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Supermarchés: les prospectus vont-ils vraiment disparaître des boîtes aux lettres?

Plusieurs enseignes de la grande distribution ont annoncé la diminution, voire la suppression totale, des prospectus en papier. Mais, dans les faits, ils sont loin de disparaître.

C'est un geste habituel pour beaucoup de Français: récupérer son courrier dans la boîte aux lettres, mettre de côté tous les prospectus et en jeter directement une grande partie à la poubelle. Mais ces prospectus en papier vivent-ils leurs dernières heures ? Cora a mis fin en janvier dernier à leur distribution et l'enseigne sera suivie par les magasins E.Leclerc en septembre prochain. Carrefour, de son côté, a promis 80% de prospectus numériques d'ici 2024, tandis qu'Intermarché veut diviser leur nombre par deux au même horizon.

Si les enseignes vantent leurs mérites écologiques, il faut aussi y voir l'ombre du coût de production de ces prospectus, avec un prix du papier qui a flambé ces dernières années. Car leur poids n'est pas des moindres: 766.000 tonnes d'imprimés publicitaires non adressés étaient encore distribuées dans les boîtes aux lettres en 2021, soit 25 kilogrammes par foyer. Jusqu'à présent, les enseignes de la grande distribution n'ont mené que de timides tests dans certaines zones de chalandise, craignant des conséquences commerciales dommageables sur leur chiffre d'affaires.

"C'est comme la suppression des sacs plastiques: on nous avait pris pour des fous à l'époque", a avancé mardi dernier Michel-Édouard Leclerc lors d'une conférence de presse.

Car de précédentes tentatives n'ont pas été concluantes. En 2010, E.Leclerc avait annoncé en grande pompe que ses prospectus en papier auraient disparu d'ici dix ans: face à la diminution du panier moyen dans ses supermarchés, l'enseigne avait discrètement enterré ses ambitions contrariées et revu sa stratégie. C'est aussi l'une des raisons qui poussent Système U à la prudence. À sa tête, Dominique Schelcher a affirmé assumer "d'être peut-être le dernier à encore proposer un prospectus" dans les boîtes aux lettres, voulant "laisser le libre choix au consommateur".

Un "'poids lourd" de la communication

Toutes ces grandes annonces sont les arbres qui cachent la forêt: le prospectus est loin d'avoir dit son dernier mot. Si le marché a chuté de 25% en dix ans, il n'en reste pas moins "un poids lourd" de la communication promotionnelle, explique Xavier Guillon, directeur de la société d'études France Pub. C'est davantage une rationalisation qu'une disparition. Les distributeurs optimisent de plus en plus leurs prospectus, pour mieux cibler localement la clientèle et limiter le coût du papier au passage. Moins de paginations, et donc moins de volumes.

"C'est une mutation ancienne avec une accélération récente", confirme Élisabeth Cony, présidente de la société d’études Madame Benchmark.

D'autant plus que les consommateurs sont encore attachés à ses catalogues gratuits qu'ils retrouvent dans leurs boîtes aux lettres – l'emblématique autocollant Stop Pub n'a finalement connu qu'un succès relatif, avec un taux d'apposition qui ne dépasse pas 20% aujourd'hui. Dans les grandes villes, où les commerces de proximité s'éparpillent dans les rues aux alentours, pas besoin de prospectus pour comparer les enseignes – ce qui explique la facilité qu'a eue Monoprix à les supprimer – au contraire des zones rurales et périurbaines, où la voiture reste nécessaire.

Pour ne pas se rater, la grande distribution a pris ses précautions. Pour compenser la raréfaction de leurs prospectus, voire leur disparition complète, les supermarchés misent sur les formats numériques. Réseaux sociaux, newsletters et surtout leurs propres applications où sont consultables leurs catalogues promotionnels – "Lidl Plus" a grimpé à la sixième place des applications les plus téléchargées en France. Mais cette numérisation demande un effort pédagogique auprès des clients. "Une fois que tout le monde aura basculé, la pédagogie sera faite", veut croire Michel-Édouard Leclerc.

"Le format numérique ne remplace pas encore l'expérience du catalogue papier", souligne Pierre-Yves Larvor, directeur adjoint de Milee.

Milee (ex-Adrexo), qui se partage le marché de la distribution des prospectus avec Mediapost, compte sur son nouveau projet, le lancement d'un magazine dédié aux prospectus. Baptisé "150 euros", ce magazine hebdomadaire gratuit combinera des informations sur la consommation et les catalogues des magasins environnants. Mais, pour le recevoir, il faudra s'inscrire, contrairement au traditionnel prospectus. "Nous avions besoin de trouver des solutions alternatives" face à la diminution des prospectus, précise Pierre-Yves Larvor, qui vise 12 millions d'inscrits d'ici la fin de l'année.

Déstockeurs et enseignes spécialisées

Si le pari de Milee est gagnant, il pourrait bien redorer l'image de la boîte aux lettres – à l'heure actuelle, la moitié des inscrits préfère la version papier du magazine à sa version numérique. Jusqu'à alors prisé par le secteur de la beauté ou du linge de maison, le catalogue adressé, c'est-à-dire pour lequel le client s'est abonné, pourrait bien avoir les faveurs des enseignes (Leclerc, notamment, y réfléchit). Le prospectus mute, mais ne meurt pas. À plus forte raison que, au-delà des grandes enseignes alimentaires, toutes les enseignes spécialisées et les déstockeurs n'y ont pas renoncé.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV