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Pourquoi Michel-Edouard Leclerc accuse des députés de vouloir favoriser l'inflation

Dans une série de tweets, le patron des centres Leclerc dénonce une proposition de loi qui donnerait le pouvoir aux industriels dans les négociations commerciales. Explication.

En pleine négociation commerciale, Michel-Edouard Leclerc jette de l'huile sur le feu. Dans une série de tweets, le patron du groupe de distribution accuse des députés d'avoir cédé au lobby des industriels.

"Incroyable: des députés seraient désormais favorables à la hausse des prix? Deux députés veulent faire en sorte que les multinationales puissent répercuter, sans négociation, leurs hausses sur les consommateurs! Ca provoquerait de nouvelles augmentations de 10 à 30%", écrit-il sur son compte Twitter.

A quoi fait référence Michel-Edouard Leclerc dans ces tweets qui dénoncent la collusion entre des élus de la représentation nationale et des lobbies industriels?

Il fait ici référence à une proposition de loi déposée fin novembre par le député Renaissance du Val-de-Marne Frédéric Descrozaille qui s'appuie notamment sur une autre proposition de Julien Dive, élu Les Républicain de l'Aisne.

Ce texte intitulé "Sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation et assurer l’avenir du fabriqué en France" comprend quatre articles qui ont pour objectif de prolonger et compléter l'actuelle loi Egalim qui encadre les promotions et les seuils de revente à perte. Ces encadrements prévus dès le départ à titre expérimental doivent prendre fin le 15 avril 2023.

Les industriels imposent leurs prix

Si la loi devrait a priori être prolongée, des députés souhaitent donc la renforcer. Ce qui fait craindre à Michel-Edouard Leclerc ainsi qu'aux représentants du secteur de la distribution comme Jacques Creyssel, le patron de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) qu'elle n'institutionnalise l'inflation.

De quelle manière? C'est l'article 3 de la proposition de loi qui pose problème aux distributeurs. Il dispose qu'en "l’absence d’accord au 1er mars, toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base du tarif et des conditions générales de vente en vigueur". Ces conditions générales étant décidées par les industriels, cela reviendrait donc pour les enseignes à être contraintes d'accepter d'importantes hausses de prix.

Jusqu'à présent, si un accord ne pouvait être trouvé avant la fin des négociations, les distributeurs pouvaient avec un préavis prolonger les prix d'achat négociés durant l'année précédente le temps de trouver un nouvel accord.

Si cette prolongation est acceptable hors période d'inflation, lorsque les coûts de l'énergie explosent comme c'est le cas depuis un an, le maintien des mêmes conditions de vente pourrait en mettre en péril de nombreux industriels.

La nouvelle mesure propose donc de donner le pouvoir aux industriels qui proposent d'augmenter leurs tarifs de 10 à 30% selon les produits.

"Proposition Nestlé-Coca"

Cette mesure reprend les recommandations de l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (Ilec) qui rassemble la plupart des grands industriels de la grande consommation et qui salue l'initiative.

"C’est une proposition de loi Nestlé-Coca", taclait en décembre dans Challenges Jacques Creyssel de la FCD.

Une autre disposition de la proposition de loi agace les distributeurs. L'article 1er explique en effet que "l’ensemble des dispositions relevant du présent titre s’appliquent à toute relation commerciale dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français. Toute clause contraire est réputée non écrite."

Autrement dit, peu importe que les produits aient été achetés et les prix négociés dans des centrales d'achats basées à l'étranger. Une pratique répandue chez les distributeurs qui leur permet notamment de contourner la loi française pour une partie de leurs achats.

Désormais c'est le lieu de vente des produits (en l'occurrence la France) qui sera le critère d'application de la loi. Une mesure qui semble incompatible avec les règles du marché unique européen.

Le gouvernement sceptique

Ces dispositions ont-elles pour autant des chances d'aboutir? Le texte sera discuté en séance publique à partir du 16 janvier prochain. Les discussions devraient se prolonger durant plusieurs semaines. Le gouvernement a cependant décidé le 21 décembre dernier d'engager une procédure d'examen accéléré pour réduire la navette parlementaire.

Pour autant du côté de la ministre déléguée chargée du Commerce Olivia Grégoire, il n'y pas d'adhésion au texte. Alors que le gouvernement attend depuis des mois le reflux de l'inflation, ces nouvelles mesures risqueraient de relancer la hausse des prix à la consommation qui ont atteint en décembre dernier un record de 12,6%.

Pour faire preuve de leur bonne volonté, les distributeurs ont signé en décembre dernier une charte dans laquelle ils s'engagent à accepter les hausses de prix liées à l'énergie pour les seules PME de l'agroalimentaire.

"Nous avons aussi fait un moratoire sur les pénalités logistiques, assurait en décembre dernier sur BFM Business Michel-Edouard Leclerc. On va être plus "friendly" avec les plus petits que nous."

Une manière de convaincre la ministre du commerce d'enterrer le texte litigieux.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco