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"Le Smic n'est pas un salaire décent": comment Michelin calcule le salaire minimal de ses salariés?

Le président du Groupe Michelin assure rémunérer l'ensemble de ses salariés à un "salaire décent", une définition qui comporte une part de subjectivité.

Proposer une rémunération décente pour les 130.000 collaborateurs du groupe Michelin dans les 175 pays où il est présent. La promesse sociale du groupe auvergnat, qui renoue avec sa vision paternaliste historique est ambitieuse. Mais quelle est sa définition d’un salaire décent ?

Le constructeur pneumatique s’appuie sur la définition du "living wage" du Pacte mondial des Nations Unies. Cette initiative volontaire encourage les entreprises à adopter des comportements socialement responsables tout en reconnaissant "l’absence de définition universelle ou de rémunération universelle". Pour autant le Pacte mondial encourage les entreprises à agir même en l'absence de consensus sur les définitions.

Pour Michelin, la référence, ce sont les besoins essentiels d’une famille de quatre personnes. Vivre correctement, selon le président du groupe Florent Menegaux, c’est permettre de "se nourrir, mais aussi de se loger, de se soigner, d’assurer les études des enfants, de se constituer une épargne de précaution, d’envisager des loisirs et des vacances", comme il le confie au Parisien, lors d’une interview le 17 avril.

Une confirmation des propos déjà tenus chez BFM Business le 13 février 2024, où il rappelait que "le plus important c’est qu’un collaborateur puisse se projeter". Ce salaire décent est accompagné d’un socle de protection sociale universel, qui inclue une complémentaire santé des salariés, des dispositions pour les congés maternité et paternité ainsi qu'une assurance décès.

Un salaire décent par ville

En 2020, lorsque l’entreprise a décidé de revoir sa politique de rémunération, 95% des salariés du groupe étaient rémunérés au "salaire décent selon les critères du Global Compact. Des chiffres très corrects même si "cela signifiait que 5% des collaborateurs étaient en mode de survie", relève Florent Menegaux.

Pour conduire sa revue des grilles de rémunérations, Michelin est allé au-delà des minimums légaux par pays. Le groupe a fait le choix de se faire accompagner par une ONG, Fair Wage Network pour examiner la situation de chacune de ses implantations.

À rebours d’une vision d'un salaire unique, applicable sur tout le territoire, les critères de localisation entrent en compte. Il s’agit en quelque sorte de régionaliser le Smic

"Nous considérons, par exemple, que le salaire décent est de deux fois le Smic à Paris, et de +20% du Smic à Clermont-Ferrand, au siège de Michelin", détaille le patron auprès du Parisien. En termes de salaire brut annuel, cela reviendrait à 25.000 euros annuels à Clermont Ferrand, et 39.000 euros à Paris.

Cette approche a le mérite de pointer les écarts de coût de la vie. Les inégalités territoriales françaises sont connues et documentées. Selon une étude de l'INSEE de 2022, le logement est le principal facteur du surcoût de la vie en région parisienne. L'écart se concentrant sur les loyers, supérieurs de 40% à ceux de la province à caractéristiques comparables.

Si Michelin réouvre le débat sur le revenu acceptable pour vivre, il n’y a pas de définition commune et universelle d'un salaire décent, selon l'économiste Jean-Marc Daniel. Il donne en exemple l'absence de caractéristiques de ce qui constituerait un logement acceptable.

Un taux horaire au Smic

Chez Michelin, le discours du président ne passe pas auprès des syndicats. Romain Baciak, délégué syndical central CGT Michelin dénonce la persistance de salariés en dessous du Smic chez Michelin: " Avant l’augmentation du mois de janvier, il y avait encore 8 coefficients en dessous du Smic réévalué".

Le délégué distingue également taux horaire applicable et rémunération globale, qui inclue différentes primes aléatoires non soumises à cotisations, par exemple primes de salissure ou primes de nuit. Selon lui, le taux horaire resterait vissé au smic pour certaines catégories d'emploi, notamment les nouveaux embauchés.

Au niveau national, la CGT s'insurge contre un "salaire différencié d'une région à une autre", y voyant la remise en question de la valeur protectrice du Smic. Selon un communiqué que BFMTV a pu consulter, la confédération plaide également pour des salaires d'entrée à 2200 euros net chez Michelin, s'agissant de métiers nécessitant qualifications et compétences particulières. Soit 600 euros de plus que le minimum décent proposé par leur président pour la région de Clermont-Ferrand.

Marine Landau