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Mais que reproche Bercy à Leclerc pour exiger le paiement d'une amende sans précédent?

E.Leclerc.

E.Leclerc. - Jean-Sébastien Evrard / AFP

Alors que Bercy entend faire payer 117,3 millions d'euros à Leclerc pour le punir de ne pas respecter la législation française sur les négociations commerciales, l'enseigne annonce vouloir saisir la Cour de Justice de l'Union européenne. Les experts du secteur voient aussi une bataille politique dans ce bras de fer.

C'est sans précédent dans le monde de la grande distribution. Bercy a annoncé réclamer une amende de 117,3 millions d'euros au groupe E.Leclerc. Une somme qui s'ajoute aux 100 millions d'euros déjà réclamés par le ministère de l’Economie pour des "pratiques restrictives de concurrence". 

Il ne s'agit pas pour l'heure d'une amende mais simplement d'une assignation. Ce sera à la justice de trancher. En attendant, Leclerc n'a pas attendu et a annoncé dans l'après-midi vouloir saisir la Cour de Justice de l'Union européenne. L'enseigne entend dénoncer "l'acharnement des pouvoirs publics français" et évoque des "assignations judiciaires, perquisitions, auditions multiples en commission d'enquête parlementaire..."

Mais que reproche le ministère de l'Economie à Leclerc? Bercy est resté très évasif se limitant à affirmer que le groupe a contourné la loi française via Eurelec, une centrale d'achat basée en Belgique et partagée avec l'allemand Rewe. Les fournisseurs auraient alors été forcés à accepter des avantages sans contrepartie pour E.Leclerc. 

"Que reproche-t-on à Leclerc? Est-ce le fait de s'allier à un grand groupe pour obtenir des prix d'achat plus intéressants? Auquel cas ça n'a rien d'illégal. Ou est-ce le fait d'abuser de cette puissance? Et si cela s'est passé en Belgique, que peut faire la justice française?", résume Oliviers Dauvers, spécialiste de la grande distribution en France. 

"Tu me fais 2% de rabais"

Il semblerait qu'il s'agisse de la deuxième hypothèse. D'ailleurs selon Bercy l'enquête de la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) a durée 18 mois. Les agents ont collecté 8000 pages de documents, notamment lors d'une perquisition, et capté 5000 messages. En l'absence de plus amples informations, il faut se borner à émettre des hypothèses.

Lors des négociations commerciales avec des fournisseurs, les centrales d'achats ne peuvent pas négocier des rabais sans contrepartie. Par exemple, si à la fin de la négociation avec Coca-Cola, l'acheteur de Leclerc exige un nouveau rabais de 2% sous peine de le déréférencer de ses magasins, il sera en dehors des clous de la loi. Il devra pour que ce rabais soit jugé légal lui proposer une mise en avant de ses produits sur un prospectus ou en magasin sur des têtes de gondole. 

"Cette contrepartie doit qui plus est être proportionnée, précise Olivier Dauvers. Si Leclerc dit à une marque "tu me fais 2% de rabais et en échange je te donne toutes les données de sorties de caisses pour tes produits", ça risque de ne pas être suffisant." 

Est-ce le type de pratiques que la DGCCRF a mis au jour dans les documents collectés? La justice devra trancher. 

En attendant, Leclerc a pour le moment répliqué sur le terrain de la "morale" plus que du droit en arguant du fait que sa centrale en Belgique ne négociait qu'avec des géants de l'agroalimentaire. Autrement dit qu'elle ne mettait pas sous pression les petits producteurs et agriculteurs français. "Leclerc négocie avec 27 multinationales et il n'y a que des très gros comme Procter, Coca, Nestlé, Unilver, Danone, Pepsico etc., indique Olivier Dauvers. Mais Carrefour et Système U négocie avec plus de grands groupes dans sa super-centrale puisque c'est 80 entreprises."

Peut-être que Leclerc a des pratiques de négociation abusives que n'ont pas les autres distributeurs. En tout cas, en s'attaquant à Leclerc, le gouvernement s'attaque aussi à un symbole. "Il est évident que c'est une décision politique, analyse Olivier Dauvers. Leclerc c'est par principe la meilleure cible pour préparer un durcissement de la législation car en s'attaquant à lui, le gouvernement sait qu'il entraîne avec lui les petits producteurs et les agriculteurs." Bref menacer Leclerc d'une amende c'est aussi faire des œillades au monde agricole.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco