, à revivre un peu", souffle Bernard Alexandre.

Il avait déjà prévu de quoi occuper ses journées: un mariage à préparer, une croisière aux Caraïbes, un voyage à Cuba... sans oublier ses petits-enfants dont il s'occupe régulièrement.

"Je ne compte pas m'asseoir sur 3 mois de salaire. Mais forcément, à cause de ça, je ne peux plus me projeter. Au dernier moment on change les règles et on vous propose des choses inacceptables", explique ce salarié né en mars 1962, à qui il manque un trimestre selon les nouvelles modalités de la réforme. En tout cas, lui se dit prêt à revenir, même s'il ne sait pas où il pourrait être déployé.

"On ne rentre dans aucune case"

"Ça n'a pas de sens, ça a été mal pensé", déplore de son côté Xavier Guillot, ancien chef de projet informatique. "Nous avons déjà été remplacés, comment voulez-vous qu'on nous attribue un nouveau poste?", s'interroge cet homme, à qui la direction a déjà fait savoir qu'au cas où il souhaiterait réintégrer les effectifs, il ne pourrait pas retrouver son poste... et qu'il pourrait même être muté sur un autre site du groupe.

"Psychologiquement, c'est dur. Il faut se mettre à notre place: dans ma tête ça y est, j'étais libéré de toute activité professionnelle. J'aurais très bien pu vendre ma maison et être en Thaïlande à l'heure qu'il est", confie le sexagénaire.

Puisqu'il ne compte pas retourner travailler, Xavier Guillot va plutôt choisir les congés sans solde, même s'il est conscient que cela va lui faire perdre de l'argent, à hauteur de 27% de son salaire pendant huit mois.

"Je n'ai pas envie d'avoir de décote"

Murielle*, elle, est dans une situation encore plus délicate, dans le sens où elle ne sait pas à quoi s'attendre. Ayant cotisé ses 168 trimestres, cette gestionnaire comptable de 62 ans chez un bailleur social des Hauts-de-France est en préretraite depuis décembre 2021.

Selon les nouvelles modalités de la réforme, elle devrait faire deux trimestres supplémentaires. Mais les décrets d'application de la réforme n'ayant pas encore été publiés, son employeur ne sait pas quoi faire d'elle, ni de la quinzaine d'employés qui sont dans la même situation.

"Pour l'instant, on ne rentre dans aucune case. Ils ne peuvent pas se permettre de nous reprendre à nos postes, on n'a pas droit à Pôle emploi... Je ne le vis pas trop bien car je n'ai pas envie d'avoir de décote, j'ai bossé 40 ans. J'ai fait mes trimestres", râle Murielle, qui attend de pied ferme son rendez-vous à la Carsat (Caisse d'assurance retraite) début mai.

Philippe Carteron, tourneur chez Safran à Corbeil-Essonnes, ne sait pas non plus comment cela va se passer pour lui dans les prochains mois. Le sexagénaire comptait continuer à sillonner les routes avec le camping-car qu'il a acheté spécialement pour profiter de sa préretraite, pour laquelle il a cotisé exprès pendant plus de trois ans afin de "pouvoir partir de bonne heure". "Je travaille en usine depuis que j'ai 18 ans. Toute ma vie, j'ai fait les 3/8, des horaires de nuit. J'aimerais qu'on me laisse partir: place aux jeunes maintenant".

* Le prénom a été changé, la personne ayant préféré témoigner anonymement.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV