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"On se prend la réalité en pleine face": ces artisans qui n'ont pas survécu à l'envolée des prix

De nombreux petits commerçants se voient contraints de mettre la clé sous la porte, encore un peu plus affaiblis par la flambée des prix de l'énergie et des matières premières. Des boulangers, charcutiers et producteurs locaux racontent à BFMTV.com pourquoi ils ont décidé de fermer.

À 88 ans, Laurette Léris n'aurait jamais imaginé assister de son vivant à la fermeture de la charcuterie fondée par son père en 1933. Pourtant fin décembre, son fils Jacquie à dû se résoudre à fermer la boutique familiale après avoir découvert que sa facture d'électricité allait passer de 1800 à 12.000 euros par mois en début d'année, à cause de la hausse des tarifs de l'énergie.

"Ça n'a pas été une décision facile à prendre", raconte à BFMTV.com Jacky Léris, gérant de la charcuterie Crouzeilles-Léris située dans le petit village de Gan (Pyrénées-Atlantiques). "C'est difficile à digérer parce que c'est une histoire familiale qui dure depuis 90 ans, et qu'on avait des clients fidèles qui viennent des quatre coins de la France depuis des générations."

"Le pire, c'est qu'on s'en sortait plutôt très bien sans cette hausse des prix", assure-t-il.

"On avait la tête largement hors de l'eau, mais on savait aussi qu'on ne pourrait pas amortir une telle augmentation", poursuit le commerçant. "Et le conseiller EDF nous a fait savoir qu'on avait droit à aucune aide, rien."

La fermeture, "seul échappatoire possible"

Au printemps prochain, Huguette et Jacky vont donc licencier leurs deux employés et prendre leur retraite deux ans plus tôt qu'ils ne l'avaient prévu, à respectivement 69 et 62 ans. Ils écoulent désormais leurs stocks et ont d'ailleurs déjà mis un terme à leur production de saucisses sèches.

"C'est dommage de devoir fermer pour une raison pareille, mais c'était le seul échappatoire", soufflent les spécialistes de l'andouillette à l'ancienne, "inquiets" pour les jeunes générations qui ont encore tout à construire.

Des producteurs locaux en train de vendre leurs produits dans le magasin Cœur paysan de Sochaux (Doubs) en septembre 2021.
Des producteurs locaux en train de vendre leurs produits dans le magasin Cœur paysan de Sochaux (Doubs) en septembre 2021. © Coeur Paysan

"Il y a peu d’entreprises véritablement en grande difficulté face à l’explosion des prix de l’électricité", a assuré Bruno Le Maire en janvier sur France Inter. "Il y a une explosion des prix de l'électricité et du gaz qui est dure à vivre pour des milliers d'entrepreneurs, mais ils font face", a affirmé le ministre de l'Économie, écartant "une vague de faillites" à venir.

L'explosion des prix de l'énergie et des matières premières a pourtant déjà eu raison de certains commerces en France ces derniers mois. Même s'il reste en déçà de la période pré-Covid, le nombre de défaillances d'entreprises est en nette hausse: +48,7% au mois de décembre par rapport à l'année précédente, selon les derniers chiffres de la Banque de France.

À peine 18 mois après son ouverture, Cœur paysan a ainsi dû fermer ses portes précocément fin janvier. "On a fait le dos rond tant que ça ne concernait que le prix des emballages, des transports et des céréales, mais ça n'a tenu qu'un temps", assure François Ciresa, exploitant agricole à l'origine de cette enseigne regroupant une cinquantaine de petits producteurs locaux du Doubs. "Les factures d'électricité ont signé notre mort."

"Si on est tristes? Le mot est faible. On se prend la réalité en pleine face. On croyait à ce projet à 200%", regrette l'agriculteur de 58 ans.

Des fournées de plus en plus chères à produire

Le problème, selon lui, c'est que Cœur paysan proposait "des produits de qualité certes, mais qui coûtaient forcément un peu plus cher que la grande distribution". "On ne pouvait pas se permettre de baisser nos tarifs à un moment où les gens font attention financièrement, où ils doivent faire des choix et se tournent moins vers le bio et plutôt vers les produits les moins chers, ce que l'on comprend parfaitement".

Christophe Besoni, 50 ans, a tout fait pour que sa boulangerie "Au Petit Fournil" - la seule à Landaul (Morbihan) - survive à la crise. Tous les matins ces derniers mois, le boulanger passionné avait pris l'habitude de se lever plus tôt de manière à cuire son pain aux heures où l'électricité était la moins chère, dans l'espoir de réduire la facture.

Par manque de moyens, il avait même arrêté sa deuxième fournée de pain à 11h, censée fournir du pain frais à ses clients jusqu'au soir. Des efforts qui se sont révélés insuffisants, puisque le quinquagénaire a fermé boutique le 25 décembre dernier et licencié ses quatre employés à cause de la flambée des prix. Fours électriques, vitrines réfrigérées, frigos, congélateurs... Sa facture d'électricité a été multipliée par 4 en décembre dernier.

"Le prix de la farine a pris près de 10% en quelques mois. Le beurre pareil, de 7 euros le kilo, il est monté à 12 euros récemment", s'indigne le boulanger breton, qui explique que le beurre "a beau être l'ingrédient principal pour faire un croissant, (il) ne peut pas se permettre de doubler le prix" de la viennoiserie.

"La difficulté de trop" pour des artisans affaiblis

La guerre en Ukraine et ses conséquences économiques ont également "été la difficulté de trop" pour la boulangerie-pâtisserie de Sylvain Guigou. Installée depuis 17 ans à Castelginest (Haute-Garonne), l'enseigne - déjà fragilisée depuis la crise du Covid-19 - n'a pas survécu. Elle avait ainsi souscrit un prêt garanti par l'État (PGE) et le gérant n'avait plus d'autre choix que de vivre sur ses économies depuis plusieurs mois.

"Au mois de septembre, j'étais encore confiant", note l'ancien boulanger. "Mais j'ai dû me résoudre à prendre une décision de raison en octobre, parce que j'étais à 3000 euros de chiffre d'affaire en moins par rapport à l'année dernière. En plus je me suis retrouvé à devoir régler les cotisations du PGE, les charges sociales des 18 derniers mois qui avaient été différées ainsi que les charges actuelles...", détaille le quadragénaire, qui a déjà vendu son local et compte désormais se lancer dans une reconversion professionnelle.

La Maison Boulanger, située à Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle), va continuer à produire du pain qui sera vendu en ligne.
La Maison Boulanger, située à Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle), va continuer à produire du pain qui sera vendu en ligne. © Maison Boulanger

C'est "la boule au ventre" que Delphine Boulanger, 46 ans, a elle aussi dû fermer sa boulangerie-pâtisserie de Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle).

"Si on écoutait que nos cœurs on ne fermerait pas, mais il faut savoir regarder les choses en face", confie à BFMTV.com la co-gérante de Maison Boulanger.

Mi-janvier, la boulangère a perdu pied lorsqu'elle a réalisé que sa facture mensuelle d'électricité allait passer de 6000 à 12.000 euros minimum... soit 150.000 par an. Or "ce n'est pas du tout ce que je fais comme bénéfices à la fin de l'année!", commente Delphine Boulanger.

La boutique vendue, la boulangère lorraine va tout de même continuer de produire de la pâtisserie-charcuterie. Pour cela, elle envisage désormais de "travailler différemment" et de se concentrer sur "le fournil familial" qui continuera malgré tout à produire des produits qui seront vendus en ligne aux particuliers via le Click & collect, et qui continuera à travailler avec des revendeurs pour les grands surfaces ou encore la restauration. "Une page se tourne" pour la commerçante, qui s'efforce désormais d'"avancer pas à pas".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV