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Comment la France impose des droits de douane à ses propres entreprises

Le ministère de l'Économie et des Finances à Bercy

Le ministère de l'Économie et des Finances à Bercy - Joël SAGET / AFP

Une note du Conseil d'analyse économique pointe les effets "nocifs" de certains impôts de production, en particulier la C3S qui agirait comme un droit de douane sur les entreprises tricolores. Les auteurs recommandent de les supprimer et de compenser le manque à gagner pour le fisc en jouant sur la TVA et le CICE.

La France se tire-t-elle une balle dans le pied avec ses impôts de production? En 2016, ces taxes sur l'activité des entreprises représentaient une manne fiscale de 72 milliards d'euros pour l'État. Si on retire ceux prélevés sur la masse salariale, comme le forfait social ou le versement transport, ils grimpent à 2% du PIB.

Seule la Grèce en applique des plus élevés, atteignant 2,6% de son PIB, alors qu'ils représentent 1,6% au Royaume-Uni et 1,4% en Belgique, sans parler des pays très compétitifs sur le plan commercial comme l'Allemagne et les Pays-Bas où les niveaux sont encore plus bas. 

Or, "l'analyse économique enseigne que les impôts sur la production sont les plus nocifs" car "contrairement à l’impôt sur les bénéfices ou la TVA, [ils] affectent directement les décisions des entreprises" en matière de stratégie et de prix "et peuvent donc pénaliser leur productivité et leur compétitivité", rappelle le Conseil d'analyse économique, dans une note publiée mardi.

Cet organisme indépendant, rattaché à Matignon, a passé au crible les effets sur l'économie de trois de ces impôts sur la production. Le premier, la Cotisation foncières des entreprises (CFE), sorte de taxe d'habitation pour les sociétés, ne génère pas d'effets notables. En revanche, les deux autres s'avèrent "nocifs", selon les auteurs de la note. Explications.

"Une taxe sur la taxe"

Le CAE cible spécifiquement la Contribution sociale de solidarité des sociétés, plus communément appelée la "C3S". Cette taxe a la particularité de s'appliquer sur le chiffre d'affaires des entreprises, autrement dit qu'elles réalisent des profits faramineux ou accusent de lourdes pertes elles doivent, dans tous les cas, s'en acquitter. La France 

Les économistes pointent "l'effet de cascade" de cet impôt. Lors de la fabrication d'un bien, prenons une voiture par exemple, le constructeur achète les sièges à un fournisseur qu'il va ensuite assembler au reste du véhicule. Ce même fournisseur s'est procuré certaines pièces chez une autre entreprise, comme le textile des banquettes. Et ainsi de suite. Chaque acteur de la chaîne réalise un chiffre d'affaires sur lequel est appliqué la taxe. La C3S "agit à chaque étape de production comme une taxe sur la taxe", constatent les auteurs. 

"Les entreprises répercutent la taxe au moins partiellement sur leurs clients en augmentant leur prix", poursuivent-ils. Ainsi, le prix de chaque bien intermédiaire augmente et celui du bien final en bout de chaîne, la voiture dans notre exemple, accumule toutes ces hausses. 

Des effets négatifs sur la productivité et la compétitivité

Puisque les prix des fournisseurs et le prix du bien final augmentent, cet impôt participe à rendre les produits "made in France" plus chers que les autres.

Or la C3S "n'a pas d’équivalent chez nos partenaires européens", ainsi "notre pays accomplit le tour de force de s’imposer un droit de douane sur sa propre pro­duction", en conclut le CAE.

Avec le Pacte de responsabilité, l'État avait entamé sa suppression progressive, mais ne lui a pas porté le coup de grâce. Les auteurs recommandent de finaliser cette suppression, qui permettrait d'augmenter les exportations de 1%, soit de 4,2 milliards d'euros. À l'inverse, les importations progresseraient de 500 millions d'euros. Au final, le déficit commercial dans l'industrie se réduirait de 14%.

La C3S a aussi un effet négatif sur la productivité. Puisque les fournisseurs français ont des prix plus élevés, les entreprises tricolores vont se fournir à l'étranger et doivent se contenter de biens de moins bonne qualité. D'autres vont jusqu'à intégrer une nouvelle chaîne de production. En reprenant notre exemple, le constructeur de voitures français choisirait de fabriquer lui-même les banquettes, mais ce n'est pas sa spécialité. Tous ces ajustements pèsent sur la productivité de tout le tissu productif. Les auteurs estiment que cela représente une perte de 360 à 720 millions d'euros de PIB.

18 milliards d'euros de recettes fiscales en moins

L'étude du CAE cible un autre impôt: la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Celle-ci ne frappe pas le chiffre d'affaires mais la valeur ajoutée, ce qui la rend moins nocive aux yeux des auteurs. En revanche, elle a des effets sur l'investissement et les amortissements. C'est pourquoi ils recommandent de la supprimer progressivement.

Le problème est que cette taxe finance les collectivités territoriales. Le CAE propose alors qu'une fraction d'un impôt national, comme la TVA, leur soit versé dans les mêmes proportions en contrepartie.

Plus généralement, la CVAE représente 14 milliards d'euros de recettes fiscales et la C3S 3,8 milliards. Difficile pour l'État de s'asseoir sur une telle manne, alors que beaucoup lui reprochent de ne pas faire assez d'efforts pour réduire la dette publique.

Exonérations de TVA, le CICE et les niches fiscales

Les auteurs proposent trois sources de recettes qui viendrait compenser leur suppression. D'abord de revoir les taux réduits et exonérations de TVA, dont le total représente 20 milliards d'euros, pour des effets escomptés qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Le CAE, comme d'autres organismes à l'image de l'OCDE, suggère de revoir ceux de la restauration. Mais le ministre des Finances Bruno Le Maire s'est déjà dit opposé à cette éventualité.

La seconde source serait de revoir une partie du CICE, transformé en allègement de charges. Une précédente étude du CAE montrait qu'à partir de 1,6 Smic cette mesure ne semblait pas avoir d'effets sur la compétitivité et l'emploi. Les députés de la majorité Sacha Houlié et Pierre Person ont fait une lettre à Bruno Le Maire pour lui demander une évaluation de la mesure et d'étudier sa révision le cas échéant. Selon les auteurs de la note publiée mardi, cette révision permettrait d'économiser 4 à 4,5 milliards d'euros.

Enfin, en baissant les impôts de production, les bénéfices déclarés seront supérieurs, donc les recettes de l'impôt sur les sociétés (IS) devraient augmenter. La suppression de la CVAE générerait 2,6 milliards d'euros de rentrées fiscales supplémentaires, selon les calculs du CAE. Plus généralement, les travaux en cours à l'OCDE devrait permettre, dans un futur proche, d'optimiser le rendement de l'IS. Et puis, baisser les impôts sur la production offre la possibilité de s'attaquer aux niches fiscales pour les entreprises, qui sont particulièrement élevées en France. 

Jean-Christophe Catalon