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Faut-il faire ses courses de Noël sur l'application Temu?

La plateforme chinoise de e-commerce s'illustre par une offre très éclectique et des prix ultra bas. Mais derrière ces perspectives de bonnes affaires pour les consommateurs se cachent des pratiques qui interrogent.

Guirlande décorative à moins d'un euro, chaussettes de Noël à 3 euros, montre intelligence à 13 euros, housse de canapé à 8 euros ou encore chargeur d'iPhone à 4 euros... Vous avez déjà sûrement croisé les publicités ou contenus sponsorisés de Temu sur les réseaux sociaux ou sur Google shopping.

L'application lancée en 2022 par le groupe chinois PDD outre-Atlantique a seulement débarqué dans l'Hexagone depuis le mois d'avril dernier. Mais en quelques mois, elle a déjà réalisé une percée fulgurante sur le marché du e-commerce. Sa recette: proposer tout (ou presque!) en matière de rangement, gadgets de cuisine, décoration, high tech, mode, bijoux... À des prix défiant toute concurrence et avec des frais de livraisons quasi inexistants.

Deux mois après son lancement en France, Temu comptait ainsi déjà 9,5 millions d'utilisateurs en juin, selon des données Médiamétrie repérées par Franceinfo. Au cours des trois premiers trimestres de l’année 2023, les applications de e-commerce chinoises Temu et Shein ont été les plus téléchargées en France, selon Data.ai.

Un succès déjà rencontré quelques mois plus tôt de l'autre côté de l'Atlantique puisqu'elle était l'application de shopping la plus téléchargée de l'App Store aux Etats-Unis devant les géants TikTok, Instagram et Snapchat au mois de janvier. Le mois suivant, le e-commerçant s'offrait même trente secondes de publicité pendant le Super Bowl, un des événements sportifs les plus regardés au monde, signe de sa puissance et des moyens colossaux dédiés à sa stratégie marketing.

Pourtant, les alertes portant sur ce e-commerçant se sont multipliées ces derniers mois et ont progressivement terni sa réputation. Pratiques anti-concurrentielles, espionnage, contrefaçons, manque d'éthique... Peut-on céder aux sirènes de l'ultra lowcost pour ses achats de Noël ou l'application est-elle définitivement à bannir de nos smartphones?

Bilan carbone et soupçons de travail forcé

Comme d'autres acteurs de e-commerce, le modèle économique de Temu repose sur des coûts de fabrication très bas avec des produits tout droit sortis d'entrepôts chinois. Les émissions de carbone liées à l'acheminement de ces produits par avion ou par bateau vers les marchés américains et européens peuvent interroger. Ce n'est donc pas sur un plan légal mais d'abord pour des raisons éthiques que l'achat de produits sur la plateforme Temu peut être remis en cause, au même titre qu'Aliexpress, Wish ou encore Shein.

Pour réussir à vendre à des prix aussi bas et minimiser les coûts de production, les fournisseurs de Temu font aussi appel à une main-d'œuvre très peu coûteuse. Mais les ouvriers fabriquant certains produits disponibles ou certains de leurs composants comme le coton, sur la plateforme pourraient parfois être contraints au travail. C'est en tout cas ce que soupçonne le Congrès américain.

Dans un rapport publié en juin dernier, le comité spécial de la Chambre des représentants sur le Parti communiste chinois indique que la loi américaine interdisant les importations en provenance de la région chinoise du Xinjiang n'est pas respectée par Temu et Shein. Cette législation américaine vise à prévenir le travail forcé des Ouïghours dont la pratique est courante dans cette zone géographique.

"Les consommateurs américains doivent savoir qu’il existe un risque extrêmement élevé que les chaînes d’approvisionnement de Temu soient touchées par le travail forcé", indiquait ainsi le rapport de la Chambre des représentants relayé par l'agence américaine AP.

Contrefaçons et normes européennes non respectées

Ensuite, outre la qualité souvent médiocre des produits, c'est leur conformité à la réglementation européenne qui interroge.

"L'application ne fournit pas obligatoirement les produits les plus propres, on va dire clairement de la contrefaçon, ou alors ayant des normes autorisées par exemple en Europe", observait auprès de BFMTV Damien Bancal, spécialiste en cyber intelligence, en octobre.

C'est aussi le constat qu'a pu faire le site belge spécialisé en consommation Test-Achats. "Sur les 15 produits achetés sur Temu (des jeux, des gadgets et de la papeterie, ndlr), nous avons constaté pour tous une ou plusieurs non-conformités à la réglementation en vigueur, c’est-à-dire des produits interdits ou qui ne doivent pas être vendus sur le marché européen", précise la plateforme.

"Dans plusieurs cas, nous avons constaté l'absence du label CE ou sa contrefaçon ; c’est le cas de plusieurs produits destinés aux enfants à savoir un ours en peluche et certains articles de papeterie", ajoute-t-elle.

Une enquête de la Répression des fraudes

Sur l'autre groupe de treize produits cosmétiques testé par Test-achats, composés de crèmes, de maquillage, des dentifrices et autres produits pour les dents, le site a également observé au moins une non-conformité par article. L'absence de liste d'ingrédients et des irrégularités liés à l'usage du label CE ont notamment été constatées. Des manquements qui peuvent représenter de sérieux risques pour les consommateurs.

Comme le rapportait le cabinet de la ministre du Commerce Olivia Grégoire dans les colonnes du Figaro, Temu, ainsi que l'application de fast fashion Shein, font l'objet d'une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) depuis quelques mois.

"Compte tenu du modèle économique de Temu, nous le surveillons aussi de près (...) Nous suivons aussi les signalements rapportés sur le site Signal Conso, mais à ce jour, il y en a peu", indiquait-on au sein de l'équipe d'Olivia Grégoire cet été.

En cas de manquements prouvés, le gouvernement pourrait intervenir comme il l'a déjà fait par le passé. En 2021, une enquête de la DGCCRF avait montré que Wish, un autre e-commerçant chinois, vendait des produits non conformes ou dangereux. Dans la foulée de ces conclusions, Bercy avait obtenu le déréférencement de l'application sur Google.

Morning Retail : Temu disrupte le marché du e-commerce - 20/11
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Collecte de données abusive voire espionnage

Autre problème pointé du doigt, la manière dont sont collectées les données des consommateurs sur cette application. "Il faut s'y inscrire, il faut laisser son numéro de téléphone, il faut laisser son mail", soulignait ainsi l'expert en cybersécurité Damien Bancal à l'antenne de BFMTV.

C'est en effet sur la collecte et la revente de données que repose le modèle économique de Temu, une entreprise non rentable à l'heure actuelle. Pour le moment, aucune mesure d'interdiction n'a été prise en France, en Europe ou ailleurs. Ceci porte à croire que les conditions générales de Temu sont conformes au droit local en matière de protection des données, et donc à la législation RGPD pour les achats réalisés depuis l'Hexagone. Cela signifie en tout cas que les autorités compétentes n'ont pas encore constaté d'irrégularités.

Toutefois, un rapport publié début septembre aux Etats-Unis par Grizzly Research (un cabinet qui s'attaque régulièrement aux entreprises chinoises) estime qu'un logiciel espion serait présent dans l'application Temu pour aspirer de nombreuses données.

L'application "comporte des fonctions cachées qui permettent une exfiltration massive de données à l'insu des utilisateurs", rapportait alors le cabinet.

En avril dernier, Pinduoduo, l'autre application développée par la holding chinoise PDD, propriétaire de Temu, avait été épinglée par le média américain CNN pour contenir un logiciel d'espionnage. Quelques semaines plus tôt, Google la supprimait de son catalogue d'applications pour des raisons similaires.

Nina Le Clerre