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Mort définitive des historiques BlackBerry: de la gloire à la chute

Depuis le 4 janvier, les anciens téléphones de la marque ne peuvent plus fonctionner. L'occasion de revenir sur la trajectoire du célèbre fabricant canadien qui aura connu tous les succès et un retour de flamme cuisant.

Quasiment plus personne n'utilise aujourd'hui de terminaux BlackBerry et l'information n'a pas franchement ému la planète, exception faite des technophiles.

Depuis ce mardi 4 janvier, les smartphones de la marque BlackBerry et fonctionnant sous son propre système d'exploitation, vendus entre 2001 et 2013, vont cesser de recevoir des mises à jour essentielles à leur fonctionnement. Traduction, il sera progressivement impossible de passer ou recevoir des appels, de se connecter au Web (cette annonce ne concerne pas les modèles les plus récents fonctionnant sous Android).

Cette "fin de vie", comme le dit clairement la firme est l'occasion de revenir sur la trajectoire du célèbre fabricant canadien qui aura connu tous les succès et un retour de flamme cuisant.

1984-1998: l'ère des pagers

A cette époque, personne ne parle de téléphonie mobile à part dans certains romans de science-fiction. La société canadienne RIM pour Research In Motion collabore notamment avec le suédois Ericsson dans le but de transformer Mobitex, un système de transmission de données sans fil, en un réseau bidirectionnel de courriels et de notifications (paging).

Le RIM 900
Le RIM 900 © BlackBerry

Après plusieurs années de R&D, puis la sortie en 1994 d'un terminal de paiement sans fil, RIM lance un Pager qui s'appuie sur ces technologies sécurisées. L'idée, recevoir des notifications en texte sur un petit récepteur à clavier.

C'est le socle du futur succès de la firme: la technologie push, qui sera ensuite adaptée aux emails (permettant de les recevoir simplement et instantanément) dans ses futurs terminaux, associée à un clavier mécanique confortable.

1999: lancement du premier "BlackBerry"

Cette année-là, le 857 RIM Wireless Handheld est un nouveau pager qui en plus des notifications en mode push permet (et c'est une première) de recevoir ses emails provenant de plusieurs comptes, sur son terminal.

Dans le même temps, RIM lance la première version de son BlackBerry Entreprise Server (BES) brique applicative installée dans l'entreprise qui permet de gérer les échanges d'informations entre le Système d'information basé sur Exchange (Outlook) et le terminal de manière très sécurisée.

Le nom "BlackBerry" trouve donc son origine dans cette brique destinée aux entreprises. On dit aussi que les petites touches du clavier du terminal faisaient penser à des graines de fraises ou de mûres (qui en anglais se dit blackberry).

C'est également cette année-là que RIM est introduite au Nasdaq de New York.

Un an plus tard, RIM présente le BlackBerry 5790 qui est le premier modèle à utiliser la célèbre marque.

2001-2004: les BlackBerry passent des appels, le succès est là

Le canadien lance alors son premier terminal capable de téléphoner en utilisant les premiers réseaux cellulaires (1G et 2G) et décide de se tourner à l'international avec ses premières exportations.

Le BlackBerry 6750
Le BlackBerry 6750 © BlackBerry

En 2002, les modèles évoluent, se perfectionnent tout en conservant leur ADN original. Deux ans plus tard, on compte 2 millions d'utilisateurs Blackberry sur la planète, principalement dans le monde de l'entreprise, et RIM se dit qu'il est temps de viser le grand public.

2005: la folie BlackBerry

Les étoiles s'alignent pour le canadien. Le BlackBerry devient hype: d'abord utilisé par les cadres, il est prisé des jeunes, des femmes... notamment pour son clavier qui permet de rédiger rapidement des messages.

Mais aussi pour sa technologie de messagerie qui permettait d'échapper à la facturation des SMS (oui, il fallait payer lorsqu'on envoyait un message court à quelqu'un qui n'avait pas le même opérateur que vous). Et enfin grâce à des modèles plus ergonomiques et à écran couleurs.

En 2005, BlackBerry compte 4 millions d'utilisateurs, ils sont 5 millions un an plus tard.

2007: au plus haut

Grâce au réussi modèle Curve qui ajoute des fonctions multimédias ou encore le GPS, BlackBerry atteint le zénith de son succès.

Il fait son entrée dans le Top 3 mondial des fabricants de mobiles avec une part de marché de 20% environ. A cette époque, c'est Nokia qui domine les débats.

BlackBerry Curve
BlackBerry Curve © BlackBerry

2008: le début de la fin

Cet état de grâce ne durera pas longtemps. Apple ouvre une nouvelle voie avec son premier iPhone qui inaugure les écrans tactiles. RIM ne reste pas les bras croisés en lançant le Bold puis le Storm qui casse les codes de la marque: le clavier disparaît et l'écran devient tactile.

L'erreur est monumentale. Les fans de la marque ne s'y retrouvent pas tandis que la technologie tactile choisie déçoit. RIM perd sur les deux tableaux.

En 2010, Google se lance dans le mobile avec Android. Personne chez les leaders n'y croit, notamment Nokia. Mais cette concurrence devient progressivement menaçante, et la glissade commence avec une part de marché qui tombe à 13%.

Les choses s'accélèrent à mesure qu'Android monte en puissance notamment grâce à la force de frappe de Samsung. RIM annonce un plan social et une nouvelle offensive produits. Sa part de marché fond à 6%, le constructeur ne profite absolument pas de l'augmentation du gâteau des smartphones dans le monde.

2013: tabula rasa

On ne peut pas reprocher à RIM de laisser passer les trains puisque le groupe décide de repartir d'une feuille blanche pour lancer un nouvel OS et de nouveaux smartphones , le Z10 et le Q10.

BlackBerry Z10
BlackBerry Z10 © BlackBerry

Malgré de belles idées (qui seront ensuite reprises par la concurrence), c'est un échec cuisant. Le marché est désormais complètement polarisé autour d'Android et d'Apple. Les jeunes plébiscitent le premier, les entreprises et les cadres le second. En 2014, RIM ne contrôle plus que 1% du marché mondial des smartphones.

Le constructeur tente alors la carte nostalgie en lançant un modèle (le Classic) très proche du design original. Cela plaît aux geeks mais pas au grand public.

2015: constat d'échec

RIM doit se résoudre à renoncer à ses technologies et rejoint le camp Android. Mais ses smartphones peinent à se différencier de la concurrence tandis que les outils de messagerie instantanée comme Messenger ou WhatsApp supplantent ses services. Avec 0,5% de parts de marché, RIM doit faire des choix.

Evolution de la part de marché de BlackBerry
Evolution de la part de marché de BlackBerry © Statista

En 2016, face à des ventes au raz des pâquerettes, RIM jette l'éponge dans les smartphones et décide de tout miser sur les services aux entreprises avec les évolutions de sa plate-forme BES.

Il annonce la fin du développement en interne des smartphones et passe un accord de licence de marque avec un tiers, en l'occurrence le chinois TCL qui possède aussi la marque Alcatel. Ce dernier a encore récemment lancé des modèles BlackBerry sous Android qui ne sont pas restés dans les mémoires jusqu'en 2020. Un nom ne suffit pas.

Ce destin est loin d'être unique. Nokia et Motorola, ces deux géants qui trustaient les premières places mondiales dans les années 2000 ont également plongé dans les abimes, eux que l'on pensait indétrônables...

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business