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Ce qu'on oublie (souvent) de dire au sujet des transports publics gratuits

Dunkerque est, depuis le week-end dernier la plus grande agglomération de France à ne plus faire payer l'accès à ses bus. La ville accueille les partisans de la gratuité des transports publics qui plaident pour une généralisation. Selon eux, faire payer davantage les entreprises et le contribuable ne pose pas de problème. A voir.

Dunkerque héberge depuis hier et encore ce mardi les partisans de la gratuité des transports publics pour les premières rencontres françaises organisées sur le sujet. L'agglomération de Dunkerque n'a pas été choisie au hasard: avec ses 200.000 habitants, elle est la plus importante de France à ne plus faire payer les usagers de son réseau de bus.

"C'est une politique peut-être exceptionnelle, mais qui existe bel et bien (...). Il y a une volonté d'en faire un modèle", analyse Wojciech Keblowski, chercheur à l'Université Libre de Bruxelles. Selon les chiffres de ce spécialiste des mobilités, en 2017, les transports en commun étaient totalement gratuits -pour tous, tout le temps- dans une centaine de villes dans le monde, dont un quart aux Etats-Unis, onze en Amérique du Sud, une en Australie, trois en Asie et une cinquantaine en Europe.

En France, depuis le 1er septembre, les bus dunkerquois sont à leur tour totalement gratuits pour les usagers, soit juste un an après que l'agglomération de Niort (120.000 habitants) ait fait elle aussi le pari de la gratuité de ses transports publics par bus. Les agglos d'Aubagne (en 2009) ou Compiègne (dès 1976!) les avaient précédé sur cette voie.

Dans ces collectivités, ce choix politique, présenté comme une incitation à la réduction de l'usage de la voiture réduisant la pollution et dynamisant le coeur de ville, revient à privilégier l'usager sur les contribuables et les entreprises.

Le versement transport est payé par les entreprises

En France, les ressources pour les transports publics urbains proviennent de trois grandes sources de financement: les recettes de billetterie issues des usagers, les subventions des collectivités financées par l'impôt et le versement transport, taxe assise sur la masse salariale des employeurs.

Dans toutes les agglomérations ayant opté pour la gratuité, la billetterie ne couvrait auparavant, qu'une faible partie des coûts du transport. Pourquoi ? Toutes bénéficient du bon rendement du "versement transport" dont s'acquittent toutes les entreprises présentes sur leurs territoires.

"La gratuité a été rendue possible parce qu’il existe en France une taxe exceptionnelle, n’existant pas ailleurs qu’en France, appelée versement transport, qui est payée par les entreprises à un taux élevé (2,95% dans la zone 1 d’Ile de France) appliqué au salaire brut – et pesant donc in fine sur les salariés" explique la fondation iFrap, le think tank d'inspiration libérale. Alors, la gratuité n'est-elle qu'une illusion?

À Dunkerque, l'usager ne payait que 10% du coût du transport

À Dunkerque, les 4,5 millions d'euros de recettes issues des usagers, ne représentaient qu'un peu plus de 10% des 42,9 millions d'euros du coût total d'exploitation du réseau de bus. Ce budget est désormais financé par les entreprises et par le budget général de l'agglomération, et donc le contribuable.

À Niort (Deux-Sèvres), la forte implantation de grandes mutuelles d'assurance (MAIF, MAAF, Macif etc,...) constitue une véritable "rente" qui rend possible la gratuité. Ces entreprises paient à l'agglomération au titre du versement transport près de 15 millions d'euros, soit plus que le coût, à lui seul, du fonctionnement du réseau de bus.

À Aubagne, le versement transport a été augmenté

À Aubagne (Bouches-du-Rhône), aussi, le financement du réseau de bus de cette agglomération de 100.000 habitants, gratuit pour l'usage depuis 2009, est en grande partie assuré par le versement transport des entreprises. Celui-ci a "pu être augmenté lorsque la population de la communauté d’agglomération a dépassé les 100 000 habitants, et à la faveur d’un dépôt de projet de création de transports en site propre. Cette taxe rapporte 2 millions d’euro supplémentaires, alors que la part des recettes de la billetterie dans le budget des Bus de l’Agglo représentait 700 000 euros" explique le site internet de la collectivité locale.

Le financement du transport public par les entreprises a toutefois des limites. En cas de hausse des besoins de financement, il sera délicat pour les agglomérations de les ponctionner davantage au risque de les faire fuir de leur territoire. Resterait aux impôts locaux (qu'il faudrait augmenter) et donc aux contribuables-électeurs à être sollicités pour payer indirectement la gratuité: mais cela serait alors politiquement délicat pour les collectivités.

La gratuité pose problème aux grandes métropoles

Si toutes ces agglomérations ont choisi la gratuité à la faveur de ressources fiscales suffisantes, ce "modèle" reste peu transposable aux grandes villes (Lyon, Marseille, Paris). Dans ces métropoles, le niveau des investissements liés à la multiplicité des moyens de transport (bus, métro, tramway) se chiffre en centaines de millions d'euros. Instaurer la gratuité constituerait un énorme manque à gagner, impliquant d'augmenter soit la pression fiscale sur les entreprises soit les impôts locaux, même si l'usager pourrait être aussi sollicité via une hausse du prix du billet.

Or, à Paris, en plus du versement transport, les employeurs financent déjà la moitié du coût du Pass Navigo de leurs salariés... Reste encore l'État, déjà lourdement endetté, ou les automobilistes (via un péage urbain?) que les exécutifs des grandes agglomérations pourraient être tentés de mettre à contribution mais c'est une toute autre affaire...

Frédéric Bergé