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Finances publiques

Pierre Moscovici estime que "le budget 2025 sera le plus difficile à bâtir depuis la crise financière"

Interrogé sur BFM Business, le président de la Cour des comptes enjoint le gouvernement à trouver "au moins" 12 milliards d'euros d'économies pérennes dans le prochain budget. Il assure que la croissance "ne suffira pas" à réduire l'endettement public, d'autant qu'il juge la prévision du gouvernement pour 2024 "un peu optimiste".

Réindustrialisation, transition énergétique, santé, éducation... Les grands défis des prochaines décennies vont nécessiter des investissements colossaux de la part des pouvoirs publics.

Interrogé sur BFM Business à l'occasion de ses vœux à la presse, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, prévient d'ores et déjà: "Je ne vois pas comment avec une telle charge de la dette, on peut être capable de financer les investissements nécessaires pour nos concitoyens sur la transition énergétique, la transition climatique, mais aussi l'éducation, l'hôpital, l'innovation, la recherche...".

Trouver "au moins 12 milliards d'euros d'économies pérennes"

Le haut magistrat juge inconcevable de mettre en œuvre "de bonnes politiques publiques pour nos concitoyens si on n’a pas de finances publiques qui soient saines". Il appelle ainsi à engager le rétablissement des finances publiques dès le prochain budget: "Ce que je dis, et Bruno Le Maire le sait parfaitement, c'est qu'il y a au moins 12 milliards d'euros d'économies pérennes à trouver pour faire en sorte que le budget 2025 permette de respecter une trajectoire qui elle-même n'est pas extraordinairement ambitieuse", explique-t-il, alors que le gouvernement n'envisage pas un retour sous les 3% de déficit public avant 2027.

"Et quand je dis au moins, c'est parce que s'il advenait de nouvelles diminutions d'impôts, s'il advenait que la croissance soit substantiellement plus faible qu'annoncé, que les recettes soient moins élevées qu'annoncé, à ce moment-là, il faudra trouver un petit peu plus", met encore en garde le président de la Cour des Comptes, regrettant qu'il y ait eu "très peu d'économies" dans le budget 2024, hormis celles liées au débranchement des aides Covid et au soutien des ménages et entreprises face à la flambée des prix de l'énergie.

Dès lors, "le projet de loi de finances 2025, il faut en être conscient d'emblée, est le budget sans doute le plus difficile à bâtir depuis au moins la crise financière il y a quinze ans", estime-t-il.

Une prévision de croissance "un peu optimiste"

A plus de 3000 milliards d'euros, soit plus de 110% du PIB, l'endettement de la France "est considérable" et "paralyse l'action publique", rappelle Pierre Moscovici, ajoutant de surcroît que la charge de la dette "sera de 57 milliards d'euros dès 2024 et de 84 milliards d'euros en 2027". Dans ces conditions, "nous n'avons pas les moyens de nous endetter plus et nous avons besoin de nous désendetter".

Impossible selon lui de "construire le mur d'investissements dont notre pays a besoin si on ne réduit pas la montagne de dette dans laquelle nous sommes". Il tient d'ailleurs a rappelé la piètre performance de la France par rapport à ces voisins: "Nous sommes déjà sur le podium des pays les plus endettés de la zone euro: il y a la Grèce, l'Italie et la France", tandis que "le Portugal, la Belgique, l'Espagne qui étaient devant nous depuis deux ans sont tombés en dessous".

Et les comparaisons risquent d'être peu gratifiantes encore quelques années alors que la France est l'un des pays "dont la dette diminuera le moins" et celui dont "le déficit reviendrait le plus tard en dessous des 3%", souligne le haut magistrat. L'objectif est donc non seulement "peu ambitieux" mais il est d'après lui "entaché en plus d'un certain nombre d'hypothèses" aussi favorables que peu probables...

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Car au vu du contexte international, la croissance annoncée par le gouvernement à 1,4% en 2024 paraît "un peu optimiste", relève Pierre Moscovici. Ainsi, "il faudra, le moment venu, pour la préparation des décisions et dans le cadre de l'exécution du budget, qu'on soit capable d'avoir la vérité (...) sur ce que sera la croissance", poursuit-il. Et d'ajouter: "Honnêtement, je regarde l'état des prévisions de l'ensemble des organismes nationaux ou internationaux, je n'en vois pas qui ai une prévision pour la France à 1,4%".

Celui qui dit attendre de la déclaration de politique générale de Gabriel Attal "un éclairage aussi précis que possible" sur les finances publiques, prévient que la croissance sera certes nécessaire pas "pas suffisante" pour réduire les déficits. "Chacun sait et le président de la République n'est pas sans l'ignorer, que la croissance en 2024 sera faible et que la croissance anticipée pour les prochaines années n'est pas de l'ordre de celle des Trente glorieuses..."

"Il y a des marges de manœuvre"

Au-delà de la croissance, il n'existe pas pléthore de solutions pour réduire l'endettement public: "Augmenter les impôts? Nous avons déjà un taux de prélèvements obligatoires tout à fait conséquent... Mais c'est un débat politique dans lequel je ne veux pas entrer", indique Pierre Moscovici. Reste pour lui le "levier incontournable", à savoir "la maîtrise de la dépense publique qui n'est pas substitutive à la croissance mais qui s'y ajoute. C'est un impératif pour maîtriser la dette".

"Quand je dis 'maîtrise', je ne pense pas au rabot, je ne pense pas à des politiques stupides", précise-t-il toutefois. Il estime ainsi que la revue des dépenses publiques engagées en 2023 par le gouvernement est un bon "début". "C'est à ça que servent les revues de dépenses: soulever le capot des politiques publiques pour se demander comment on peut faire au moins aussi bien, voire mieux, avec pas plus et si possible avec moins, et il y a des marges de manœuvre", assure le président de la Cour des comptes.

S'il reconnaît que l'exercice de revue des finances publiques "était l'année dernière assez balbutiant", il croit savoir que "le dispositif est beaucoup plus robuste cette année" et se dit "tout à fait prêt à y contribuer".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco