BFM Business
Conso

Moins de produits pour le même prix: la "shrinkflation" est-elle légale?

Pour masquer la hausse réelle des prix, des industriels sont tentés de réduire en catimini la quantité de produits proposés à leur clients. Une pratique dénoncé par associations et consommateurs mais qui n'a rien d'illégal.

C'est un phénomène qui est dur à mettre au jour mais qui pourrait concerner une partie substantielle des produits que l'on achète. L'inflation masquée ou "shrinkflation" en anglais (du verbe "shrink", rétrécir) est une pratique bien connue des consommateurs qui consiste pour les industriels à dissimuler les hausses de prix des produits en réduisant la quantité de produits proposé.

En cette période d'inflation avec les hausses de coûts de production, la tentation d'y avoir recours serait bien plus importante. L'association Foodwatch qui dénonce cette pratique depuis plusieurs années a dévoilé ce jeudi une nouvelle salve de produits qui sont concernés.

L'eau Salvetat a ainsi réduit en 2020 la taille de ses bouteilles de 1,25 litre à 1,15 litre tout en augmentant son prix de vente de 5%. Le fromage Kiri a réduit la taille de la portion de son fromage fondu de 10% il y a un an et demi, avec des portions passées de 20 à 18 grammes. Les sirops Teisseire dont la bouteille est passée de 75 à 60 cl en 2020 avec un prix de vente en hausse de 37%. Ou encore la marque les Pyrénéens de Lindt qui a réduit le nombre de chocolats de ses boîtes de 30 à 24 tout en augmentant ses tarifs de 30%.

"Le plus souvent avec la shrinkflation, le prix à l’unité reste inchangé alors que le prix au kilo s’est envolé, explique Camille Dorioz, responsable des campagnes chez Foodwatch à Challenges. Le consommateur ne voit pas la différence quand il passe à la caisse."

2% des produits concernés?

Difficile de mesurer l'ampleur de cette pratique, les marques ne communiquant évidemment pas sur la réduction de quantité de produits. Néanmoins selon John Plassard, analyste financier du fonds Mirabeau spécialisé dans l'agro-alimentaire, ce serait environ 2% des produits qui seraient concernés. Un produit sur 50 vendu en grande distribution pourrait donc en théorie avoir vu ces derniers mois sa quantité réduite pour masquer la hausse du prix.

Une pratique qui ulcère les consommateurs qui ont l'impression quand ils s'en rendent compte d'avoir été dupés.

"Elle a souvent lieu sur des produits bien installés dans les placards et dans les habitudes de consommation, rappelle Camille Dorioz. Vous ne regardez plus le prix du produit et encore moins le grammage."

Pour autant, si cette pratique est répandue, elle n'a absolument rien d'illégal. Dès lors que le nouveau grammage du produit est bien indiqué sur l'emballage, cette pratique n'est pas constitutive d'une fraude.

Les articles L.121-2 et suivants du code de la consommation définissent une pratique commerciale trompeuse comme une pratique déloyale "susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé [...] lorsqu'elles reposent sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur."

L'information est exacte

Or l'information communiquée au consommateur est exacte dans les cas de shrinkflation.

"Le problème est que "l’erreur" du consommateur moyen (et on ne peut légitimement pas en vouloir à un tel consommateur de ne pas tenir des statistiques d’évolution de son panier de consommation) ne découle pas tant de l’information qui lui est donné, mais bien de l’absence d’information sur le fait que, si le produit qu’il a l’habitude d’acheter est bien resté au même prix, celui-ci a en fait changé à son insu puisque son contenu s’est réduit", analyse dans LSA Florent Prunet, avocat associé, cabinet Jeantet AARPI.

Pour Foodwatch, en jouant sur le fait que le consommateur n'est pas omniscient, les marques le trompent. L'association plaide pour une évolution de la législation au niveau européen qui obligerait désormais les industriels à indiquer de manière visible les changements de quantité.

"Quand une marque propose un format "familial" ou un produit offert, elle sait très bien l'indiquer en gros sur son packaging, relève Camille Dorioz. Pourquoi ne pas le faire quand elle réduit la quantité?"

Interrogé en début d'année sur ce sujet par un sénateur, le ministère de l'Economie n'a pas donnée suite. La loi a donc peu de chance d'évoluer à court terme.

"Faut-il s’en émouvoir ?, s'interroge Florent Prunet. Après tout, le consommateur est de mieux en mieux armé par le droit pour consommer de manière éclairée. De plus, épaulé par les associations de consommateurs qui scrutent à la loupe les comportements des industriels, il est mieux informé que jamais. C’est peut-être une régulation naturelle qui s’instaure, sans que le droit ne soit appelé à évoluer."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco