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Les entreprises françaises investissent mais pas pour produire en France

Si l'on se focalise sur les industries de fabrication, le taux d'investissement en France est de 25,7% contre 19% en Allemagne en 2016.

Si l'on se focalise sur les industries de fabrication, le taux d'investissement en France est de 25,7% contre 19% en Allemagne en 2016. - Miguel Medina - AFP

Les entreprises françaises investissent davantage que la plupart de leurs voisines européennes. Pourtant, les effets de ces dépenses sur l'économie sont peu visibles, que ce soit sur le plan de l'emploi ou du commerce extérieur. Ce phénomène s'explique peut-être par le choix des industriels de miser sur la conception des produits au détriment de la production.

On ne peut pas dire que les entreprises françaises ne font pas d'efforts en matière d'investissement. Au contraire, depuis 2009 celles-ci dépensent plus que la plupart de leurs voisines européennes, même les allemandes auxquelles elles sont souvent comparées.

Pourtant, ces efforts ne se ressentent pas dans l'économie tricolore, que ce soit sur le plan de l'emploi, de la productivité, ou des exportations. Une étude publiée ce vendredi par la Fabrique de l'Industrie et France Stratégie tente de comprendre ce "paradoxe" français, en regardant à la loupe les choix des entreprises françaises dans leurs dépenses d'investissement.

Des efforts invisibles?

Si on se focalise sur les industries de fabrication, le taux d'investissement en France, c'est-à-dire les dépenses d'investissement par rapport à la richesse créée, est de 25,7% contre 19% en Allemagne en 2016. Seule la Suède fait mieux.

Pourtant, malgré davantage d'efforts la productivité est "comparable en France et en Allemagne", note l'étude. De même, de précédents travaux ont démontré que pour résorber son déficit commercial, la France doit améliorer le "rapport qualité-prix" de ses produits. Des investissements soutenus devraient donc logiquement améliorer la qualité des produits "made in France" et les rendre plus compétitifs. Ce n'est pas ce qui s'est produit. Au contraire, la part de marché française dans les exportations mondiales a recommencé à chuter en 2017.

Bref, "on ne trouve pas", dans les indicateurs économiques habituels (PIB, balance commerciale...) "de traduction de cet effort supérieur [d'investissement] en France", résume l'étude.

En revanche, celle-ci bat en brèche l'hypothèse selon laquelle les entreprises françaises devraient, plus que les autres, dépenser pour se mettre en conformité aux normes et réglementations du pays. Ce n'est en tout cas pas cela qui expliquerait ce niveau soutenu d'investissements dans l'Hexagone.

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Investissement manufacturier.png © -

Des machines peu modernisées

Parmi les raisons qui expliqueraient ce "paradoxe" français, les auteurs ont constaté la faiblesse des investissements dit "matériels", autrement dit en équipements et en machines, des entreprises françaises. Depuis 2002, l'effort réalisé "n’a été structurellement plus faible qu’au Royaume-Uni (en excluant le pic de 2005), le seul pays européen où la désindustrialisation a été plus prononcée qu’en France".

Le taux d'investissement en machines et équipements atteint 6,2% en France en 2015, soit moins que son niveau d'avant crise. À l'inverse, il s'élève à 7,7% en Allemagne et 15,1% en Italie. 

En plus, les entreprises françaises préfèrent renouveler leur matériel plutôt que de le moderniser ou d'augmenter leurs capacités de production. D'après l'étude, cet arbitrage peut expliquer en partie la moindre efficacité de l'investissement en France, car miser en priorité sur le renouvellement des machines "ne contribue pas a priori à améliorer l’offre de produits et donc la compétitivité".

Selon les auteurs, les dispositifs incitatifs mis en place sous le quinquennat de François Hollande n'ont pas montré d'effets significatifs. Et les mesures prévues par Emmanuel Macron ne devraient guère améliorer la situation.

Innover en France, produire à l'étranger?

Si les industries françaises dépensent peu en investissements matériels, elles mettent en revanche le paquet sur "l'immatériel", qui regroupe un champ vaste: de la recherche et développement (R&D) aux les logiciels, en passant par la formation et la publicité. Ces dépenses sont plus élevées qu'aux États-Unis et se rapprochent du niveau de la Suède.

L'investissement immatériel "constitue une singularité française, au point d’expliquer à lui seul une large part du taux élevé d’investissement des entreprises de notre pays", commentent les auteurs.

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Investissement immatériel.png © -

Les industries tricolores mettent surtout le paquet sur la R&D, qui "apparaît comme la première destination des efforts d’investissement du secteur". En effet, sur 10 euros investis, 4,30 euros partent dans la recherche (cette part est similaire en Allemagne). Le phénomène a été encouragé par la réforme en 2008 du "CIR", le fameux "crédit impôt recherche".

Là est le cœur du "paradoxe" français, car en théorie stimuler l'innovation devrait améliorer la qualité des produits et redresser les parts de marché à l'export des entreprises françaises. Or, on l'a vu, ce n'est pas le cas. Les auteurs notent cependant que cette stratégie peut être "encourageante pour le futur", car on peut considérer que les effets de ces investissements sont "plus longs à se matérialiser".

Ils avancent aussi une autre hypothèse, selon laquelle, les entreprises françaises auraient choisi de mettre le paquet sur la qualité de la conception des produits, au détriment de leur production. Mieux, les industries tricolores auraient choisi de satisfaire la demande extérieure, non pas en exportant, mais en implantant leurs sites de production à l'étranger.

"Pour les groupes français en question, la France verrait ainsi se réduire son rôle de site de localisation d’activités de fabrication mais conserverait un rôle important pour les activités des sièges sociaux avec, à la clé, d’importants investissements immatériels (R&D, logiciels, publicité, etc.)."

Jean-Christophe Catalon