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Emploi, logement, pauvreté: la photographie de la "fracture sociale" française

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Dans sa dernière étude, le Crédoc illustre la "fracture sociale" en identifiant sept catégories distinctes au sein de la population. Emploi, pauvreté, logement... Les auteurs de l'enquête affirment que deux tiers des Français sont confrontés à au moins une forme de fragilité.

Thème central de la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 1995, la "fracture sociale" divise encore aujourd’hui la population française. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc).

Les conclusions de cette enquête menée auprès d’un échantillon de 3000 personnes représentatif de la société révèlent que deux tiers de la population se trouvent confrontés à au moins une source de fragilité parmi les six recensées (handicap et santé dégradée, précarité professionnelle, difficultés de logement, pauvreté monétaire, relégation territoriale, isolement et solitude). Le Crédoc identifie ainsi sept catégories distinctes au sein de la population.

>Aucune fragilité

La première catégorie regroupe le tiers des Français (34%) épargné par toutes les formes de fragilités. Il s’agit le plus souvent de personnes aisées (32% disent avoir de hauts revenus et 33% déclarent appartenir à la classe moyenne supérieure). C’est donc logiquement la catégorie de population qui part le plus en vacances: 76% d’entre eux sont partis au cours des 12 derniers mois, contre 63% des Français dans leur ensemble.

Cette population compte une majorité de propriétaires n’ayant plus d’emprunt à rembourser (54% contre 41% dans la population française). Elle se compose à 35% de retraités, à 34% de profession intermédiaire, à 21% de cadres et professions intellectuelles supérieures, à 21% d’employés, à 16% d’ouvriers et à 9% d’agriculteurs exploitants, artisans ou commerçants.

Cette frange de la population qui enregistre les niveaux de confiance les plus élevés envers le gouvernement (55%), les pouvoirs publics (50%) et les institutions (78%) est aussi celle qui se sent la plus heureuse: plus de la moitié (56%) se dit assez souvent heureux. C’est 11 points de plus que dans le reste de la population.

>Une seule fragilité en moyenne

Cette population rassemble des individus affectés le plus souvent par un problème et un seul. Cela signifie que cette fragilité, liée à l’emploi ou à la santé, n’entraîne généralement pas d’autres types de vulnérabilités.

>Fragilité liée à la santé

15% des Français disent être confrontés à une fragilité liée à la santé (handicap, état de santé dégradé). Un tiers d’entre eux sont des Français de 70 ans ou plus. Si l’on ajoute les personnes au foyer et les autres inactifs, 60% de cette classe sont sortis du marché du travail. 

Les niveaux de revenus de cette population sont globalement plus élevés que ceux de la population entière. 34% des personnes qui déclarent une fragilité liée à la santé disent ainsi disposer de hauts revenus. Ils sont également "plus nombreux que le reste des Français à indiquer pouvoir boucler leurs fins de mois tout en mettant de l’argent de côté. Une donnée à relier à l’âge de cette population", précise le Crédoc.

C’est aussi la catégorie qui établit le lien le plus étroit entre santé et alimentation. 40% de cette population déclarent en effet limiter sa consommation de viande, soit cinq points de plus que le reste de leurs concitoyens. Ils sont en outre 84% à citer les maladies graves comme un sujet de préoccupation majeur (contre 77%). Enfin, plus de neuf personnes ayant des problèmes de santé sur dix (92%) indiquent voir régulièrement les membres de leur famille proche (contre 78%).

>Fragilité liée à l’emploi

8% des Français déclarent avoir essentiellement un problème d’emploi (chômage, sous-emploi ou précarité). La plupart du temps, c’est la seule forme de fragilité qui est recensée (1,3 forme de fragilité en moyenne). Cette catégorie est composée à 65% de femmes, notamment parce qu’elles représentent une forte proportion parmi les personnes en CDD et en temps partiel subis. Elle se distingue également par une population plus jeune (32% ont moins de 25 ans) qui éprouve des difficultés à entrer dans la vie active.

Les personnes au chômage représentent 19% de cette population. "Les concitoyens qui présentent un fragilité en matière d’emploi sont plus souvent ouvriers (24%) ou employés (29%)", indiquent les auteurs de l’étude.

Sans surprise, ils sont moins souvent propriétaires de leur logement (33%) que le reste de la population (41%). Ils sont également moins souvent parents (51% contre 35%), ce qui peut s’expliquer par l’âge moyen de cette catégorie, ainsi que l’assise moins stable de cette population sur le marché du travail.

Plus de la moitié des personnes de cette classe (56%) recherche un emploi rémunéré et régulier. Mais tous ne sont pas prêts à travailler à n’importe quel prix. 80% des Français qui connaissent des difficultés en matière d’emploi pensent "qu’il est parfois plus avantageux de percevoir les minimas sociaux que de travailler avec un bas salaire". C’est le cas de 75% du reste de la population. Ils sont également plus nombreux (75%) à considérer que le travail est avant tout un moyen de gagner sa vie (70% des Français).

Notons également que les individus ayant des difficultés sur le marché du travail sont plus nombreux que le reste de la population française à considérer que leur niveau de vie s’est amélioré en 10 ans (respectivement 30 et 21%). "Une des pistes d’explication de cet optimisme est sans doute à rechercher dans l’âge des individus concernés. […] La hausse du niveau de vie peut ainsi s’expliquer par le passage de la vie étudiante à l’entrée sur le marché du travail", explique le Crédoc.

>Fragilités cumulées

Les autres catégories de population se distinguent également par une forme de fragilité dominante (pauvreté, logement, relégation territoriale ou isolement) mais déclarent en subir d’autres. De fait, "les six sources de fragilité étudiées sont souvent corrélées entre elles", observe le Crédoc.

>Fragilité liée à la pauvreté

Les individus regroupés dans la classe marquée par la pauvreté (niveau de vie inférieur à 60% du niveau de vie médian) représentent 8% des Français. Ils déclarent en moyenne souffrir d’1,8 forme de fragilité (la pauvreté donc, mais aussi des problèmes d’emploi et de santé notamment). 63% des personnes de cette catégorie sont des femmes, 38% ont moins de 25 ans et 20% sont sans emploi. Plus d’un tiers de cette population (37%) habitent dans une agglomération de plus de 100.000 habitants (31% de la population en générale). Ils sont également plus souvent célibataires (54%) que le reste de la population (28%).

15% de cette population modeste sont logés gratuitement, contre 8% de leurs concitoyens. La moitié déclare par ailleurs que les minimas sociaux ne sont pas suffisants. Ainsi, les personnes vivant en situation de pauvreté sont moins nombreuses que le reste de la population à considérer qu’il est parfois plus avantageux de percevoir les minima sociaux plutôt que de travailler avec un bas salaire (63%, contre 75%).

Dans cette catégorie, sept personnes sur dix s’obligent régulièrement à réduire leurs dépenses. C’est 14 points de plus qu’en population générale. Elles sont enfin les plus pessimistes quant à l’évolution du taux de chômage. 53% de cette classe estiment que le nombre de chômeurs va augmenter dans les années à venir, contre 41% de l’ensemble des Français.

>Fragilité liée au logement

Comme pour la catégorie précédente, les jeunes (26%) et les femmes (64%) sont surreprésentés parmi les 12% de Français qui indiquent éprouver essentiellement une difficulté liée au logement, notamment parce que les dépenses afférentes pèsent une lourde charge dans leur budget. Mais cette population cumule en moyenne 2,2 formes de fragilité (problème de santé, de pauvreté ou d’emploi dans la plupart des cas).

79% des personnes qui composent cette classe disent ainsi s’imposer des restrictions budgétaires (57% de la population française). Ils se restreignent ainsi beaucoup plus que les autres dans tous les postes de dépenses: équipement électroménager (+23 points), alimentation et habillement (+21 points), vacances et loisirs (+20 points) …

"A ce niveau élevé de restrictions s’ajoute une moindre satisfaction quant à son cadre de vie: dans ce groupe, 30% des personnes ne sont pas satisfaites de ce qui entoure le logement. C’est deux fois plus que dans l’ensemble de la population (14%)", ajoutent les auteurs de l’étude.

>Fragilité liée à la relégation territoriale

11% de la population française indiquent avoir "tout à fait" le sentiment de vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics. Les individus victimes de la relégation territoriale connaissent en outre 2,5 formes de fragilité en moyenne (pauvreté, problème de logement et de santé…). C’est la classe la plus concernée par le cumul des difficultés.

Elle se distingue notamment par un niveau de diplôme plus bas: 63% des individus de cette catégorie ont un diplôme inférieur au baccalauréat. Cette population cumule ainsi les difficultés sur le marché du travail et les difficultés économiques (35% disent disposer de bas revenus).

Se sentant délaissés, les individus de cette classe témoignent une défiance marqué envers le gouvernement. Seuls 22% d’entre eux font confiance à l’exécutif pour résoudre les problèmes, contre 42% pour le reste de la population. Ils accordent également moins leur confiance envers l’institution scolaire (52% contre 70%) ou envers la police (60% lui font confiance, contre 75% des Français) et sont une majorité (52%) à réclamer des changements radicaux dans la société. Enfin, les relégués territoriaux sont ceux qui ressentent le plus le besoin de se replier sur la sphère privée. 70% d’entre eux considèrent que la famille est le seul endroit où l’on se sente bien.

>Fragilité liée à l’isolement

Plus d’un Français sur dix (11%) affirment ne pas voir régulièrement des membres de leur famille et recevoir du monde chez eux moins d’une fois par mois. Ces personnes isolées cumulent de 2,2 formes de fragilité en moyenne. "L’isolement relationnel s’entremêle à d’autres difficultés comme des difficultés sur le plan économique, ainsi que des problèmes en matière de logement ou d’emploi", souligne le Crédoc. En effet, 35% des isolés déclarent percevoir de bas revenus.

Ce faible niveau de vie s’accompagne d'un moindre équipement qui affecte d’autant plus la fréquence de leurs relations. Ainsi, si 94% des Français ont un téléphone portable, seules 87% des personnes isolées en ont un. De la même manière, elles sont moins nombreuses à être équipées d’une voiture (73% contre 85% en moyenne). Elles sont également moins impliquées dans la vie associative (31% contre 44% dans le reste de la population) et fréquentent moins les équipements publics (bibliothèque, cinéma, équipements sportifs) que le reste des Français.

C’est enfin la catégorie qui éprouve le plus de défiance envers les autres (63%). 41% des personnes isolées disent n’appartenir à aucune communauté (contre 50% des Français). Symbole de leur isolement, ils ne sont que 45% à estimer que la famille est "le seul endroit où l’on se sente bien et détendu".

"Tout se passe comme si les personnes de cette classe, isolées de leur famille et de leurs proches, n’avaient que très peu de centres d’intérêt et vivaient 'à côté' des autres, mais pas en relations avec eux", expliquent les auteurs de l’étude.
Paul Louis