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Economie et Social

Dette, salaires : pourquoi une inflation à 3% peut être une bonne nouvelle pour l'économie

L'indice des prix augmente globalement. Mais entreprises comme pouvoirs publics peuvent bénéficier de cette inflation en hausse.

La BCE doit-elle mettre fin à son sacro-saint mandat de stabilité des prix, fixé par convention à 2% ? L'idée est dans l'air du temps. L'inflation galope aux Etats-Unis (7% en 2021) et tend à accélérer en Europe, avec un dernier relevé chiffré en France, pour le mois de janvier, à 5,1% en rythme annuel, en attendant même de savoir quelles retombées aura la crise russo-ukrainienne sur certains biens essentiels, du gaz au blé.

En juillet, la BCE a prononcé le revirement partiel de son mandat de stabilité des prix, pourtant inscrit dans les traités européens. Elle a notamment expliqué que sa cible de 2% serait désormais délimitée à moyen-terme, ce qui permettrait des variations plus importantes :

Cela peut impliquer une période transitoire pendant laquelle l'inflation est modérément supérieure à la cible", précise ainsi Francfort.

Cette décision relance un débat sur l'utilité de l'inflation et son impact sur l'économie. Si l'inflation est liée historiquement à la baisse du pouvoir d'achat, plusieurs éléments laissent à penser qu'une inflation plus élevée peut avoir des conséquences positives sur l'économie.

Un choix arbitraire

Il faut d'abord rappeler que le niveau de 2% défendu par la BCE est un consensus historique basé sur plusieurs facteurs : l'un d'entre eux est la présence de biais dans les calculs de l'augmentation des prix. Observer une inflation de 2% équivaudrait, en pratique à une relative stabilité des prix.

C'est aussi une manière de permettre une marge de manoeuvre aux banques quand elles accordent des crédits : si la création de monnaie (par le crédit) doit théoriquement créer de la richesse, ce n'est pas toujours le cas. Et la différence entre monnaie en circulation supplémentaire et richesse créée peut définir l'inflation.

Le seuil de 2% est donc le fruit d'un arbitrage, et autoriser une marge de 1% supplémentaire ne reviendrait pas à lâcher complètement la bride des prix: simplement à laisser aller les prix légèrement à la hausse.

Marge de manoeuvre pour la politique monétaire

L'inflation pourrait paradoxalement, permettre aux politiques publiques, notamment monétaires, de regagner en souplesse. L'outil central employé conventionnellement par les banques centrales demeure le taux d'intérêt, et permettre l'inflation en temps de croissance (et par la même occasion permettre une remontée progressive des taux) permet de réagir d'autant mieux en temps de crise, quand la déflation menace.

C'était déjà, il y a dix ans, l'un des enseignements retenus par Olivier Blanchard, alors économiste en chef du FMI, après la crise économique de 2009. Il appelait alors de ses voeux une inflation de 4% :

Lorsque la crise a véritablement débuté en 2008 et que la demande globale s'est effondrée, la plupart des banques centrales ont rapidement abaissé leur taux directeur à un niveau proche de zéro. Si elles avaient pu le faire, elles auraient baissé davantage le taux. Mais la borne du taux d'intérêt nominal zéro les en a empêchées.

Et redonner de l'efficacité aux politiques de taux, cela permettrait de réduire le recours aux politiques "non-conventionnelles", comme l'achat de titres sur les marchés (assouplissement quantitatif) ou les programmes de refinancement à long-terme accordés aux banques: ces outils, utiles pour relancer après une crise, contribuent eux-mêmes largement à gonfler les marchés de liquidités... et à l'inflation.

Des entreprises (parfois) moins contraintes

Une inflation plus forte peut aussi avoir des effets positifs du côté des acteurs économiques eux-mêmes, comme pour les entreprises. Cela est dû au fait qu'en période d'inflation, s'endetter est moins coûteux: si vous empruntez 100 000 euros et que l'inflation est à 3%, ces 100 000 euros vaudront 3% de moins l'année suivante. Emprunter plus permet d'investir plus, et donc de se développer.

Autre point positif pour les entreprises, les salaires: quand ils ne sont pas renégociés à la hausse pour accompagner l'inflation, ils pèsent, proportionnellement, moins lourds. Les firmes peuvent également augmenter légèrement leurs prix si elles sont en difficulté.

La véritable décision se fait en réalité au niveau de leur capacité à fixer leurs propres niveaux de prix: si elles le peuvent, elles pourront prendre acte de l'augmentation de leurs propres dépenses (en consommations intermédiaires par exemple) et répercuter la hausse des coûts dans leurs prix finaux; si elles ne peuvent pas, alors leurs marges pourraient se restreindre.

C'est cette situation ambiguë que relevait récemment le Wall Street Journal : les petites entreprises américaines souffrent de l'inflation, qui réhausse les coûts d'approvisionnement et d'énergie, mais les plus grandes tirent pleinement parti de la situation.

Au point d'accentuer la hausse des prix sciemment pour accroître leurs marges, comme le souligne l'économiste Lindsay Owens, conseillère d'Elizabeth Warren. Elle accuse les entreprises en situation de monopole de gonfler leurs marges :

Dette publique et effet redistributif

Du côté des ménages, l'effet de l'inflation peut être positif là encore, à plusieurs conditions. L'inflation stimule l'activité, en sanctionnant l'épargne, et peut provoquer, du fait des anticipations, une hausse momentanée de la consommation (si l'on s'attend à ce que les prix augmentent, on consomme immédiatement).

Surtout, elle permet de s'endetter à moindre coût, selon le même mécanisme appliqué aux entreprises: la somme empruntée et les taux d'intérêt sont fixes, mais la valeur de la somme empruntée diminue, et les charges pesant sur les personnes endettées s'abaissent. Pour l'Etat également, une inflation plus forte peut se réveler salvatrice, en réduisant la dette publique.

Mais encore faut-il que les salaires soient indexés sur l'inflation, pour qu'ils augmentent au même rythme que les prix à la consommation ; même problème pour les pensions de retraite ou les allocations. Quand c'est le cas, l'inflation peut opérer une redistribution des revenus, vers les classes moyennes et moins aisées. C'est l'un des arguments du Nobel d'Economie Joseph Stiglitz, dans un récent éditorial s'opposant à une politique de lutte contre l'inflation.

Il n'est pas étonnant que les États-Unis connaissent une "grande démission", les travailleurs quittant leur emploi pour chercher de meilleures opportunités. Si la réduction de l'offre de main-d'œuvre qui en résulte se traduit par des augmentations de salaire, cela commencerait à rectifier des décennies de croissance faible ou inexistante des salaires réels (corrigés de l'inflation). Se précipiter pour freiner la demande à chaque fois que les salaires commencent à augmenter, est un moyen infaillible de s'assurer que la rémunération des travailleurs diminue au fil du temps.

L'économiste évoque également un point central dans l'analyse des conséquences de l'inflation sur les ménages, les Etats et les entreprises: la question de la source de l'inflation.

Il souligne les tensions logistiques et les problématiques d'approvisionnement énergétique: ce qui fait de l'inflation actuelle une problématique d'offre, et non de demande. Avant de chercher à lutter contre l'inflation en baissant la demande, les pouvoirs publics devraient donc, selon lui, chercher à résoudre d'abord ces contraintes d'offre, laissant l'inflation momentanément atteindre des niveaux bien supérieurs à 2%.

Valentin Grille