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En perte de vitesse, le chewing-gum a-t-il encore un avenir?

Les ventes de chewing-gums baissent en France.

Les ventes de chewing-gums baissent en France. - Hernan Pinera - Flickr - CC

Les ventes mondiales de chewing-gum étaient en déclin depuis plusieurs années. La crise a porté un coup supplémentaire au marché, avec une évidence: il n'intéresse pas les nouvelles générations.  

Mâcher un bout de plastique a-t-il encore un sens? Visiblement, les jeunes ont rendu leur verdict. Les ventes de chewing-gum déclinent depuis des années dans le monde entier et la crise sanitaire a renforcé cette chute. Selon The Economist, elles ont encore chuté de 14% dans le monde en 2020 par rapport à l'année précédente.  

Une situation telle que le géant mondial Mondelez, qui possède notamment la marque française Hollywood, a lancé en juin dernier une revue stratégique de cette activité.

"Dans le cadre de la pandémie en cours, nous avons identifié une baisse de la demande pour certaines de nos marques, principalement dans la catégorie de la gomme", explique le groupe. Pour Mondelez, le chewing-gum est devenu un boulet.  

Pourtant, il fut une époque pas si lointaine où même les chewing-gums déjà mâchés se vendaient des fortunes (celui de Britney Spears s'était ainsi adjugé à 14.000 dollars en 2004). Mieux, la gomme avait su devenir incontournable pendant plus d'un siècle, avec des recettes différentes et des publics différents.  

Du latex au plastique

Lancé par un cetain John Curtis au milieu du 19ème siècle aux Etats-Unis, le chewing-gum est alors encore une simple version industrialisée d'une résine à mâcher, recouverte de fécule de maïs pour éviter que les bâtonnets ne collent entre eux. Voilà des milliers d'années que les êtres humains mâchent des écorces ou des résines, l'homme d'affaires espère en profiter. 

Mais la recette n'est pas idéale: la résine finit par durcir et casse sous la dent. Curtis utilise donc un ingrédient étonnant, découvert dans les années 1830: la paraffine. Issue du pétrole, cette cire présente de bonnes qualités de mâche. 

Un autre Américain, Thomas Adams, va ensuite instaurer une nouvelle recette à la fin du 19ème siècle, en s'inspirant des coutumes amérindiennes. Il fera ses chewing-gums avec un latex naturel, issu du sapotillier, un arbre tropical. 

Vient ensuite le génie marketing. Au début des années 1900, William Wrigley Jr est un important vendeur de savon et de levure. A chaque commande, il glisse un paquet de chewing-gum en cadeau. Bientôt, la production de gomme sera sa seule activité tant le succès est flagrant. Wrigley Company est toujours le numéro 1 mondial incontesté du secteur avec des marques comme Freedent et Airwaves. 

Entre temps, la pétrochimie est devenue un ingrédient de base. La recette, composée d'élastomères (les mêmes que les chambres à air), d'antioxydants et d'émulsifiants, se complexifie pour obtenir des résultats toujours plus affinés auxquels on ajoute des goûts toujours plus divers. 

Rebelle

Un autre inventeur (encore américain) développe un autre produit phare, le bubble gum, qui permet de faire des bulles avec son chewing-gum en assouplissant encore la gomme. Walter Diemer lancera le premier produit de couleur rose qui était alors la seule disponible pour lui. Elle deviendra la référence qu'on retrouve par exemple chez Malabar. 

Dans la première partie du 20ème siècle, le chewing-gum est un triomphe américain qui séduit les grands et les petits. Son arrivée en Europe fait partie de la légende: ils sont distribués par les GI venus faire la guerre, notamment lors de la deuxième guerre mondiale. 

La marque française Hollywood Chewing Gum est d'ailleurs lancée en 1952 par Courtland E. Parfet, débarqué quelques années plus tôt sur les plages normandes. Les arguments de ventes ne manquent pas: "Si vous désirez conserver une haleine fraiche et agréablement parfumée, si vous avez besoin de vous détendre les nerfs, goûtez-le!", promet le cycliste Louison Bobet (trois victoires dans le Tour de France) dans une publicité des années 1950. Il décontracte, fortifie les gencives, empêche de se ronger les ongles…  

En parallèle, il va aussi séduire la jeunesse à l'aube des tumultueuses années 1960. Défi à l'autorité, les bulles éclatent au visage du conservatisme pendant des décennies. Personnage à part entière dans le film Grease, signe de vulgarité pour certains, emblème de la viritlé pour d'autres... le chewing-gum envahit le monde.

Alors que s'est-il passé? Economiquement, les marques ont leur coupable tout trouvé: le smartphone. Achat impulsif par excellence, la gomme est mise en évidence le long des caisses des supermarchés où patientent les clients. Les yeux rivés sur leur téléphone, ils ne jettent plus un regard sur les paquets. Sans compter que la grande distribution s'acharne à faire diminuer la queue aux caisses.

"Les fabricants ont perdu 20 kilomètres de caisses en cinq ans à cause de la modernisation des supermarchés avec les caisses où l'on scanne soi-même ses produits", déplorait en 2017 sur BFM Business Mathias Dosne, alors DG de Mondelez France.

En 2016, le marché avait baissé de 7%, après avoir déjà reculé de plus de 3% en 2015, selon l'institut Nielsen. 

Enfin, le port du masque épargne désormais au nez la mauvaise haleine du voisin, moins contraint donc à se rafraîchir la bouche. Mâcher un "menthe extra-forte" avec le masque fait d'ailleurs partie des nouvelles expériences particulièrement pénibles (avec la buée sur les lunettes) pour le consommateur.

Les nouvelles générations s'en détournent

Mais le renversement est aussi sociologique. Le petit bout de plastique qui s'est fondu dans les trottoirs et les routes n'a plus la cote des nouvelles générations plus sensibles à l'environnement. Un chewing-gum met 5 ans pour se dégrader dans la nature. L'heure est aussi à une alimentation plus saine et plus sensée, alors que le chewing-gum était déjà dans le collimateur des autorités sanitaires, assimilé aux confiseries.

"Le chewing-gum devient de moins en moins acceptable socialement", reconnaissait en décembre 2019 Dirk Van de Put, directeur général de Mondelez International. 

Alors face à cette désertion, les trois leaders en France (Wrigley Company, absorbé en 2008 par Mars, Hollywood et Mentos) voient arriver de petits challengers qui réintroduisent le latex de sapotillier et jouent la carte du naturel. Les géants font aussi des efforts comme Hollywood et sa gamme "simple", avec des arômes naturels, sans colorants et son étui en carton recyclable. 

L'autre axe, c'est évidemment la santé alors que Freedent vante l'efficacité du masticage pour l'hygiène buccal depuis des années. Sur le marché, des marques spécialisées promettent désormais des gommes énergétiques, chargées en caféine et vitamines, d'autres contiennent du CBD pour la relaxation. Les leaders n'ont pas encore engagé ce virage "médical".  

Car l'enjeu est avant tout de rendre le chewing-gum "cool again" auprès des jeunes. "Nous allons nous inscrire dans de nouveaux territoires d’expression plébiscités par les jeunes, tels que le gaming, et le dating", expliquait récemment à LSA Lionel Trapet, directeur marketing de Mars Wrigley. Le groupe a lancé un plan de relance sur 5 ans. Suffisant pour redonner ses lettres de noblesse au chewing-gum?

Thomas Leroy Journaliste BFM Business