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Soldes: doutes sur les vêtements vendus à prix très cassés

2019 commence avec des promotions particulièrement monstrueuses pour les soldes d’hiver. Mais ces rabais qui peuvent atteindre 70% recouvrent des pratiques commerciales douteuses. Et ils attirent de moins en moins les consommateurs.

Dès le premier jour des soldes, mercredi 9 janvier, elles fleurissaient partout sur les vêtements: des promotions monstres à -50%, -60% et même -70%. Sur le site de La Redoute, plus de 300 tee-shirt étaient proposés à moins de 5 euros. Pour cette première session de déstockage de 2019, "on est dans la fourchette haute des promos", reconnaît Yves Marin, associé chez Bartle et grand connaisseur de la distribution.

"Tout le monde s’est mis au rabais maximal", ajoute-t-il. Parce que le mouvement des gilets jaunes a nui aux achats d’impulsion ces dernières semaines. Et que le prélèvement à la source "va avoir un impact sur la consommation quand les salariés constateront la baisse de leur salaire net", estime le spécialiste. Donc les vendeurs de textile "saisissent la fenêtre de tir des soldes".

Des marges conservées à tout prix

Mais ces énormes promos posent question. Comment des enseignes peuvent vendre des articles avec de tels rabais tout en rentrant dans leurs frais? Elles ont certes le droit de vendre à perte pendant les soldes. Mais sachant qu’en 2018, un vêtement sur deux était vendu à prix barrés, selon l’institut français de la mode et du design, on peut se demander si les magasins de vêtements font encore des marges.

Assurément oui pour des grandes enseignes type Zara, H&M, Sandro ou Bash, explique la secrétaire générale de la Fédération nationale de l’Habillement, Bernadette Fulton. En revanche, les indépendants qui gèrent des magasins multimarques, ceux que représentent la FDH, eux "ne peuvent pas se permettre ce genre de rabais massifs", pointe Bernadette Fulton.

"Les indépendants achètent chez un grossiste un jean à 10 euros, ils vont le vendre 25 ou 30 euros afin de payer leurs charges et de faire un petit bénéfice. Les enseignes, elles, appliquent des coefficients de dix: un tee-shirt qu’elles ont payé 0,70 euro à leur fournisseur sera mis à prix à 7 euros dans leurs boutiques. Donc même si elles font une promo de 50, 60 ou 70%, elles génèrent des bénéfices", détaille la représentante des indépendants.

Omerta sur les collections dédiées aux promos

Ces gros rabais et la proportion de vêtements vendus en soldes (un sur deux donc) pose une autre question: quels produits trouve-t-on dans les rayons? En principe, les commerçants sont censés solder leurs stocks d’invendus. Mais tous nos interlocuteurs reconnaissent que les marques de fast-fashion produisent des vêtements de moindre qualité uniquement pour nourrir la soif de promotions des consommateurs. Des articles mal finis, aux matières et finitions bas de gamme, bizarrement disponibles dans toutes les tailles même après la première démarque.

Les enseignes traditionnelles se sont ainsi mises à pratiquer des prix barrés à tout va. Ventes-privées, pré-soldes et promos en tout genre se sont multipliées sur presque onze mois sur douze, selon un retailer indépendant interviewé dans le documentaire de 2015 "Soldes, tout doit disparaître". Des pratiques à la limite de la légalité qui ne concernent pas que les enseignes d’entrée et de moyenne gamme: sur le site multimarque de luxe net-à-porter, les rabais de plus de 60% sont également légion ces jours-ci sur du Altuzarra, du Prada, du Calvin Klein ou du Dolce & Gabbana.

"Les promotions perpétuelles des grandes enseignes ont profondément modifié les habitudes, mais elles ont aussi généré un véritable ras-le-bol de la mode jetable chez les acheteurs. Aujourd’hui, on retourne à une volonté de consommation plus vertueuse dont pâtissent en premier lieu les grandes enseignes", affirme Bernadette Fulton, de la FNH.

Des consommateurs excédés

La courbe de la production vestimentaire mondiale, qui a doublé ces quinze dernières années selon une enquête McKinsey, ne s’est pas encore inversée. Mais de nombreuses marques constatent que la conscience écologique et éthique des consommateurs, qui s’est d’abord exprimée sur leurs achats alimentaires, et en train de se propager au textile. La FNH en veut pour preuve le désamour grandissant des Français pour les soldes.

En parallèle, des marques et plateformes se sont lancées sur le créneau de la mode vertueuse. Des griffes comme Jules & Jenn, Hopaal ou Maison Standards, encore confidentielles mais à la croissance exponentielle, qui clament désormais haut et fort leur refus de pratiquer des rabais. "Les soldes participent à ne plus savoir quelle est la valeur d’un produit", déplore ainsi Jennifer Maumont, co-fondatrice de la marque Jules & Jenn. "C’est l’hyper consommation, du remplissage de placard pour être à la mode. Nous on préfère miser sur ce dont les gens ont besoin". Son offre se concentre ainsi sur des bottines, des baskets ou des jeans qui vont rester au goût du jour de longues années. "Cela nous permet de pratiquer des prix bas puisqu’on ne provisionne pas le risque de ne pas les vendre".

Même écho chez Hopaal, qui ne produit à l’avance que des basiques, et fait réaliser ses modèles plus sophistiqués à la commande. En dépit du délai de livraison de plusieurs mois pour cette deuxième catégorie, leurs clients sont réceptifs. Ils fustigeaient même les "soldes" organisés par la marque pour le Black Friday, avant de comprendre qu’il s’agissait d'une parodie pour en dénoncer les non-sens et les arnaques. Chez Jules & Jenn, en l’absence totale de prix barrés mercredi sur le site, "le premier jour des soldes a été une de nos meilleures journées de l’année".

Nina Godart