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"64 ans, c'est inconcevable": pourquoi ils ont manifesté contre la réforme des retraites

Infirmière, ouvrier, fonctionnaire... De nombreux Français sont descendus dans la rue ce mardi pour manifester contre la réforme des retraites.

Infirmière, ouvrier, fonctionnaire... De nombreux Français sont descendus dans la rue ce mardi pour manifester contre la réforme des retraites. - BFMTV

Ouvriers, infirmières, cadres, fonctionnaires... Plusieurs milliers de Français ont défilé dans les rues de Paris ce mardi contre la réforme des retraites. Des manifestants du cortège parisien ont confié à BFMTV.com leur colère, leur agacement et les craintes.

Qu'ils travaillent en usine, à l'hôpital, dans les transports en commun ou qu'ils soient encore sur les bancs de la fac... Entre 1,272 million - selon les autorités - et 2,8 millions de Français - selon les syndicats - ont défilé ensemble ce mardi dans les rues de la capitale pour s'opposer à la réforme des retraites, qui prévoit notamment le report de l'âge légal de la retraite à 64 ans.

Pourquoi une mobilisation si massive contre le projet porté par le gouvernement d'Elisabeth Borne? Dans le cortège parisien, de nombreux manifestants ont expliqué à BFMTV.com vouloir dénoncer "une réforme injuste", tout particulièrement pour les personnes exerçant des métiers pénibles, celles qui ont commencé à travailler tôt ou encore les femmes, plus nombreuses que les hommes à avoir des carrières hachées.

Beaucoup ont confié qu'ils ne se sentaient personnellement pas capables, physiquement comme psychologiquement, de travailler "sereinement et en bonne santé" jusqu'à 64 ans, quand d'autres faisaient part de leur inquiètude vis-à-vis de leurs proches, déjà bien abattus par des années de travail érintant. Voici quelques uns de leurs témoignages.

• Alexandre, 40 ans, ouvrier: "Atteindre 62 ans me paraît déjà compliqué"

Cela fait 25 ans qu'Alexandre est ouvrier automobile sur le site de production Stellantis (PSA) situé à Poissy (Yvelines). À 40 ans, il explique travailler régulièrement de nuit, fait et raconte des cadences de travail "fatiguantes".

"Pour nous, 64 ans, c'est inconcevable", confie-t-il à BFMTV.com. "Déjà atteindre 62 ans, ça me paraît compliqué."

Aujourd'hui, il assure n'avoir d'ailleurs aucun collègue de cet âge-là: "Tous sont en arrêt maladie, ou ont choisi de faire des ruptures conventionnelles car ils sont KO". "Dans nos métiers, on est usés à partir de 55 ans", commente l'ouvrier. "Tout ça pour des salaires et des retraites de misère."

Alexandre, 40 ans et ouvrier chez Stellantis (Yvelines) depuis 25 ans lors de la manifestation contre la réforme des retraites.
Alexandre, 40 ans et ouvrier chez Stellantis (Yvelines) depuis 25 ans lors de la manifestation contre la réforme des retraites. © BFMTV

• Blandine, 45 ans, fonctionnaire: "Je n’ai pas encore fait la moitié de ma carrière"

Missions en interim, deux congés maternité, reprise d’étude sur le tard… Blandine, 45 ans, est fonctionnaire pour la région Grand Est. Originaire de Nancy, elle a fait les comptes: à cause de son parcours professionel hâché, elle ne pourrait pas partir à la retraite avant 67 ans, âge de la retraite à taux plein, quel que soit le nombre d'années de cotisation - ce qui est déjà le cas dans le système actuel.

Avec la réforme telle qu'elle a été présentée pour l'instant et le recul de l'âge légal, les femmes, plus exposées à des parcours hachés, devraient être amenées à allonger davantage leur carrière en moyenne que les hommes - Elisabeth Borne, elle, assure que son projet "ne pénalise pas les femmes".

"Je suis arrivée tard sur le marché comme beaucoup", raconte pour sa part Blandine. "Je me suis arrêtée pour mes deux enfants, j'ai repris des études à l'âge de 35 ans..."

Je n'aurais jamais cotisé assez pour pouvoir partir à un âge décent", s'inquiète-t-elle. "À 45 ans, je n'ai pas encore fait la moitié de ma carrière."

Blandine prend l'exemple de sa mère de 67 ans, désormais à la retraite mais malade depuis peu, avec qui elle est venue manifester. "Passé 60 ans ce n'était plus possible", relate-t-elle. "Elle n'arrivait plus à récupérer et le matin elle n'arrivait plus à se lever."

Blandine, fonctionnaire de 45 ans, manifeste contre la réforme des retraites à Paris
Blandine, fonctionnaire de 45 ans, manifeste contre la réforme des retraites à Paris © BFMTV

• Karima, 48 ans, fonctionnaire: "Les femmes sont en première ligne!"

C'est pour les femmes que Karima a décidé de rejoindre le cortège parisien ce mardi. "Elles sont en première ligne! Non seulement elles subissent les violences sexuelles et sexistes dans le monde du travail, mais en plus les violences sociales s'aggravent", déplore cette gestionnaire dans un établissement scolaire, installée à Paris.

"Femmes: 22% de salaire en moins, et il paraît qu'on chiale pour rien", est-il écrit sur sa pancarte.

Cette mère de deux enfants affirme que récemment, ses deux ados de 15 et 18 ans se sont mis en tête de commencer à "mettre de l'argent de côté car ils sont persuadés qu'ils n'auront pas de retraite". "Ça m'a profondément effrayée, ça m'a mise en colère et ça m'a même fait pleurer je dois dire", confie-t-elle.

C'est pour les femmes que Karima, 48 ans et fonctionnaire de l'Education nationale, a défilé ce mardi
C'est pour les femmes que Karima, 48 ans et fonctionnaire de l'Education nationale, a défilé ce mardi © BFMTV

• Roger, 55 ans, conducteur de bus à la RATP: "Deux ans de plus en enfer"

Si Roger est descendu dans la rue, c'est pour ne pas avoir à subir "deux ans de plus en enfer". Avec la réforme des retraites, ce chauffeur de bus de 55 ans à la RATP se voit déjà passer "deux ans de plus en enfer". "Notre régime spécial, qui actuellement prend en compte la pénibilité de notre travail, est menacé, il risque tout simplement d'être supprimé", explique ce machiniste à BFMTV.com.

Le projet gouvernemental prévoit en effet la suppression de la plupart des régimes spéciaux existants, dont ceux de la RATP, des industries électriques et gazières et de la Banque de France. "La goutte de trop" pour lui: "On ne peut pas accepter ça, c'est devenu insupportable."

"Déjà qu'on saborde nos conditions de travail ces derniers mois", poursuit-il, en référence aux nombreux problèmes de la régie, confrontée notamment à une pénurie de personnel et à la colère des usagers en raison de la dégradation de l'offre de transport.

"Actuellement j'ai de nombreux collègues en burn-out, d'autres en arrêt maladie...", affirme-t-il. "Comment vous voulez qu'on tienne jusqu'à 64 ans?"
Roger, conducteur de bus à la RATP, va devoir travailler deux ans de plus à cause de la réforme des retraites
Roger, conducteur de bus à la RATP, va devoir travailler deux ans de plus à cause de la réforme des retraites © BFMTV

• Eliane, 55 ans, infirmière: "Soulever un malade à 64 ans, je ne pourrai plus le faire"

Eliane est infirmière au sein du service de rénimation du centre hospitalier d'Arpajon (Essonne). À 55 ans, elle n'a pas encore précisément calculé à quel âge elle pourra partir en retraite avec la réforme. "C'est encore flou, mais je pense que ça devrait m'ajouter deux ans, car j'ai été à 80% pendant 15 ans pour des raisons personnelles", estime-t-elle.

"Ce qui est absolument certain et qui m'inquiète, c'est que soulever un malade en réanimation comme je le fais actuellement au quotidien, je ne pourrai plus le faire à 64 ans!", assure la quinquagénaire.

La soignante met en avant son "travail extrêmement physique". "Il faut que le gouvernement se mette en tête que ça ne sera plus possible", ajoute l'infirmière, qui évoque - comme de nombreux collègues - des conditions de travail à l'hôpital devenues "catastrophiques".

Le gouvernement assure que sa réforme apporte des réponses à la pénibilité au travail - formations et temps partiels facilités, congé de reconversion, suivi individuel des salariés exposés à des risques... - mais les syndicats les jugent très insuffisantes. Et Eliane n'est pas vraiment convaincue.

"On travaille les nuits, les week-end, les jours fériés, on ne peut plus prendre nos vacances quand on le veut à cause du manque de personnel", liste-t-elle. "Et maintenant on attend de nous qu'on allonge nos carrières difficiles? On se moque du monde!"

Eliane, 55 ans, est infirmière à l'hôpital d'Arpajon. Elle a manifesté à Paris ce mardi.
Eliane, 55 ans, est infirmière à l'hôpital d'Arpajon. Elle a manifesté à Paris ce mardi. © BFMTV

• Maïa, 23 ans, étudiante: "On n'est plus sûrs de rien"

À 23 ans, Maïa jongle entre son job de vacataire dans une bibliothèque et ses études en histoire de l'art. Malgré tout, la jeune Parisienne estime ne plus avoir "de visibilité sur l'avenir", estime-t-elle.

Maïa, 23 ans, est étudiante en histoire de l'art à Paris et redoute une entrée tardive sur le marché du travail.
Maïa, 23 ans, est étudiante en histoire de l'art à Paris et redoute une entrée tardive sur le marché du travail. © BFMTV

"C'est bien beau les études, mais ça nous fait rentrer de plus en plus tard dans le monde actif... On exige des parcours universitaires de plus en plus longs, et pourtant les carrières sont de moins en moins linéaires et faciles."

"Ce qui me révolte, c'est qu'aujourd'hui on sait que les diplômes ne sont même plus la garantie d'avoir un travail bien payé, voire d'avoir un travail tout court!", déplore-t-elle.

Entre son entrée tardive dans le monde professionnel, la précarité du marché du travail et la réforme annoncée, la jeune femme craint de n'avoir accès à "une retraite digne de ce nom". Le gouvernement, lui, assure que son projet est indispensable pour "sauver notre système" pour les générations actuelles et futures.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV