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Victime de l'inflation, le marché des jouets est en fort repli avant la période de Noël

Les professionnels du secteur font état d'un marché du jouet en recul de plus de 4% par rapport à 2022. La faute notamment à une inflation qui réoriente les arbitrages des Français mais pas seulement.

Le marché des jouets ne fera pas mieux que l'année dernière. Il devrait même faire nettement moins bien en 2023. C'est le constat amer que dresse Frédérique Tutt, expert Monde sur le marché du jouet pour le cabinet de conseil spécialisé dans la consommation Circana. "Le jouet est aussi touché par la situation économique et les consommateurs par la hausse des prix alimentaires, ils doivent faire des arbitrages", résume-t-elle.

Dans une étude menée au mois de mai, le groupe Circana observe que les dépenses des Français ont augmenté pour les postes énergétique et alimentaire mais qu'elles ont baissé en contrepartie pour l'éducation de leurs enfants, les voyages, le cinéma et évidemment les jeux et jouets.

Franck Mathais, porte-parole de JouéClub - 22/12
Franck Mathais, porte-parole de JouéClub - 22/12
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Pourtant, les clients sont revenus en magasins et en visitent plus comme en témoigne la hausse de 2% du trafic en 2023. Mais dans le détail, la hausse de 7% des dépenses observée sur la première moitié de l'année est largement portée par l'alimentation qui enregistre une augmentation de 10%, là où les dépenses non-alimentaires reculent de 1%.

Conséquence concrète de cette inflation qui pèse sur le secteur, le prix moyen payé par jouet est en hausse de 5%, un chiffre que Frédérique Tutt impute notamment à un nombre plus faible d'achats de jouets à petits prix.

L'été morose n'a pas aidé

Outre l'inflation, la météo a également pénalisé le secteur avec une chute de 12% des ventes de jouets de plein air, "ce qui est conséquent pour une catégorie qui peut peser 30 à 40% du marché lors des beaux jours" comme le rappelle la représentante de Circana.

"Les jouets de plein air contribuent à 40% du recul du marché à la fin du mois de juillet", ajoute-t-elle, citant l'exemple des jeux de plage et piscines dont les ventes ont baissé d'environ 20%.

Résultat: un marché en recul de 4,1% à la fin du mois d'août par rapport à la même période en 2022 avec un chiffre d'affaires de 1,7 milliard d'euros, soit à peine 40% de celui réalisé l'année dernière.

"On est plus bas que les autres années, ça va être compliqué de rattraper", reconnaît Frédérique Tutt.

Plusieurs tendances se dégagent en cette rentrée et à l'approche de Noël qui devrait se caractériser par un équilibre entre déconsommation et achat plaisir. Le secteur anticipe un regain d'achats de dernière minute en fin d'année. Par ailleurs, les "kidultes" continuent de superformer par rapport au reste du marché et contribuent désormais à 28% du chiffre d'affaires. Il apparaît aussi que le réseau social Tiktok a une importance croissante dans les ventes de jouets. En ce qui concerne les produits tendances, les robots interactifs, les micro-jouets, les collections, les licences et plus globalement les univers exploités par la SVOD remportent la mise.

Le carton Barbie

En termes de progression, plusieurs catégories de produits tirent leur épingle du jeu à commencer par les jeux de cartes qui enregistrent une hausse de 14% suivies des puzzles pour adultes (+12%) qui sont boostés par les différentes licences tel que Pokémon. Le haut niveau de popularité de Pokémon profite aussi aux ventes de cartes stratégiques qui progressent de 2%. Les figurines jouissent également d'une bonne santé, qu'il s'agisse de celles d'actions collectionnelles (+8%) dont raffolent les "kidultes" ou des modèles pré-scolaires qui profitent du succès du dessin animé "Gabby".

Les quatre tendances de l'année 2023:

- Les calendriers de l'Avent, en hausse de 4,7 sur la fin d'année 2022 par rapport à la fin d'année 2021. "Les parents apprécient cette tradition qui procure à l'enfant un petit avant-goût des fêtes et lui permet de patienter jusqu'à l'ouverture de ses cadeaux au pied du sapin, explique Bruno Bokanowski, directeur de la rédaction 'La revue du jouet.' D'autant que cela concerne tous les enfants, garçons et filles, et tous les âges du fait de la variété des produits et des licences."

- Les compagnons des enfants dont la croissance en valeur a atteint 8% en 2022. "Beaucoup d'électronique, mais aussi des compagnons plus traditionnels aptes à séduire les enfants de tous âges: de nouvelles peluches conteuses d'histoire qui associent la narration à l'émotion, des poupées et poupons classiques à materner, des peluches et des figurines à l'effigie des super-héros et des poupées mannequins", décrit Bruno Bokanowski

- Les jouets inclusifs et responsables. "Figurines et poupées sortent de leurs stéréotypes pour offrir une grande diversité en matière de couleurs de peau, de cheveux et d'yeux, de taille et de silhouette, et même de handicap, indique-t-il. Pour répondre aux exigences d'éco-responsabilité, les jeux et les jouets s'adaptent pour diminuer sensiblement leur impact environnemental."
- Les licences.

Autre catégorie qui a le vent en poupe donc et ce, depuis plusieurs années: les licences qui frôlent désormais le quart des ventes de jouets après une récente hausse de 10%. Le podium des plus fructueuses est composé de Pokémon, Pat' Patrouille et l'indémodable univers Marvel. Gros succès estival du box-office, Barbie fait une entrée fracassante au pied de ce podium, dépassant même Star Wars.

"Le phénomène Barbie est absolument incroyable, admet Frédérique Tutt. C'est le film qui a le plus rapporté d'argent dans le monde cette année et il est troisième en France, juste derrière Avatar et Super Mario Bros qui sont aussi des univers liés aux jouets."

Et le succès de Barbie est continental puisque les ventes de la célèbre poupée ont explosé de 30% en juillet, mois durant lequel le film est sorti en salles, au sein des cinq plus gros marchés européens.

La publicité, un domaine en pleine mutation

Pour remonter la pente dans les années à venir, le secteur devra notamment répondre à des problématiques cruciales que soulève la publicité autour des jouets et jeux. "Les investissements de publicités sont en recul de 30%, relève Yves Cognard, directeur de l'institut d'études marketing Junior City. Depuis 4-5 ans, il y a beaucoup de mutations qui amènent des challenges à relever mais aussi des opportunités pour les industriels." Il apparaît ainsi qu'une majorité d'enfants âgés de 3 à 10 ans (54%) échappent à la publicité car ils consomment les programmes jeunesse, non pas à la télévision mais exclusivement sur SVOD ou Youtube, un phénomène d'autant plus vrai chez les plus petits (de 3 à 6 ans) dont un sur trois est atteint par les programmes des chaînes de télévision.

"Netflix va s'ouvrir à la publicité mais la catégorie enfant en est encore exclue, constate Yves Cognard. Disney+ annonce une ouverture à la publicité en novembre mais les effets ne seront attendus pour que l'année prochaine."

En revanche, un support de publicité traditionnel ne sombre pas dans l'obsolescence: il s'agit des catalogues de Noël qui restent la première source d'information des particuliers puisque 93% des foyers français avec enfants en reçoivent. "Ce sont les prospectus les plus consultés devant ceux pour la rentrée et ou dédiée la mode vestimentaire, note le représentant de Junior City. Les catalogues de Noël sont 1,6 fois plus importants que la publicité à la télévision." Mais là aussi, la probable disparition à terme des prospectus papier au profit de modèles digitaux constitue un défi pour les acteurs concernés.

Enfin, autre vecteur de découvertes de nouveautés, le magasin n'a rien à envier à la télévision ou Internet puisqu'il reste la grande source de ces découvertes dans 20% des cas, soit à peine moins que les autres canaux: "Les enfants qui fréquentent le plus les magasins en découvrent plus et obtiennent presque deux fois plus souvent les nouveaux jouets."

Timothée Talbi